Coût du travail et coût du capital

Face à la sainte concurrence mondiale, il doit bien se trouver des patrons pour penser que le seul « coût » du travail acceptable serait celui du travailleur éthiopien ou somalien. D'ailleurs les Chinois eux-mêmes commencent à délocaliser en Somalie... Mais combien de ces patrons sont-ils prêts à se remettre personnellement en cause ? Ils disent « prendre des risques » mais ne veulent en assumer aucun. Et puis, puisqu'il paraît qu'il faut lever les tabous, comme disent les libéraux (mais uniquement lorsqu'il s'agit des lois sociales françaises), pourquoi ne pas dire qu'il existe des patrons d'une redoutable incompétence et dont la cupidité n'a d'égale que la nullité, de piètres investisseurs et de lamentables gestionnaires... Mais non, c'est toujours le coût du travail qu'on incrimine et ce sont toujours les salariés qui payent les pots cassés.

Maintenant on nous dit qu'il existe aussi une « compétitivité hors-coût », tout ce qui est innovation, recherche, développement, qualité et qui repose sur la capacité d'initiative de ceux qui aiment se faire appeler « chef d'entreprise ». Et on voudrait nous faire croire que tous sont à la hauteur... Vous n'y pensez pas ! Tout ça c'est la faute des « charges » ! Ah, ces charges qui justifient tout ! Parlons-en. On ne rappellera jamais assez que les libéraux en s'attaquant avec cette violence aux cotisations sociales mettent en cause une partie indirecte de la rémunération des salariés, un salaire collectif différé, socialisé, collecté pour une mise en commun de ressources permettant, grâce à un partage solidaire de subvenir, en cas de nécessité, aux besoins élémentaires des travailleurs en matière de santé, de chômage, de vieillesse, d'accident du travail... Il ne s'agit pas de « charges », ni de « taxes sur le travail », ni d' « avantages » mais de l' application de simples principes de justice et d'humanité arrachés par la force de la lutte des classes à la rapacité des possédants lesquels ne l'ont jamais accepté. C'est ainsi que depuis plus de 30 ans, le patronat a obtenu plusieurs centaines de milliards d'« allègements de charges »... Qu'en a-t-il fait ? Mais il n 'en a jamais assez et tous les gouvernements, de droite et sociaux-démocrates, ont rivalisé pour accéder à ses demandes et dégrader «la responsabilité sociale des entreprises en fardeau économique » (l'Humanité, 30.10.2012).

Il existe un rapport du Haut Conseil de Financement de la protection sociale qui a été passé sous silence par la valetaille médiatique mais pas par l'Humanité (2/3/4.11.2012). L'ensemble des prestations sociales représente 32% de la richesse nationale, ce qui est du même ordre que l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, la Suède. Les « prélèvements » sociaux se font pour 77% sur les revenus d'activité contre 2% sur le capital. Les employeurs, qui veulent s 'en débarrasser par tous les moyens, ont obtenu que 37% aujourd'hui des recettes de la protection sociale soit assurés par l'impôt, en l'occurence la CSG et autres taxes, tendance que confirme le projet de loi de finances 2013. Les exonérations patronales sur les bas salaires sont passées de 3,1 milliards en 1995 à 22,6 milliards en 2011. Pour quels résultats ? Il n'y a aucune preuve qu'elles aient été bénéfiques pour l'emploi . Cela se saurait.

Mais s'il est un coût que le catéchisme libéral s'efforce d'occulter, c'est bien le coût du capital. Sur la valeur produite par le travail, l'employeur capitaliste en rétrocède une part aux salariés sous forme de salaires et de cotisations sociales : ce qu'ils appellent le coût du travail. Mais tout le reste, le surtravail ou travail impayé, est à l'origine de la plus-value que s'approprie le capital. Une partie en reste au capitaliste, l'autre alimente la rente, foncière autrefois, financière aujourd'hui. Les dividendes qui représentaient 5% de la valeur ajoutée en 1995, en représentent maintenant 25% ! Est-ce que cela a amélioré la vie du plus grand nombre ? Bien au contraire. Et, comme l'indiquent ATTAC et la Fondation Copernic, « la priorité à la rémunération des actionnaires affaiblit beaucoup plus la capacité d'investissement qu'un coût du travail en constante diminution ». Ajoutez-y un cadeau fiscal de 20 milliards sans la moindre contrepartie et vous saurez comment les socialistes appliquent ce que les économistes appellent benoîtement la « politique de l'offre » laquelle consiste à gaver les actionnaires en spoliant les travailleurs. On va y revenir...

10 décembre 2012