Racisme d'Etat et tradition républicaine II

La Troisième République va installer un consensus impérial sous la forme de ce qu’ Olivier Le Cour Grandmaison n’hésite pas à appeler un national-patriotisme. L’école, par exemple, est embauchée, les instituteurs sont chargés de répandre la doctrine coloniale de la « Plus grande France » et d’enseigner un « Roman national » édifiant parfaitement mythique. Toute la société est mobilisée en une « impérialisation » des consciences dont on ne saurait nier sans mauvaise foi la persistance dans les esprits jusqu’à aujourd’hui. Certes, il a pu y avoir des débats et « les tensions entre le déni et l’affirmation du critère racial sont anciennes » (Emmanuelle Saada, « Un racisme de l’expansion. Les discriminations raciales au regard des situations coloniales », in Didier Fassin et Eric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale? La Découverte, 2009) mais qui ne voit que le dogme de la supériorité de l’homme occidental blanc et de sa nécessaire préservation imprègne toujours largement les mentalités sous les formes les plus euphémisées comme les plus brutales...

C’est l’ensemble des élites de la IIIème République (les voix discordantes auront été très minoritaires) qui va s’attacher à échafauder la doctrine de l’impérialisme colonial républicain. On se fonde alors sur un prétendu substrat scientifique qui s’avère n’être qu’un fatras d’élucubrations racistes relevant d’un scientisme dont on sait qu’il fut, au XIXème siècle, particulièrement obtus. Juristes, médecins, philosophes, etc. vont rivaliser de doctes démonstrations, sans parler des militaires et des hommes politiques, d’où il ressort immanquablement que face aux Blancs, réputés race supérieure, il n’y a que des races inférieures qui doivent être soumises, les plus cyniques ajoutant que, de toute façon, c’est pour leur bien et même celui de l’humanité toute entière! Un certain Charles Gide, éminent économiste, osera même forger, dans les années 30, un concept ad hoc, pour rendre légales les spoliations coloniales, celui d’ « expropriation pour cause d’utilité publique mondiale »! C’est ainsi que juristes, économistes, philosophes, ethnologues, médecins et professeurs n’auront de cesse de se citer et de se conforter mutuellement pour fabriquer la « vérité coloniale ». Quelle est-elle?

On n’ en finirait pas de citer toute les savantes imbécillités, relevées par O. Le Cour Gradmaison, proférées par tous ces arrogants personnages si sûrs de leur supériorité et de leur expertise. Prenons Armand Cuvillier, ses manuels de philosophie ont formé plusieurs générations de lycéens. Je possède encore son Nouveau vocabulaire philosophique, de 1955, toujours recommandé dans les années 60, où il définit froidement le terme race comme « variation de l’espèce fixée par l’hérédité ». Pour Cuvillier, il y aurait une hiérarchie « scientifiquement » établie dans le genre humain et ce serait « l’admirable tâche » des nations colonisatrices d’élever « moralement et intellectuellement » les « races attardées » et les « sociétés inférieures ». Ce profond mépris sous couvert de bons sentiments n’est pas le pire. Certains vont appuyer leur refus de l’universalité des droits humains (j’y reviendrai) sur l’infériorité constitutionnelle du cerveau des races inférieures. Pour tel médecin, « il est incontestable que le cerveau des populations orientales n’est pas arrivé à un degré qui lui permette de recevoir sans indigestion cérébrale notre nourriture intellectuelle » (cité par OLCG, p.140).

Une notion eut beaucoup de succès, celle du « primitivisme » des races inférieures. Deux psychiatres se firent fort d’en découvrir le « substratum » dans « l’architectonie, du moins la hiérarchisation dynamique des centres nerveux » avec une « certaine fragilité des intégrations corticales laissant libre jeu à la prédominance des fonctions diencéphaliques », ce qui expliquerait, entre autres, les « syndromes mimiques grossiers » communs chez les Noirs comme chacun doit le savoir (cité par OLCG, p.169) La terminologie est savante, ce qui impressionne toujours, mais la démonstration scientifique est nulle, les deux éminents spécialistes ne pouvant évidemment raisonner qu’à coup de « nous pensons... nous avons émis l’hypothèse... » et n’étalant que leurs préjugés faute, et pour cause, de preuves authentiquement scientifiques même bricolées!

15 novembre 2010