Crimes coloniaux

 

 

Lorsque le journal Sud-Ouest, en 1944, succède à la Petite Gironde collaborationniste, ses fondateurs entendaient bien poursuivre, dans un contexte politique certes différent, la même mission de défense de l’ordre établi, dans toutes ses dimensions. L’ordre politique tout d’abord, d’où un anticommunisme originaire qui ne s’est jamais démenti. Mais aussi l’ordre policier et surtout, de manière étonnamment récurrente, l’ordre colonial ainsi que l’illustre, le 10 juin, l’éditorial de M. Christophe Lucet. Esclavage et colonialisme sont, pour M. Lucet, des « vieux conflits », une simple affaire de « vainqueurs » et de « vaincus » : les esclavagisés et les colonisés ne seraient que des « vaincus de l’histoire » et la « mémoire des vaincus » demanderaient des « comptes aux vainqueurs »… Des mauvais perdants en quelque sorte… Quel beau match, pourtant ! Etrange et assez scandaleuse conception de l’histoire.

Le candidat démocrate, aux Etats-Unis, Joë Biden, parle de l’esclavage comme du péché originel de l’Amérique. Double péché car il pourrait y ajouter le génocide des Amérindiens. De même, n’en déplaise à M. Lucet, la France doit reconnaître un double péché originel : l’esclavage avec sa pratique de la Traite négrière et la colonisation avec son cortège de crimes. Dans le même journal, selon M. Yves Harté (08.06.2020), il y aurait des « absurdités de comparaisons » entre un « passé colonial européen » et un « passé esclavagiste et ségrégationniste » de l’Amérique. « Au mépris de l’histoire », affirme-t-il imprudemment. Voyons ce que dit l’histoire…

La liste des massacres et exactions perpétrés par la violence coloniale serait trop longue (1). On oublie souvent que l’Afrique noire fut le terrain de jeu favori de soudards en quête de gloire facile et de promotions militaires. En avril 1890, Archinard, polytechnicien mal classé réduit à l’infanterie de marine, détruit l’empire Toucouleur d’Ahmadou par la prise et le carnage d’Ouossébougou (Mali, ex-Soudan). On y renonce à dénombrer le charnier. Archinard sera fait général. En 1898, le colonel Audéoud assiège, prend et saccage Sikasso, capitale d’un royaume sénoufo (Mali actuel). Pillage, 4000 captifs que l’on doit ramener par étapes de 40 km, les enfants et tous ceux qui sont fatigués sont tués à coups de crosse et de baïonnettes. Afin d’agrémenter le voyage, chaque Européen a reçu une femme à son choix. En octobre 1926, en ex-Oubangui-Chari (Républicaine centrafricaine), André Gide décrit, dans son Voyage au Congo, le massacre de Bodembéré : hommes fusillés, femmes massacrées à la machette, enfants brûlés dans une case. Des mercenaires africains sont soudoyés, bien sûr, ce qui permet au directeur de la Compagnie forestière de parler d’une « querelle de nègres ». Etc.

Toute cette barbarie est le fait de ce que M. Lucet ose appeler des « héros ambigus ». Des héros ambigus ? Des tueurs, oui, dont la seule supériorité tenait aux chassepots et aux obus face à des lances ! Des héros ambigus, les Bugeaud, Galliéni, Faidherbe, Canrobert, etc. ? Ce n’étaient que des brutes galonnées doublées d’assassins patentés, tous élevés au rang de Maréchal de France (sauf Faidherbe, il sera seulement Grand chancelier de la légion d’honneur)… Ecoutez les ordres de Bugeaud en Algérie : « Dévastation, poursuite acharnée… Destruction des récoltes et des vergers (1843)… Je brûlerai vos villages et vos maisons… Je couperai les arbres fruitiers (1845)… Enfumez-les à outrance comme des renards (1845) ». Les Saint-Arnaud, Pélissier, de Montagnac en seront les exécuteurs zélés. « Anéantir tout ce qui ne rampe pas à nos pieds comme des chiens », vocifère de Montagnac (1843). « Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts gelés pendant la nuit… J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés », raconte complaisamment Saint-Arnaud (1843, 1851). En 1845, Pélissier extermine quasiment toute la tribu des Ouled-Riah, réfugiée dans la grotte de Ghar-el-Frechich, par enfumade conformément à la doctrine Bugeaud. Pélissier comme Saint-Arnaud seront bien entendu eux aussi Maréchaux de France. De tels hauts faits d’armes le méritaient bien…

 

(1) On peut en trouver une recension sur le site de Jacques Morel : lafrancenestpaslepaysdesdroitsdelhomme.world.com

 

NIR 249. 17 juin 2020