De l'utilité des riches

Flânant dans la presse de droite, on ne peut manquer, aujourd'hui, de tomber sur l'Express... Ah, l'Express, ce fut quand même une histoire : sous l'impulsion du flambard Jean-Jacques Servan- Shreiber, ce journal se voulut, dés les années 50, le promoteur d'une gauche « moderniste » qui ne déboucha jamais que sur le boboïsme... Mais Françoise Giroud, aussi surfaite en soit l'image fabriquée par la corporation journalistique, c'était tout de même autre chose que le jacassant Christophe Barbier. Et puis il y avait François Mauriac et son « Bloc-notes ». La naïve dévotion gaulliste de Mauriac n'arrivait pas à ternir une hauteur de vue et de style qui ne manquait pas d'impressionner le jeune intellectuel que j'étais. L'Express de l'époque pouvait écrire : « M. Pinay (alors ministre des finances de de Gaulle, GLS) ne veut pas faire de peine aux Français possédants et entend gérer la France comme un boutiquier » (23.02.1958). Une politique que l'Express d'aujourd'hui approuverait. Commentant une sombre affaire d'héritage et de meurtre du moment -l'affaire Lacaze-Walter- dans son bloc-notes du 29.01.1959, Mauriac évoquait Mammon -le démon de la cupidité dont l'Evangile de Matthieu dit : « on ne peut pas à la fois servir Dieu et Mammon »- et stigmatisait « l'impudence de ces grands riches qui se croient les maîtres même de la justice au point qu'ils s'arrogent le droit de vie et de mort sur ceux qui s'opposent à leurs desseins ».

Il n'y a plus de Mauriac à l'Express. Mais il y a... M. Christian Saint-Etienne ! On mesure la dégringolade ! Ce personnage est un membre éminent de cette confrérie des économistes à gages et bien nourris dont j'ai déjà parlés. C'est donc un desservant zélé du culte de Mammon, en d'autres termes un grand défenseur des riches qui gémit : « la volonté de taxer fortement le capital et plus encore les « riches » (guillemets garantis Saint-Etienne, GLS) montre que ceux-ci sont perçus comme une charge et non comme une chance » (23.07.2012). Il faut oser... Mais, comme aurait pu dire Michel Audiard, c'est à ça qu'on reconnaît les économistes officiels : ils osent tout ! Examinons donc cette « chance » d'avoir des riches et la nature de leurs « initiatives entrepreneuriales ». Entre mille faits, c'est grâce aux riches que « l'industrie du luxe se joue de la crise » (le Monde, 08.08.2012). Cela fait chaud au cœur de savoir qu'un « nombre grandissant de clients extrêmement fortunés dans le monde entier permet aux groupes de luxe de proposer année après année des prix toujours plus stratosphériques ». Il paraît même que la recherche de distinction fait préférer aux « vrais acteurs du luxe » des prix toujours plus élevés pour en accroître le prestige. C'est à ça que servent les beaux héritages chers à M. Slama.

Nos « grands » entrepreneurs ne sont pas en reste : le vice-président de LVMH, un certain Pierre Godé, a « levé » 6,5 millions d'euros de stock-options le 31 juillet. Quelle « chance » d'avoir d'aussi d'efficaces racketteurs dont un expert en investissement a pu dire que leurs rémunérations démesurées revenaient à « piller les sociétés de l'intérieur au détriment des actionnaires ». Et M. Saint-Etienne qui veut nous faire croire que cela est « utile »... A qui ? Comme ces 17 000 à 26 000 milliards (on ne sait pas trop... cf Gérard Streiff, l'Humanité, 29.08.2012) d'euros planqués dans les paradis fiscaux... Et qu'est-ce que j'apprends ! L'ineffable baron Seillère serait suspecté d'avoir monté une vertigineuse arnaque fiscale ! Quel délicat exemple donne ainsi celui qui fut si longtemps, selon le piètre cliché journalistique, le « patron des patrons ». Seillère, vous savez, celui qui rabâchait que les Français ne travaillent jamais assez, s'est attribué , avec 13 autres dirigeants de Wendel, 326 millions d'euros d'actions en feintant l'impôt. Pour le prix de quel travail ? Et pour quelle utilité sociale ?. Vraiment on méconnait trop notre « chance » d'avoir des riches aussi opulents et habiles... Et aussi honnêtes...

3 septembre 2012