La supériorité de l'homme blanc...

Du fatras idéologique du sarkozysme finissant, on retiendra deux obsessions permanentes : la concurrence et l'évaluation. Ce n'est, à vrai dire, qu'une déclinaison rudimentaire du libéralisme le plus orthodoxe selon lequel la société n'est que le champ d'affrontement des égoïsmes individuels. Il faut donc sans cesse comparer et hiérarchiser tout et n'importe quoi. On apprit ainsi un jour que le curé était supérieur à l'instituteur... Il y a quelque temps, c'est le ministre Guéant qui s'essayait à un douteux palmarès des « civilisations ». En se gardant d'en définir le concept, il décrétait que « toutes les civilisations ne se valent pas ». Exemple : il vaut mieux la « liberté » que la « tyrannie ». Sans blague ! Et devant les petits fachos de l'UNI encore ! On ne s'étonnera pas des distinctions sommaires de M. Guéant mais comment nous expliquerait-il que la liberté d'entreprise ait pu tellement prospérer sous la tyrannie, de l'Allemagne nazie au Chili de Pinochet en passant par l'Espagne franquiste, entre autres.

En réalité, on sait bien que M. Guéant avec ses gros sabots ne cherche que ce qu'il pense être un avantage électoral en proclamant à son tour ce que Berlusconi appelait, en 2001, « la supériorité de la civilisation occidentale », c'est-à-dire la supériorité de l'homme blanc, chrétien et capitaliste. Je suis ici désolé d'avoir à faire remarquer que cette idéologie a été largement véhiculée par notre école républicaine. J'ai sous les yeux le livre de géographie des Editions Magnard pour le Cours Elémentaire, encore édité en 1962, « conforme à la lettre et à l'esprit du nouveau programme » (de 1957) et couramment utilisé alors dans les classes. Qu'apprenait donc l'auteur, E. Baron, aux enfants de 8 ans au début des années 60 (1960!) ? « Il ya des hommes qui sont noirs, qui ont les cheveux crépus, un nez aplati très large, des lèvres très épaisses. On les appelle les Nègres » (p.60). Quant aux « hommes de race jaune (...) ils sont tellement nombreux qu'ils font penser à des fourmis ». Les Arabes construisent parfois un « gourbi ou hutte de branchages (...). C'est déjà mieux qu'une tente » (p.80) ; « les Nègres d'Afrique se construisent parfois de semblables huttes de branchages dans la forêt dense ». Mais ces maisons sont « d'humbles demeures, de simples petits abris ». De toute façon, « le Nègre n'est qu'à demi civilisé et il est pauvre » (p.82). Finalement, rien ne vaut le « climat tempéré froid » car « c'est dans ce climat que l'homme travaille le plus et le mieux » (p.74). On notera que l'on retrouve ici une sottise directement tirée de la navrante théorie des climats de Montesquieu. Ainsi, « les Blancs ont jusqu'ici dominé le monde parce que c 'est eux qui ont la plus haute civilisation et qui ont fait les plus belles inventions » (p.61). Tout cela est affligeant mais que penser d'un ministre qui en est resté au programme de géographie du cours élémentaire de 1957 ?

On sait que le député antillais Serge Letchimy a vivement et justement réagi aux propos du ministre : « vous nous ramenez jour après jour à des idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration au bout du long chapelet esclavagiste et colonial ». Sourire crispé de Guéant, aboiements de la droite, réserves de la gauche, mais Letchimy a parfaitement raison ; la prétendue « civilisation occidentale » a porté en elle toutes les barbaries : l'ignominie de la Traite négrière, les abominations du colonialisme, l'horreur absolue de la Shoah... Dans les années 50, tandis que M. E. Baron s'efforçait d'inculquer la supériorité de l'homme blanc dans les mentalités enfantines, paraissait un accablant réquisitoire, le Discours sur la colonialisme d'Aimé Césaire. Il apostrophait, avec une verve vengeresse, «gouverneurs sadiques et préfets tortionnaires... politiciens lèche-chèques et magistrats aux ordres... journalistes fielleux, académiciens goîtreux endollardés de sottise... intellectuels jaspineux sortis tout puants de la cuisse de Nietzsche... » Bref, tous ces « chiens de garde du colonialisme » qui parlent de « civilisation » là où Césaire entend parler de prolétarisation et de mystification. Mais, on va le voir, il va plus loin.

8 avril 2012