23ème Festival du Film d'histoire. Débats people et débats sérieux
Débats people et débats sérieux
Pour ce 23ème Festival du Film d'histoire de Pessac, on a eu droit à deux sortes de débats, les débats people dans la grande salle (Fellini) avec des fauteuils de cinéma profonds et moelleux et les débats sérieux, au 3ème étage, les « cafés », avec quelques dizaines de chaises au confort douteux alignées en arc de cercle. La véritable connaissance est austère.
Les débats people réclament une vedette, ce fut donc l'organisation « maoïste » dite Gauche prolétarienne (« GP » pour les intimes) et ses fantasmes de « lutte armée ». Ceci étant censé représenter les années 70 ! Un choix aussi partiel que partial qui étonne. Les groupes trotskystes comme la JCR étaient au moins aussi actifs que les différentes chapelles maoïstes, ils n'ont ici droit qu'à la portion congrue. Quant au grand « oublié », toujours présent, jamais nommé, c'est évidemment le PCF, unique objet des ressentiments gauchistes, étendant sa grande ombre sur leurs rages impuissantes et qui ici joue les Arlésiennes à part deux ou trois mots pour en dire évidemment pis que pendre, sans que soit assurée, naturellement, la moindre défense, comme s'il s'agissait d'une affaire entendue ! Et pourtant, le fait politique des années 70 -j'y étais- ce ne furent pas les vaticinations de quelques petit-bourgeois frénétiques s'affublant d'une étiquette « marxiste- léniniste » mais bien, quoi qu'on en pense, l'Union de la Gauche et le Programme commun de gouvernement. La post-médiatisation de la Gauche prolétarienne -auto-dissoute en 1973- dont de nombreux ex-responsables ont depuis fait leur beurre dans les médias, justement, en se convertissant au néo-libéralisme, frise l'imposture.
Pour le premier débat, le « Grand Entretien », une guest-star, Serge July soi-même en majesté. Sous la houlette pateline de Michel Winock, il fallait voir July minauder : « Ah, il va falloir que je parle de moi ! » Il ne s'en priva pas. Premiers pas à Clarté, journal de l'Union des Etudiants communistes dont on ne dira jamais assez tout ce que ces gens lui doivent... Passons sur les complaisances d'ancien combattant de la « GP ». L'histoire de La Cause du peuple serait donc forcément glorieuse, mais l'instrumentalisation d'un Sartre, sans doute convaincu mais bien diminué, presque aveugle et dysphasique, l'est-elle vraiment ? Ce que July ne dit pas et que tout le monde savait, c'est que Sartre était sous l'emprise d'un quasi gourou, Benny Lévy alias Pierre Victor, dirigeant de la « GP » et qui, un peu plus tard, troqua allègrement la Révolution contre la religion en se convertissant à la mystique juive. July est passé, lui, entre toutes les gouttes pour « arriver »... Mais dans quel état ! Comme lui disait Guy Hocquenghem dès 1986 : « tu as une prodigieuse capacité d'absorption, un estomac d'autruche » (Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col mao au Rotary, Albin Michel, 1986, p.106). Un peu susceptible, pourtant, quand on lui rappelle ses palinodies. Seule question autorisée ce jour-là, je lui ai fait remarquer que, en 1973, à la fondation de Libération, il proclamait avec emphase que « la France d'en-bas, celle des champs, des usines, du métro prend la parole » et que, en 2005, en fustigeant les partisans du « non » au TCE, il désignait cette même « France d'en -bas » comme une expression « populiste » . Courageusement, July a répondu à côté en clamant sa foi dans la « construction européenne ».
Second débat à la gloire de la « GP » intitulé « Gauchistes : lutte armée ou pas ». Affriolant, non, pour une organisation que July, dans un éclair de lucidité, a défini comme « anarcho-stalinienne » ! Julliard -qui n'en fut pas- s'étant fait porter pâle, la vedette revint à Jean-Pierre Le Dantec, ex-mao reconverti, nous dit-on, dans le jardinage. Décidement, la Révolution mène à tout ! Lorsque à la fin Winock lui demande benoîtement si la « GP » n'a pas échoué, Le Dantec se rengorge : pas du tout puisque on a réussi à affaiblir le Parti communiste. Une haine intacte. On ne saurait mieux dire que, contrairement aux proclamations enflammées, la bourgeoisie n'était vraiment pas l'ennemi principal de ces maoïstes-là... Anecdote significative, l'organisation « armée » de la « GP », nommée avec grandiloquence Nouvelle Résistance populaire (NRP) était munie d'armes dépourvues de munitions ! Quel symbole : contre les militants communistes et cégétistes, les manches de pioche, contre la bourgeoisie, les pistolets à bouchons ! Le drame inavoué de la « GP » fut de n'avoir jamais eu de base ouvrière, même si certains historiens, aujourd'hui, nous dit-on, se donnent beaucoup de
mal pour lui en trouver. Constituée, pour l'essentiel, d'intellectuels traditionnels, au sens gramscien, il lui fallait en rajouter pour tenter d'exhiber sa fibre prolétarienne, essayant de compenser par un ouvriérisme caricatural la distance qui la séparait de la classe ouvrière. Les fameux « établis » ne furent jamais qu'une poignée et la greffe n'a pas pris. Leur influence aura été nulle, à l'inverse des prêtres ouvriers, 20 ans plus tôt, qui, en s'intégrant dans les organisations ouvrières, ont, pour beaucoup d'entre eux, durablement marqué le mouvement syndical en particulier.
