Le virus, la Chine et le pangolin
C’est entendu, le régime et le gouvernement chinois ne sont pas des modèles de vertu démocratique. Le qualificatif de « communiste » dont on les affuble est pour le moins problématique, voire complètement abusif . On reconnaît mal dans ce communisme-là les idées de Marx et d’Engels même s’ils s’en réclament. Mais cela permet au moins aux Etats dits démocratiques d’avoir une tête de turc commode, même si c’est un peu bizarre pour un Chinois… Voilà une diversion opportune et un bouc émissaire idéal : tout est de la faute des Chinois ! Les vieux fantômes du péril jaune ne demandent qu’à se réactiver et la sinophobie à prospérer. Cela est d’autant plus facile dans notre beau pays que l’idéologie républicaine coloniale nous a doté d’un sérieux argumentaire : le « Jaune » (et plus particulièrement « l’Annamite », comme on disait au bon vieux temps des colonies, mais de toute façon ils se ressemblent tous, n’est-ce pas…) est fourbe, dissimulé, menteur, hypocrite, sans probité, trompeur, voleur, obséquieux, il a la science de la bassesse, de l’intrigue, de la ruse (Alain Ruscio, Le Credo de l’homme blanc, Complexe, 1995). A en croire nos médias et nos gouvernants n’a-t-on pas ici le portrait tout craché de l’infâme Xi Jinping lequel, selon une docte sinologue, Alice Ekman, serait en échec, diplomatiquement, économiquement, sanitairement parce que c’est un « marxiste convaincu ». Fine analyse !
On peut même actualiser cet authentique portrait chinois par la révélation que ces barbares vont jusqu’à se repaître d’animaux sauvages tel ce délicieux pangolin, totalement inconnu jusqu’à ce jour dans nos pays, et qui fait désormais l’objet d’une attention aussi affectueuse qu’inattendue. Il paraît même que ces primitifs font avec ses écailles une poudre de perlimpinpin… Ce n’est pas dans nos contrées homéopathes que l’on ferait confiance à de pareilles mixtures. Sans parler de ces horribles « soupes de chauves-souris » prenant la suite de la fameuse « soupe aux nids d’hirondelles »… Décidément, ces gens ne sont pas comme nous…
Dans le domaine de la géopolitique, c’est encore pire. Après que le pitre sinistre qui sévit à la Maison Blanche ait parlé de « virus chinois », on parle maintenant de « virus communiste ». Dans l’Amérique profonde, haut-lieu de l’obscurantisme trumpiste, on proclame que « le communisme tue plus que le virus ». Au Brésil, la prestigieuse école philosophique qu’est le bolsonarisme a sa théorie : la pandémie de Covid-19 est un « complot communiste » ! Avec un peu plus de prétentions intellectuelles, Mme Sylvie Brunel, présentée comme géographe et écrivaine par Sud-Ouest du 02.05.2020, nous livre le répertoire halluciné de tous les poncifs possibles sur l’Empire du mal que serait donc la Chine : « Empereur rouge », « Dragon », « ardent désir de revanche », « sourire bonasse », « volonté de fer », « contrefaçons », « espionnage », « opacité »… Et surtout la « faute chinoise » d’avoir laissé se répandre un virus mortel. On notera ici que la théorie du complot, ardemment dénoncée par les beaux esprits dans toute critique un peu acérée de l’ordre néolibéral, fonctionne par contre à merveille à propos de la Chine. Comment le virus s’est-t-il échappé du laboratoire de Wuhan ? C’est suspect… Qu’est-ce que le pouvoir chinois nous cache, hein ? « On ne sait pas tout », ose même Macron comme pour détourner l’attention de la faillite de sa propre gouvernance sanitaire : manque de masques, absence de dépistage, morts dans les EHPAD…
Le pouvoir chinois pratique à l’évidence une politique de grande puissance, comme n’importe quelle autre. Mais il n’a pas « désindustrialisé le vieil Occident » comme déraisonne Mme Brunel. La Chine n’a pas eu besoin d’intriguer pour que les capitalistes de tous pays lui refile la production de tout ce qui n’était pas rentable à leurs yeux. Ainsi, on essaye aujourd’hui de faire passer Roselyne Bachelot pour une ministre de la santé qui aurait tout anticipé : c’est sous son ministère qu’a été fermée la dernière usine en France (Rhodia, Isère) fabricant le principe actif du paracétamol. Il est produit maintenant en Chine, comme 90 % de la pénicilline et 80 % de la vitamine C… Alors il paraît que l’aide de la Chine au monde n’est pas désintéressée. Pas possible ! Elle viserait l’hégémonie mondiale en commençant par l’Afrique et en imposant un soft power. Le capitalisme que les Chinois pratiquent à merveille leur en a donné les moyens. Peut-être à ses dépens… On ne sortira pas nos mouchoirs…
NIR 247. 20 mai 2020