La légalité capitaliste III
Nous venons de vivre un second moment de la manipulation sarkozyste de la légalité. S’il y a en effet une « bonne » légalité pour les capitalistes, malgré leur méfiance libérale pour tout ce qui relève de la loi, il peut y en avoir une tout à fait indésirable qu’il faut à tout prix écarter. C’est toute la pantalonnade à laquelle on vient d’assister autour de « l’encadrement » de la rémunération des patrons. Les sur-rémunérations patronales sont connues depuis longtemps. Ne mentionnons, pour mémoire, que Forgeard (EADS) ou Tchuruk (Alcatel) dont la rapacité, en avril 2007, avait fait scandale. La présidente du MEDEF, Laurence Parisot, se disait déjà « stupéfaite »! Deux ans plus tard, elle nous a rejoué le même sketch. Libération, le 31.03.2009, vient de découvrir la lune sous le titre: « Ces patrons qui se goinfrent ». Il y a quatre ans, le 11.02.2005, le même journal faisait doctement la leçon: « s’en prendre aux banquiers est une figure obligée, et facile, de toute démagogie populiste » (cité par le Plan B, avril 2009). Quelle perspicacité!
Voilà donc Sarkozy qui proclame noblement la nécessité de « moraliser » le capitalisme, mais finalement, nous a-t-on dit, « hésite » (le Monde) ou « répugne » (Sud-Ouest) à légiférer sur les revenus des grands patrons. On l’a vu, il n’avait par contre ni hésité ni répugné à légiférer pour de somptueux cadeaux fiscaux. Selon l’Elysée, « la morale et la décence sont des choses difficiles à instituer par la loi », ce qui est tout de même une considération assez sidérante qui ne s’applique, à l’évidence, qu’à une nomenklatura au-dessus du droit commun! C’est que, paraît-il, vous comprenez, il faut « conserver les compétences » (des banquiers), selon Daniel Bouton, dont la « compétence », on le sait, a mis à mal la Société générale; il faut se garder des « dispositifs confiscatoires », selon Philippe Marini, parlementaire célèbre pour avoir proposé d’exempter d’impôts les actionnaires ayant perdu de l’argent dans la crise et, par contre, proposé de supprimer la demi-part supplémentaire dans la déclaration de revenus des mères ayant élevé seules leurs enfants. Un grand humaniste!
Ainsi toute la « morale » du capitalisme va consister à mettre la loi au service des puissants quand cela s’avère utile mais à repousser sans vergogne toute disposition législative visant à ne serait-ce que tempérer les appétits de profit de ce qu’on appelle « l’initiative privée ». Par contre -et le discours sarkozyste est ici exemplaire- le laxisme face à la délinquance des « élites » va aller de pair avec la stigmatisation permanente des dominés, que ce soit, comme en ce moment, à propos des « bandes de jeunes » ou de la « séquestration » des patrons. Là, la loi retrouve brusquement toute son importance et, comme a osé l’écrire cyniquement le journal les Echos: « la loi est nécessaire pour faire échec aux bandes de jeunes de banlieue, la morale est suffisante pour faire bouger les chefs d’entreprise » (cité par le Plan B). A Nice, le 21 avril, l’Humanité l’a relevé, au cours d’une table ronde, lorsque le directeur régional des services fiscaux s’est risqué à évoquer la « délinquance financière organisée », Sarkozy a préféré parler des « voyous (qui) manifestent avec des masques et des cagoules ». On fait alors semblant de découvrir des violences dans les manifestations alors qu’un bonne partie en est imputable, c’est classique, aux provocations policières, comme on l’a vu à Strasbourg et à la fin de la manifestation du 1er mai à Paris où les cagoulés n’étaient pas ceux que l’on croit (voir sur www.article11.info , avec photos à l’appui).
Même chose pour les « séquestrations » de patrons. Raffarin en appelle à l’Etat de droit et à la « fermeté » contre les salariés en colère afin que la France reste « attractive » pour les patrons! Le patron de Molex met élégamment en cause le « niveau intellectuel de certains salariés » mais omet de dire qu’une plainte déposée contre la direction pour délit d’entrave est au point mort depuis 6 mois alors que des salariés qui avaient retenu deux cadres ont été convoqués dans les 24 heures. Même le Nouvel Observateur (30 avril- 6 mai 2009) voit là comme une forme de justice de classe. Cela confine au grotesque chez un Elkabbach suppliant Sarkozy d’intervenir car aujourd’hui, « c’est la chasse aux possédants, la chasse aux riches, la chasse à tous les patrons. Il faut peut-être, si vous permettez, que vous abaissiez le climat sinon, bientôt, on entendra: Ah, ça ira, ça ira, les banquiers et les patrons à la lanterne! » (cité par le Plan B). Ma foi... Terrifiant, en effet. C’était le 1er avril sur Europe1. Et ce n’était pas un poisson!
11 mai 2009