« Macronisme » et « mélenchonisme »

     Le macronisme s'est présenté - ce qui a fait une partie de son relatif succès- comme une nouvelle offre politique, en réalité une machinerie électorale forgée en quelques mois avec de puissants appuis. L'élément essentiel en est le « dépassement » du fameux « clivage » gauche/droite et l'insistance sur ce qui serait l'obsolescence et/ou la sclérose des partis dits traditionnels. Ce qui justifie d'écarter toute organisation un peu contraignante de façon que tout ne puisse procéder que du chef charismatique, le charisme étant cet ascendant par quoi le leader construit une emprise sur des affidés en dehors de toute démarche rationnelle, suscitant un assentiment inconditionnel reposant avant tout sur les affects, voire les pulsions. Bien sûr la démarche peut toujours, par la suite, être rationalisée et le charisme d'une personne ne vient pas de nulle part. Le mouvement politique ainsi constitué peut aisément se passer de cadres intermédiaires puisque tout émane du sommet. Il n'y a pas d'adhésions formelles mais des adeptes se comportant, au moins pour la masse d'entre d'eux, comme des supporters sans contraintes, ni organisation, ni cotisation. Un simple clic sur internet vous confère une affiliation qui ne vous engage pas à grand chose mais permet au mouvement de revendiquer une foule de partisans.

     A ce point de l'analyse, on ne peut que remarquer d'évidentes similitudes formelles avec une autre proposition politique également identifiée comme inédite que, par homologie avec le « macronisme », on appellera le « mélenchonisme ». Certes, pas d'ambiguïtés : les objectifs politiques de ces deux mouvements sont aux antipodes les uns des autres mais pour ce qui est des méthodes et des motivations on ne peut manquer de relever des points communs dont il ne suffit pas de dire qu'ils sont dans l'air du temps. Non sans raisons mais avec plus ou moins de légitimité et pas mal de démagogie, le macronisme comme le mélenchonisme se fondent sur une mise en cause claironnée de la politique « traditionnelle », ses pratiques et ses représentants. Pour Macron, selon Gilles Savary, c'est « un théâtre d'ombres qu'il méprise » (le Monde, 07.11.2017). Mélenchon, pour sa part étend, sans trop de précautions, ce mépris à des organisations qui, partageant pour l'essentiel les mêmes idées et objectifs, rechignent néanmoins à la vassalisation.

   Les appellations mêmes, La République en marche et La France insoumise, ont été soigneusement peaufinées pour marquer la distance avec la « vieille » politique. Les qualificatifs habituels, socialiste, centriste, modéré, républicain, gauche, droite, radical, démocrate... tombés en désuétude laissent la place à des mentions volontaristes : « en marche », « insoumis ». On notera cependant qu'est prudemment maintenue la référence aux totems politiques emblématiques et consensuels : la République, la France. Autre point commun, l'élasticité de l'organisation. L'absence d'échelons intermédiaires ne laisse comme principe unificateur que la parole du chef et de ses trois ou quatre proches les plus autorisés. Elle permet d'entretenir chez les affiliés de base l'illusion d'une autonomie et d'une liberté d'action qui n'auraient guère de portée sans la référence à la figure tutélaire qui incarne le mouvement. Reste à l'entre-soi militant des pratiques comme l'usage fréquent du prénom, Emmanuel, Jean-Luc, pour simuler une proximité symbolique réconfortante

.      On relèvera enfin dans les deux cas une semblable tendance à l'hégémonie dans leur camp respectif. On a vu Macron phagocyter la social-démocratie et préempter le programme d'une droite réduite à de la figuration. Pour J-L Mélenchon, toute entente à gauche n'est qu'accord de sommet et pratique d'appareil. Seul est concevable le ralliement. On l'a vu récemment sur son blog (16 octobre 2017) faire la leçon aux syndicats pour, selon lui, une « bataille mal menée » contre la loi travail, étaler ses états d'âme sur ce qu'il désigne comme la « défaite du mouvement ouvrier traditionnel » et, du haut de son magistère, appeler les syndicats à « se ressaisir » ! Fantasme de toute puissance commun chez l'homme de pouvoir. Certains en ont goûté lors des investitures de la France insoumise pour les législatives, J-L Mélenchon jouant les grands seigneurs en accordant de manière discrétionnaire sa bienveillante onction aux catéchumènes méritants -Clémentine Autain ou M-G Buffet, par exemple- et en la refusant aux impudents qui, comme la sociologue Monique Pinçon-Charlot, pensaient alliance et non allégeance...

 

NIR 193. 13 novembre 2017