Racisme d'Etat et tradition républicaine III
Au 21ème Festival du Film d’Histoire de Pessac, le thème du débat intitulé « La France, une société post-coloniale?» rejoignait assez précisément les préoccupations de cette série de chroniques. Je vais donc y revenir. Le débat a été un « duo » plutôt, fort heureusement, qu’un « duel » de Françoise Vergès et Pap Ndiaye, tous deux excellents, sous la houlette pateline de Michel Winock. A l’issue de leur dialogue, je me suis permis d’intervenir pour faire remarquer que les propos racistes tenus récemment par plusieurs personnages publics étaient sans doute plus que des traces de l’empreinte dans notre imaginaire national du racisme colonial d’Etat instauré sous la IIIème République... Sans remettre en cause cette analyse, Pap Ndiaye a préféré insister sur le fait que de nombreuses protestations se sont élevées contre ces insanités : ce serait un progrès car cela n’aurait pas été le cas, par exemple, ajoute-t-il, dans les années 60.
Je crois que Pap Ndiaye se trompe. Jamais dans les années 60, qui ont été celles de ma formation intellectuelle et politique, un homme public ne se serait allé à tenir de tels propos : il existait encore une vigilance sur ce thème, une censure sociale tout à fait bienfaisante quoi qu’aient pu en penser certains. Certes, de nos jours, Internet permet de prendre la main dans le sac quelques crypto racistes, mais l’essentiel n’est pas là. En effet le racisme s’exprime maintenant ouvertement sous diverses formes dans l’ensemble des médias. La parole raciste s’est libérée jusqu’à être, dans les faits, une opinion comme les autres. On pourrait en multiplier les occurrences. Entre mille autres exemples, récemment, sur le forum du portail Orange, à propos de Guerlain et de ses « Nègres qui n’ont jamais tellement travaillé » ou de Florent Pagny qui scolarise ses enfants aux Etats-Unis parce qu’il ne veut pas qu’ils reviennent d’un collège français en parlant « reubeu », on pouvait lire des commentaires du genre : « et la liberté d’expression alors?... Si on ne peut plus dire ce qu’on pense! »
La désinhibition du discours raciste s’est d’abord fondé sur des remontées de bile coloniale. On peut la dater précisément du milieu des années 80 avec l’entrée en scène du Front National. Ce que ne semble pas voir Pap Ndiaye, c’est que les thèses du FN ont fait tâche d’huile dans la société, réactivant les vieux poncifs racistes qui sommeillent dans notre inconscient collectif (la « paresse » des Noirs, par exemple) et qui sont directement issus du catalogue des stéréotypes raciaux de la IIIème République. Les « idées » du FN sont aujourd’hui clairement reprises par l’ensemble de la droite : stigmatisation de l’immigration, loi sur les « aspects positifs de la colonisation », réhabilitation de l’OAS, etc.
Mais il y a pire. C’est maintenant toute une série de journalistes, idéologues, intellectuels qui s’efforcent de donner une respectabilité théorique et même civique aux inclinations racistes les plus triviales, au nom, bien entendu, des idéaux les plus nobles opportunément découverts ou redécouverts. Certains se réclament ainsi d’un républicanisme doctrinaire et feignent de s’effrayer d’un « communautarisme » qu’ils aident pourtant à consolider en approuvant, pour la plupart, sous couvert de défendre le « modèle républicain », la discrimination et la stigmatisation des populations immigrées et de leurs pratiques. Ils combattent ouvertement la notion même d’antiracisme qui ne serait, selon eux, qu’une idéologie totalitaire ne visant rien moins que la destruction de la société occidentale (voir à ce propos les sempiternelles lamentations largement médiatisées d’un Finkielkraut). Ils se revendiquent d’un « universalisme » - dont on verra ce qu’a valu l’aune sous la IIIème République- qui n’est en fait que « l’ordre social et symbolique dans lequel l’ « Occident » domine à tous points de vue l’Afrique et le monde arabo-musulman » (Pierre Tevanian, La République du mépris. Les métamorphoses du racisme dans la France des années Sarkozy, La Découverte, 2007). C’est ici que l’on peut strictement parler, à mon avis, de « racisme républicain » alors que Tevanian élargit ce concept à l’ensemble du champ politique en un amalgame intégriste où personne n’échappe à la suspicion d’un racisme effectif ce qui est sans doute excessif et peu mobilisateur...
29 novembre 2010