L’éternelle inconduite des pauvres

 

Ils ne changeront jamais. Héritiers arrogants de la galette de papa, parvenus enrichis dans la noblesse d’État et ses prébendes, actionnaires assoupis sur leur tas d’or, tous n’auront jamais assez d’invectives contre les vices supposés des salariés en général et des plus pauvres en particulier… Tout en prétendant ou feignant de croire qu’ils ne doivent leur propre position de dominants qu’à leur mérite ou leurs « talents ». On ne s’étonnera pas de trouver leurs représentants les plus agressifs et les plus bruyants dans le mouvement politique dit « Les Républicains » où l’on cherche à se faire, semble-t-il, une spécialité de la haine et du mépris de classe. On a donc eu droit au « marronnier » de rentrée sur le supposé scandaleux détournement de l’allocation de rentrée scolaire dans les milieux populaires. Ce n’est plus au cabaret (encore que…) que les mauvais pauvres dilapident les somptueuses gratifications que leur octroie libéralement la générosité publique mais dans la surconsommation compulsive et effrénée des produits de l’industrie audio-visuelle… On a même entendu, précédemment, un ex-ministre (indigne) de l’Education nationale ironiser sur le pic de vente des « écrans plats » du au versement de la dite allocation. Aucune étude sociologique ne permet de l’affirmer mais l’on sait M. Blanquer très fâché avec la sociologie.

 

Il y a en outre une symbolique de l’écran plat comme marque du mauvais goût populaire et de l’inconséquence des basses classes se ruant sur des biens de consommation futiles et vains. La comparaison s’impose avec la distinction du goût bourgeois qui, les finances aidant, va se tourner vers la Rolex, la Ferrari, le yacht, le jet privé… toutes consommations économiquement superfétatoires mais nécessaires au prestige social, au souci de se distinguer et de ses pairs et d’une plèbe à la fois ignorée, crainte et méprisée. Le comble de la distinction va consister à singer les pauvres tels que les imagine le goût raffiné avec, par exemple, ces chaussures dites « Converse » vendues 1 500 € après avoir été soigneusement dégradées et déchirées, ce qui passe pour faire très peuple dans les cocktails mondains 1.

 

Il s’est donc trouvé une clique de députés « Les Républicains » pour déposer une proposition de loi visant à transformer, faute de la supprimer, l’allocation de rentrée scolaire en bons d’achat dûment estampillés « fournitures scolaires ». Ces gens connaissent bien l’irresponsabilité des pauvres, leur insouciance et leur imprévoyance qui sont les causes premières de leur impécuniosité. Car tout cela n’est qu’une question de morale. Le député « Républicain » sait combien il faut constamment lutter, depuis toujours, contre ces vices structurels dans les basses classes, la fainéantise, la débauche, l’alcoolisme… auxquels on doit ajouter aujourd’hui les fraudes aux allocations pompeusement rebaptisées « fraude sociale » où les chômeurs en particulier seraient passés maîtres. Le pauvre a, il est vrai, toujours été retors pour extorquer des subsides à la bonté des riches !

 

En réalité, les possédants n’ont jamais admis que les exploités aient obtenu de se prémunir contre les accidents de la vie : maladie, accident, chômage, vieillesse, tout ce qu’on appelle la protection sociale. Pour stigmatiser ces indemnisations, légales et légitimes, les conservateurs ont inventé le terme d’« assistanat » qui n’est qu’une façon de rejeter tout système de redistribution des richesses et de solidarité. Au congrès des « Jeunes Républicains » (ça existe!), l’un d’eux profère : « le social, c’est l’assistanat, c’est ce qui ruine notre économie »2. Ce triste individu qui se dit jeune se croit en fait au XIXème siècle où le traitement du pauvre ne pouvait relever que de la miséricorde, de la charité chrétienne et du bon vouloir des nantis. Ne nous y trompons pas : ce ne sont pas les seuls « bénéficiaires » des « minima sociaux » qui sont visés mais tout notre système de couverture sociale.

 

Ce qu’on appelle dédaigneusement les « allocs » relève d’un ensemble de droits acquis et même conquis par des décennies de luttes sociales. La première loi d’assurances sociales date de 1928. Le « Jeune Républicain » comme le député LR rêvent de revenir à la situation antérieure. Certes, il vaut mieux avoir un bon salaire qu’une allocation… Comme il vaut mieux être bien portant que malade ! Mais il est sidérant de voir la droite se mettre à revendiquer ce qu’elle nomme « valeur travail », un travail dont ses affidés ignorent à peu près tout sinon que c’est lui qui produit les richesses qu’ils accaparent. On va y revenir.

 

NIR 278. 14 septembre 2022

1L’Humanuté Magazine, 1er-7 septembre 2022.

2L’Humanité, 05.09.2022