Racisme d'Etat et tradition républicaine I
Contrairement à une idée reçue, l’éducation et la culture ne mettent nullement à l’abri des préjugés racistes. On a pu voir ainsi récemment des politiciens professionnels chevronnés, les Hortefeux, Chirac, Valls, etc. surpris à tenir des propos indignes. Il suffit d’une situation d’énonciation un peu relâchée, d’interlocuteurs présumés amis et connivents, pour se laisser aller à quelque vanne raciste ou xénophobe, comme ça, naturellement, sans avoir l’air d’y toucher ni d’y penser, trahissant, sans s’en rendre compte sur le moment, un sentiment bien ancré dans leur système de valeurs mais habituellement refoulé dans l’inconscient social. Tous les psychologues savent que de tels propos, échappant un instant au surmoi social, expriment parfaitement les convictions profondes de ceux qui les énoncent.
Tout dernièrement encore, un certain Jean-Paul Guerlain, parfumeur et parangon du bon goût français, proclamait fièrement au Journal de 13 heures de France2 : « Pour une fois je me suis mis à travailler comme un nègre ». Et, rigolard et content de lui, il ajoutait finement : « Je ne sais pas si les Nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin... » sans que la journaliste, Elise Lucet, quitte le moins du monde son sourire niais pour au moins lui faire remarquer l’incongruité de son propos. Après coup, elle dira ne pas avoir entendu : ou bien c’est une menteuse, ou bien elle n’écoute même pas les réponses aux questions qu’elle pose, ce qui relève alors de l’incompétence. Dans tous les cas, il y a faute professionnelle. Quant au sinistre crétin qui a proféré cette répugnante énormité, il apparaîtra d’autant plus ignoble lorsqu’on sait, entre mille autres exemples, que la construction de la ligne Congo-Océan (1921-1934) a coûté la vie de 15 000 à 30 000 Africains! Juste des « Nègres » qui ne savaient pas travailler...
Un racisme plus ou moins distingué s’est ainsi installé, de longue date, dans ce qu’on appelle les élites. Tel qu’on le connaît aujourd’hui, il s’est constitué dans un processus de légitimation de l’esclavage des Noirs puis de justification d’un colonialisme disqualifié à jamais par les forfanteries bien connues de Jules Ferry, approuvées par la quasi-totalité de ces pairs, en 1885 : « Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Nous sommes, hélas, les héritiers de ces révoltantes hâbleries! Un film d’Abdelatif Kechiche rappelle comment on exhiba, au début du XIXème siècle, cette prétendue « Vénus hottentote », pour la plus grande satisfaction des élites de la fin du Premier Empire, en particulier de scientifiques, comme Georges Cuvier, se déshonorant dans la recherche de l’animalité de ce qui ne pouvait être pour eux un être humain. Jusqu’aux « Canaques », parqués dans un enclos comme des bêtes curieuses, de l’Exposition coloniale de 1931, on retrouve cette même obsession de justifier « l’asservissement des contrées et des peuplades vaincues au nom de la supériorité de la race blanche et de ses devoirs prétendus » (Olivier Le Cour Grandmaison, La République impériale. Politique et racisme d’Etat, Fayard, 2009). Les Hortefeux, Chirac, Valls, Guerlain, etc. ne font qu’exhaler les relents fétides de l’idéologie coloniale.
O. Le Cour Grandmaison montre comment le racisme est devenu doctrine d’Etat sous la IIIème République. Dans un premier temps, l’assimilation a été prônée au nom de l’égalité naturelle des hommes héritée des Lumières et de la Révolution, conception très ethnocentriste mais ayant le mérite d’une certaine générosité. L’impérialisme colonial va cependant rejeter les conceptions assimilationnistes au nom de l’efficacité, en raison de la supériorité proclamée des Blancs dans tous les domaines et des incapacités diverses des « indigènes ». C’est l’association qui sera promue et l’ensemble des élites va se mobiliser pour démontrer combien l’infériorité native des colonisés nécessite des dispositions radicales, comme la conquête et l’occupation, permettant d’assurer la domination des nations éclairées sur les territoires barbares. Avec la Guerre d’Algérie, en 1954, on fera semblant de redécouvrir la politique d’assimilation sous le nom d’intégration. Une hypocrisie de plus.
1er novembre 2010