La légalité capitaliste IV
Nous l’avons vu, Sarkozy sait user et abuser de la loi pour le plus grand profit de ses amis les puissants, mais aussi, on en reparlera, pour réprimer avec fébrilité toute forme réelle ou supposée de mise en cause de l’ordre ultralibéral. La frénésie sécuritaire n’est cependant pas une lubie sarkozyste mais bien un mode de fonctionnement de l’Etat néolibéral. Par ailleurs, Sarkozy, en bon libéral, va se défier de toute loi régulant véritablement les activités du marché, loi qui, selon le dogme, ne ferait qu’entraver le libre-échange et « l’esprit d’entreprise ».
Il est même allé plus loin et, s’il est une constante de son activisme politique, c’est bien le projet obstiné de « dépénalisation de la vie économique » et, plus précisément, du « droit des affaires ». Les entrepreneurs seraient « victimes d’une guerre judiciaire sans merci » qui décourage, bien sûr, « le goût du risque et le goût d’entreprendre si, au risque financier, s’ajoute systématiquement le risque pénal ; si la moindre erreur de gestion peut vous conduire en prison. La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur, je veux y mettre un terme » (discours à l’université d’été du MEDEF, août 2007). En réalité, bien entendu, une simple « erreur de gestion » n’a jamais conduit en prison, il faudrait qu’une intention frauduleuse ait été démontrée, ce n’est plus alors une « erreur » : la plus grande partie de la rhétorique sarkozyste est faite de ce genre d’approximations. Selon les chiffres du journal le Monde (septembre 2007), en 2005, sur 3,8 millions de condamnations pénales, il y en aurait eu 18 000 en matière économique, soit 0,5%, se répartissant à peu près pour moitié entre infractions à la législation du travail (on en parle peu) et délits économiques et financiers ( banqueroutes, abus de biens sociaux, achats et ventes sans facture, infractions aux règles de la concurrence, fraude fiscale...). Et 80% des peines se réduisent à un emprisonnement avec sursis ou à une simple amende... Avec ça on voudrait nous faire croire à l’angoisse permanente de pauvres patrons proies sans défense d’une véritable terreur judiciaire!
Ils n’en ont jamais assez. L’abus de biens sociaux consiste à détourner des biens ou agir dans un but d’enrichissement personnel aux dépens d’une entreprise ou d’une société où l’on a des intérêts. Le délai de prescription en est de 3 ans à partir de la date où l’infraction a été découverte ; sans vergogne, le MEDEF propose de le faire partir de la date où le méfait a été commis. Ce qui augmente d’autant la possibilité d’effacement des turpitudes patronales. C’est malin : pas vu ou vu trop tard, pas pris! Voilà qui est moral! Pendant ce temps, la fraude fiscale équivalait, en 2005, au déficit du budget! Et il paraît que ce sont les dépenses publiques qui déséquilibrent celui-ci. Il faut donc supprimer des emplois de fonctionnaires. Et justement, comme par hasard, depuis 2002, les effectifs spécialisés dans la délinquance économique et financière ont été décimés. Il est vrai que, depuis 2001, plus de la moitié des 140 sanctions pénales du droit des sociétés ont été supprimées! C’est Thélème : « fais ce que voudras! » C’est tout bénéfice, on supprime des fonctionnaires et on allège les contrôles. De même, la DGCCRF (contrôle de la formation des prix, surveillance de la qualité des produits) va être démantelée : de nouvelles directions départementales vont être placées sous l’autorité des préfets qui veilleront à modérer et à rendre vaines les actions des fonctionnaires, ce qui permettra de protéger les patrons peu scrupuleux... Mais si, il y en a!
Et pourtant la présidente de l’Institut français des experts-comptables assurait, en septembre 2007, que « les besoins de sécurité des patrons ne sont pas suffisamment pris en compte ». Sécurité contre quoi? C’est au nom de « l’insécurité juridique » des entreprises que le pouvoir cherche à légiférer sur cette monstrueuse pratique du « prêt de salariés » récemment dénoncée dansl’Humanité (4 et 20 mai 2009). Ici la loi retrouve soudain toutes ses vertus pour couvrir l’inhumanité d’un capitalisme où l’on peut louer un travailleur au même titre qu’un objet ou une machine-outil. C’est toute l’ignominie d’une expression comme « marché du travail », trop communément admise par les organisations de travailleurs elles-mêmes! C’est le vieux rêve libéral du contrat « librement » passé entre un patron « libre » et un travailleur « libre », sans garanties collectives et le moins possible d’obligations pour le patron forcément en position de force...
25 mai 2009