Le prix de la force de travail

On sait combien les patrons sont experts en jérémiades. Ils ne sont jamais responsables de rien et se présentent constamment en victimes : de l'Etat qui les « contraint », de l'impôt qui les « décourage », des salariés qui les ruinent... On connait leur rengaine sur le « coût du travail ». Leurs idéologues ne se rendent même pas compte qu'ils rendent ainsi un hommage inattendu à la théorie marxiste de la force de travail. La force de travail est la seule marchandise dont dispose les travailleurs dans la société capitaliste. C'est cette marchandise que les exploiteurs vont acheter à des non-possédants qui n'ont à louer que leurs bras et leur cerveau (Karl Marx, Salaires, prix et profit, Editions Sociales, 1966, pp. 43-47). Qu'est-ce que font donc les patrons aujourd'hui sinon discuter âprement pour acheter cette marchandise le moins cher possible -sur ce qui n'est pas le « marché du travail », mais un marché de la force de travail- d'autant que le salarié produit une valeur bien supérieure à ce qu'il peut « coûter ».

Francis Velain, secrétaire de l'UGICT Métallurgie CGT, rappelle même que le cher Adam Smith des libéraux n'est pas loin de cette analyse : « la valeur que les ouvriers ajoutent à la matière se résout en deux parties dont l'une paye leur salaire et l'autre les profits de l'entrepreneur » (l'Humanité, 2/3/4.11.2012). Ce sont bien les salariés qui produisent la valeur, donc la richesse, et non l' « entreprise », encore moins l'« entrepreneur » ! Comme dit encore Marx, « le capital ne produit aucune valeur. En dehors de la terre, c'est le travail qui est l'unique source de la richesse » (p.79). Une partie de la valeur produite sert donc à rémunérer les travailleurs. Ce n'est pas un « coût » même si la force de travail a un prix que les employeurs depuis toujours cherchent à minimiser jusqu'à tendre, pourquoi pas, vers zéro... Sauf qu'il faut normalement un minimum de subsistance pour le renouvellement de cette force de travail... Mais les patrons n'en ont cure et se reposent volontiers aujourd'hui, pour entretrenir la masse des exploités dans laquelle ils puisent, sur un « modèle social » que, par ailleurs, ils font profession d'exécrer. C'est ainsi que M. Le Boucher ose écrire : « Les Français acceptent facilement le chômage . Ils sont indemnisés » (les Echos, 26/27.10.2012). On souhaite vivement à M. Le Boucher de se retrouver dans la peau du chômeur moyen, il ferait moins le fier !

La force de travail a, comme toute marchandise, une valeur objective déterminée par « la valeur des objets de première nécessité qu'il faut pour produire, développer, conserver et perpétuer la force de travail » (p.47). C'est sur cette valeur, constituant une rétribution minimale, que les patrons se sont toujours efforcés de rogner obstinément, froidement, impitoyablement... Lorsque la loi du 21 mars 1841 interdit le travail des enfants de 8 ans et « limite » celui des 8 à 12 ans à 8 heures par jour, on imagine sans peine qu'il a bien dû se trouver une quelconque baronne Parizot, propriétaire de filature à Roubaix, pour hurler au renchérissement insupportable du « coût du travail » et que cela allait la « décourager d'entreprendre ». Les historiens s'accordent d'ailleurs pour dire que cette loi est restée lettre morte ! Il est clair que la force de travail d'un enfant s'achète moins cher que celle d'un adulte. Cela peut donner des idées. Et ça en donne.

On sait depuis longtemps que nos vertueux entrepreneurs occidentaux exploitent sans vergogne la force de travail des enfants des pays dits émergents. Mais déjà en Bulgarie, les enfants de 7-8 ans sont dans les champs de tabac ; en Italie les enfants trouvent du travail plus facilement que les parents et, à Naples, 60% des enfants sont déscolarisés (l'Humanité, 14.11.2012). Toujours à la pointe du progrès, le Figaro cite parmi les « recettes qui ont fait leurs preuves contre le chômage » (26.09.2012), l'inculcation d'une « culture des petits boulots dès l'âge de 14 ans » tandis que les Echos profèrent que «l'école doit préparer efficacement les élèves à être flexibles» (12/13.09.2012). Le dressage à l'exploitation, ça doit commencer tôt ! Parmi les autres recettes miraculeuses du Figaro, on notera la généralisation des « mini-jobs de courte durée à 400 et 800 euros par mois » (c'est le fameux modèle allemand!). Quand on a le ventre plein on ne se demande même pas comment on peut subsister avec ça...

26 novembre 2012