La fabrique du macronisme (I)

     Le mythe macronien du changement, de la « modernité » et même de la « fraîcheur » a été méticuleusement construit. Opération nécessaire afin de masquer ou maquiller le caractère profondément conservateur de la démarche macronienne. Il n'est pas besoin d'imaginer on ne sait quel complot pour comprendre que les dominants ont besoin en permanence de dispositifs divers pour perpétuer leur pouvoir de classe. La violence physique n'est plus indispensable, sauf occasionnellement, comme on l'a vu lors de la répression policière des manifestations contre la loi El Khomri. Reste la violence symbolique dont fait partie l'action politique et ses différentes manières de détourner la volonté populaire, de confisquer la parole des dominés. Le macronisme est un de ses avatars visant à maintenir et préserver la vieille anthropologie d'un libéralisme fourbu, c'est-à-dire toute une conception de l'homme et de la société qui craque de partout : des inégalités vertigineuses qui deviennent de plus en plus insupportables ; un écosystème planétaire rongé par le profit et qui se détruit sous les coups de boutoir de la prédation capitaliste. 

     Sous couvert d'une nouveauté trop ostensiblement claironnée pour être honnête, le macronisme est une tentative de sauver le credo libéral en l'universalisant à marche forcée : le dogme entrepreneurial -compétitivité, efficacité...- est imposé pour le gouvernement des hommes, la marchandisation de toute la société est exigée pour l'administration des choses. Le moyen politique en est l'affligeante vieillerie de café du commerce selon laquelle, mon bon monsieur, il y a du bon et du mauvais dans tous les partis, allez... On est en plein archaïsme radical-socialiste... Opportunisme, conformisme et complaisance avec les puissants qui ont dévoyé la IIIème République : c'est le macronisme ! C'est bien ce que disent -pour s'en féliciter- deux politologues classés à droite. Selon Pascal Perrineau, Macron, c'est « le vieux tempérament centriste (je souligne, GLS) proeuropéen, réformateur, libéral, en quête du juste équilibre entre les extrêmes » ; pour Jean-Claude Casanova, c'est « la résurgence du modèle de la concentration républicaine de la IIIème République (je souligne, GLS) fondé sur le postulat qu'il y a des idées justes à gauche et à droite et qu'il est raisonnable d'en faire la synthèse » (le Monde, 11.03.2017). Quelle « fraîcheur » !

     La fabrique du macronisme a comporté trois phases parallèles ou en léger décalage. Il a d'abord fallu constituer le personnage en le dotant du capital politique nécessaire pour s'inscrire dans la compétition électorale. Dans un deuxième temps, c'est tout un mythe qui va être échafaudé -modernité, jeunesse, intelligence, compétence...- par des médias éperdus d'admiration et rivalis ant de flagornerie, d'autant plus que la quasi totalité de ces médias est propriété de milliardaires tous chauds partisans de la macronie surtout depuis la déconfiture de Fillon. Enfin, vient un troisième moment, plus discret, celui où s'affiche un projet politique en parfaite continuité avec celui qui s'applique depuis plus de trente ans et scrupuleusement conforme aux exigences du grand capital.

     Le candidat Macron a donc fondé son personnage sur le cliché inlassablement répété du dépassement du « clivage » droite/gauche, sottement repris par quantité de dupes qui croient avoir là une pensée originale. La campagne de communication de la première phase devait rester dans le vague des propositions pour être attrape-tout, il s'agissait moins d'imposer des idées qu'une personne. Macron a, pendant toute une période, multiplié les généralités et les platitudes, formules creuses, expressions toutes faites, tournures passe-partout, tout ce qu'on appelle d'habitude langue de bois mais ici magnifiée par les médias. Petit échantillon. Ainsi le candidat se devait bien sûr d'  avoir une vision  et même une nouvelle explication du monde. Rien que ça ! Il fallait, bien entendu, repenser nos équilibres économiques et sociaux car avant son intervention messianique, les problématiques essentielles n'ont pas été posées. Ne pas oublier le couplet du rassembleur : rassembler toutes les énergies, rassembler les Français pour changer le pays (c'est bien le moins!) et même le transformer (c'est encore mieux!), grâce à, devinez quoi, une nouvelle action politique comportant d'inévitables mesures en profondeur afin de fièrement entrer dans le XXIème siècle où évidemment les défis sont complexes. On voit que n'importe quel candidat pouvait reprendre à son compte cette litanie de lieux communs. Misère de la « communication » politique.

 

NIR 185. 5 juin 2017