La fabrique du macronisme (II)

     Il faut bien le dire, la fabrication du mythe macronien a frôlé des sommets de complaisance, de servilité et de … ridicule ! On nous a d'abord fait le coup du banquier philosophe. M. Macron, on le sait, a fait fortune à la Banque Rotschild (évitez ce nom, vous risquez l'accusation d'antisémitisme) mais il a aussi côtoyé le philosophe Paul Ricoeur. On nous l'a répété sur tous les tons, ce qui lui a valu illico le même statut de « philosophe ». Ici aussi évitez de rappeler, ce serait mal élevé, que Paul Ricoeur, philosophe incontestable et qui a produit quelques concepts que l'histoire de la philosophie retiendra, a aussi été un authentique pétainiste. Il s'est rattrapé en devenant le maître à penser de la revue Esprit, vaguement de centre gauche, et couveuse et inspiratrice de la « deuxième gauche ».Voilà donc Macron consacré « philosophe » pour avoir approché Ricoeur, « compagnonnage » affirme même le Monde, ce qui fait de lui quasiment un égal et permet de définir pompeusement son opportunisme attrape-tout (le fameux « et en même temps... ») comme une « façon de penser syncrétiquement la politique »! Il a publié un article dans Esprit, ce qui, apparemment, n'a pas bouleversé l'histoire contemporaine mais ferait de lui, sans trop d' exigences, un « philosophe ». Bourdieu parlait, à propos de quelques autres imposteurs, de « port illégal d'uniforme philosophique ». Les trois notes de lecture (rémunérées à prix d'or) de Pénéloppe Fillon dans la Revue des deux mondes doivent aussi faire d'elle une éminente critique littéraire.

     Là, c'est de la prétention. Mais il y a des côtés parfaitement risibles. Macron lui-même fait dans la mégalomanie, présentant son pouvoir, tel un bateleur, comme « jupitérien », ce qui a fait se pâmer les courtisans là où une telle emphase devrait prêter à rire. Jupiter, le roi des dieux, à « la parole rare et foudroyante ». Présomption comique. Selon M. Alain Touraine, zélateur convaincu et accessoirement sociologue toujours bien en cour et pas dérangeant pour deux sous, Macron est le « maître des horloges ». Si, si! Et démiurge, sans doute, de la foudre et du vent. Mieux, « il a fait revenir le soleil » (métaphoriquement quand même) délire M. Touraine... On a même suggéré que notre Jupiter tonnant avait fait trembler Trump et Poutine... Qui en rient encore ! Où cela va-t-il s'arrêter ? Macron a confié, on le sait, sa nostalgie de « la figure du roi ». On le voit déjà en roi thaumaturge guérissant les lépreux par imposition des mains et tenant  bras de justice sous un chêne dans les jardins de l'Elysée. Il a même déjà fait un miracle en ressuscitant Bayrou d'entre les morts politiques ! Je n'exagère pas. Tout est affaire de ce qu'on appelle aujourd'hui le storytelling, c'est-à-dire un récit édifiant, une histoire inventée par les spécialistes de la dorure de pillule que sont les « communicants » pour berner les foules qu'ils méprisent et qu'ils pensent suffisamment crédules pour gober leurs bobards.

     Mais l'essence du mythe macronien, c'est la modernité, la jeunesse, le renouvellement...Il « dérange », clament ses dévots. Il dérange qui ? Pas le MEDEF en tout cas. Selon le nouveau cliché à la mode, il « casse les codes ». Lesquels ? Certainement pas ceux de l'ultralibéralisme. Mme Fressoz, journaliste au journal le Monde, qui croit faire de l'analyse politique en compilant et recyclant les lieux communs véhiculés par ses confrères, s'enthousiasme : c'est « un trublion ». Mais il trouble quoi ? Evidemment pas l'ordre établi dont il veut renforcer les modes de domination en « neutralisant les antagonismes sociaux à travers la régulation de notre manière de parler », comme dit le (vrai) philosophe Slavoj Zizek. Le « ni gauche, ni droite », c'est le nouveau politiquement correct. C'est surtout une escroquerie car l'opposition entre la gauche et la droite n'est fondamentalement ni politique (on a vu la « gauche » officielle faire une politique de droite), ni même idéologique (on a vu la « gauche » officielle se convertir au libéralisme et au mépris de classe) mais axiologique, c'est-à-dire qu'il y a bien deux systèmes de valeurs définitivement antagonistes et inconciliables : justice sociale et égalité à gauche, inégalité, concurrence, hiérarchie à droite. Ce qu'incarne Macron, n'est assurément pas le renouvellement mais le vieux capitalisme libéral, « la liberté d 'entreprendre et de s'enrichir sans limite, la concurrence, l'appétit pour la réussite, l'affirmation répétée du caractère nuisible de l'égalité » (Alain Badiou (vrai philosophe), le Monde, 19.04.2017).

 

NIR 186. 18 juin 2017