Quant à la « lutte armée », July dit avoir compté un moment sur les jeunes paysans fraîchement débarqués dans les usines qui auraient été porteurs, paraît-il, d'une tradition de « jacquerie ». Idée saugrenue, aussi anachronique que méprisante, dans le fond, pour les intéressés. July remarque également que le terrorisme dit d'extrême gauche a sévi en Allemagne, en Italie, au Japon -Fraction Armée rouge, Brigades rouges, Armée rouge- soit des pays qui venaient de vivre une période fasciste. Est-ce plus qu'une coïncidence ? Mais il est une hypothèse qui ne pouvait être évoquée ici : et si c'était la présence, en France, d'un Parti communiste fort, organiquement lié, lui, qu'on le veuille ou non, à la classe ouvrière, dont la vigilance aurait permis d'éviter des dérives aventuristes que certains évoquent aujourd'hui avec une sorte de romantisme imbécile pour la seule raison que le PCF, justement, s'est bien gardé de les soutenir ? Ce que le PCI -compte tenu des raisons socio- historiques évoquées par Marc Lazar- n'a pas pu ou su faire en Italie...
Que dire du débat « De l'utopie au pouvoir », avec Henri Weber, Bayrou, Lipietz, Karine Berger, animé par Gérard Courtois du Monde. Le débat le fut, courtois, et même on s'ennuya ferme. Nous eûmes certes droit à des informations capitales sur la vie quotidienne et domestique, concernant en particulier le chauffage, du jeune agrégé François Bayrou résidant en ce temps-là dans la bonne ville de Pessac... Tout ce petit monde complice, se tutoyant et s'appelant par son prénom, Karine Berger, jeune députée PS faisait un peu déplacée. Le meilleur commentaire de ces réjouissances fut sans conteste celui du dessinateur Urbs sur grand écran : on y voit Juppé -alors en pleine médiation Copé/Fillon- au téléphone où son interlocuteur le prévient : « Alain, ne te dérange pas, ils sont tous d'accord » !
Restent les « Cafés ». Celui du mercredi était le « Café économique » (qui se tient par ailleurs régulièrement). Deux professeurs d'économie de Bordeaux IV le tenaient, Michel Cabannes et Bertrand Blancheton, hommes de bonne foi autant que de bonne compagnie. Apports personnels, échanges avec la salle, on peut cependant regretter que, sur le thème proposé - « Les politiques face aux ruptures économiques et sociales »-, on ait beaucoup tourné autour du pot pour finalement ne pas dire que ce qui s'est alors répercuté en France -et officiellement en 1983- c'est la contre- révolution conservatrice monétariste lancée par Reagan aux Etats-Unis. Une contre-révolution qui venait de loin. Même si Reagan n'y comprenait pas grand chose -lui qui croyait dur comme fer que la Bible rapporte des faits réels- la Société du Mont Pèlerin, la Commission Tricontinentale, le groupe Bilderberg, etc. avaient pensé pour lui (voir Serge Halimi, Le grand bond en arrière. Comment l'ordre libéral s'est imposé au monde, Fayard, 2004).
Le vendredi, le Café-débat du Monde diplomatique recevait Alain Gresh. On déborda largement le sujet de la Guerre du Kippour. Il aurait été dommage de se priver d'un savoir aussi étendu que celui d'Alain Gresh, en particulier sur tous les problèmes du Moyen-Orient. Etonnament, on croit tout de même être assez bien informé mais Alain Gresh finit toujours par apporter quelque chose de plus dans la compréhension des situations. Ce fut encore le cas en dépit des interventions souvent intempestives et moyennement informées de Christophe Lucet, journaliste de Sud-Ouest.
Enfin, jeudi, l'Institut d'Histoire sociale de la CGT en Aquitaine patronait le débat « Mutations et syndicalisme ». Dans un exposé de haute tenue, Jean Dartigues a décrit et analysé trente années de luttes en Aquitaine. Quel contraste avec les petites agitations gauchistes ! On était au cœur de ce monde du travail qui sera toujours resté étranger à la « GP ». On n'écoutait pas sans émotion la litanie des entreprises en lutte tout au long de ces années... Tous ces noms énoncés comme un long poème militant... Et puis il y a eu Charles Piaget, icône des LIP ces années-là. J'en avais une image contrastée... Mais quel extraordinaire militant il est resté ! Ni blasé, ni résigné, toujours plein d'ardeur pour changer la société... Quand on pense que les July, Le Dantec, Weber, Lipietz se sont
encore ici réclamé de lui et des LIP... Mais qu'est-ce que ces notables bedonnants, repus et satisfaits d'eux-mêmes ont à voir avec ce Charles Piaget sec, émacié, son enthousiasme militant intact et sa conviction qu'un autre monde est possible ? Henri Weber a parlé tout naturellement de « partenaires sociaux », comme si salariés et patronat étaient à égalité... Charles Piaget a rappelé, lui, cette vérité élémentaire qu'être salarié c'est être dans une situation de subordination. Il croit à l'abolition du salariat. Qu'en penseraient nos repentis parvenus au pouvoir ?
Paru dans les Nouvelles, 3 décembre 2012
Gérard LOUSTALET-SENS