La fabrique du macronisme (III)

     La multiplicité des signes de l'idéologie macroniste semble constituer un corpus spécifique tant ces signes sont ardemment relayés par des médias empressés dont le zèle unanimiste dans la célébration du pouvoir a rarement atteint ce degré de consentement. Rappelons au passage que les médias, bien qu'aux mains de puissances d'argent qui ont intérêt à voir encenser un politicien qui est des leurs, n'ont nul besoin de directives pour se livrer à un indécent concert de louanges. C'est un concert sans concertation, une orchestration sans chef d'orchestre, une connivence spontanée établis de longue date entre des chefferies éditoriales qui ne sont là que parce qu'elles sont structurellement prédisposées et préparées pour ce rôle. L'adhésion, parfois naïve, en tout cas jamais interrogée, à l'ordre établi qui descend, par intérêt ou conviction, le plus souvent jusqu'au journaliste de base ne saurait être revendiquée et argumentée et « elle ne prend qu'occasionnellement la forme d'un choix délibéré, explicitement motivé, rationnellement argumenté et soutenu de bout en bout » (voir la réédition d'un texte d'Alain Accardo sous le titre Pour une socioanalyse du journalisme, Agone, 2017). C'est ainsi que n'importe quel journaliste peut proclamer fièrement que c'est librement qu'il écrit ce qu'on attend de lui qu'il écrive.

     C'est un aveuglement volontaire qui va donc empêcher de voir à quel point l'idéologie macroniste ne relève que du conformisme le plus platement bourgeois y compris dans ses aspects les plus prétendûment modernistes. Aveuglement comme celui de M. Bruno Dive qui, dans Sud-Ouest, voit Edouard Philippe, le pâle Premier Ministre, en « incarnation du renouveau », un renouveau passé par l'ENA, haut-fonctionnaire au Conseil d'Etat, avocat d'affaires, cadre d'Areva, maire du Havre depuis plusieurs années... Un vrai jouvenceau de la politique ! Il faut lisser le macronisme pour en faire la morale politique de notre temps. On minimisera les curieuses pratiques de M. Ferrand qui relèvent au minimum d'un affairisme devenu il est vrai une conduite éthique puisque le seul but dans la vie doit être de s'enrichir. On évitera de même de rappeler que Jupiter lui-même, en son temps, a vulgairement évoqué avec Laurence Parisot la possibilité d'occuper le poste de directeur général du MEDEF (Rafaël Cros, chercheur en sciences politiques, le Monde, 26.05.2017).

     Mais surtout, il faut occulter la nature de classe du nouveau pouvoir dont les choix clairement affichés en faveur des plus fortunés doivent, comme d'habitude, passer pour conformes à l'intérêt général. C'est ainsi qu'il y a plafond et plafond : plafonner les indemnités prudhommales pour les salariés est, paraît-il, vital pour l'emploi, plafonner les revenus des grands patrons serait par contre dangereux et « antiéconomique » ; chez les travailleurs, la protection sociale est un privilège archaïque tandis que chez les riches l'impôt sur la fortune est une injustice abominable. A l'égard des classes populaires, les clichés bourgeois les plus triviaux surgissent spontanément. Paternalisme grossier : « vous ne me faites pas peur avec votre tee-shirt », « les mineurs ne sont pas des lâches »... Morgue moralisatrice : « pour avoir un costard, il faut travailler », « quand on est jeune, 35 heures c'est pas assez, on veut travailler plus », « la pénibilité c'est une vision doloriste du travail »... Comme si ce bourgeois cynique a jamais pu savoir ce qu'était la pénibilité du travail dans ses confortables bureaux climatisés de la banque ! Bref, le répertoire habituel du mépris de classe.

      Selon l'INSEE, parmi les personnes qui ont un emploi, 21% sont ouvriers et 29% employés,  représentant donc 50% de ceux qui ont un emploi. On admettra facilement que les caissières de supermarché, par exemple, classées comme « employées », sont tout autant exploitées que les ouvriers stricto sensu, ce qui fait qu'en ajoutant les chômeurs et les retraités de ces mêmes catégories, les classes populaires ainsi constituées sont largement majoritaires dans ce pays. Avec les professions dites « intermédiaires » (personnel soignant, enseignants...) cela fait les trois-quarts de la population : l'inverse exact de la composition sociale de la nouvelle assemblée. Mieux, le chercheur Luc Rouban (www.enef.fr) a étudié les affiliations sociales des 529 candidats macronistes aux législatives : les chefs d'entreprise, cadres supérieurs et professions libérales sont 68,5% ! Un « renouveau limité », comme conclut pudiquement le chercheur.

 

NIR 187. 3 juillet 2017