La droite et les pauvres
Au fondement de la domination de la bourgeoisie, il y a le racisme social. La droite dogmatique, incarnée aujourd'hui par un Fillon, a toujours su s'y complaire, en toute bonne conscience. Le procédé est toujours le même : essentialiser une catégorie de la population -on utilise ici le terme générique de « pauvres »- en lui conférant des attributs « naturels » qui justifieront sa condition inférieure. Dans les représentations dominantes, les pauvres se caractérisent d'abord par la paresse, l'alcoolisme, l'immoralité, la malpropreté, des inconduites diverses... Certes, il y a des « bons pauvres », soumis et respectueux, mais, hélas, beaucoup de « mauvais pauvres », indociles, violents, toujours prompts à profiter indûment des bontés dont veulent bien les gratifier leurs supérieurs naturels que sont les riches. Ces représentations, construites au XIXème siècle, sont toujours présentes et actives dans l'imaginaire social, au point qu'ATD Quart Monde a pu parler d'une montée de la « pauvrophobie » dans nos sociétés. Expression d'ailleurs discutable, tout comme l'est le terme de « pauvre », trop vague pour être honnête ou l'opposition entre ceux « d'en haut » et ceux « d'en bas » qui entérine comme fatale ce qui serait une hiérarchie sociale. Non, il n'y a pas des « pauvres » ou des « gens d'en bas », mais des dominés, des opprimés, des exploités face à des dominants, des oppresseurs, des exploiteurs. Les intérêts sont incompatibles, les conflits inévitables.
Il n'a pas manqué, on le sait, de prêches sur la nécessaire réconciliation des classes, sur les bienfaits d'un accord entre exploiteurs et exploités... Des prélats opulents du XIXème siècle au socio-libéraux d'aujourd'hui, on n'a cessé de vanter aux opprimés les joies d'une résignation heureuse. Il faut tenir compte du « réel », comme ils disent, c'est-à-dire préserver l'ordre établi. Illustration nauséeuse de la collaboration de classe, à l'occasion du décès de François Chérèque on a vu dans les médias tous les larbins du patronat, tous les perroquets du libéralisme -et ça fait du monde- célébrer à l'envi le « réformisme » du personnage, concert de louanges, dithyrambes démesurés, laudes et élégies, c'était la glorification obligatoire d'un complice pour les apôtres de l'ordonnancement capitaliste du monde.
Qui peut croire un seul instant à la fraternisation des riches et des pauvres ? Pas la droite orthodoxe en tout cas. Implacable et glacée, elle n'a jamais éprouvé à l'égard des pauvres, du peuple, des classes populaires que deux sentiments : la crainte et la répugnance. Sentiments qui lui dictent deux attitudes complémentaires : la stigmatisation et la compassion. On connait le refrain sur les prétendus « assistés », tous ces misérables, « bénéficiaires » du RSA, sans-abris, réfugiés... qui se goinfrent de somptueuses gratifications aux frais de la collectivité ! Ce discours, typiquement de droite, vise en fait, à travers le dénuement le plus visible, l'ensemble des dominés, jusqu'à faire reprendre par les moins dépourvus d'entre eux le même réquisitoire anti-pauvre. Humiliés, culpabilisés par une administration dépassée, accusés de « profiter du système », sommés de se « responsabiliser », de « se prendre en main », les premières victimes d'une effrayante expansion des inégalités sont dénoncées comme des désoeuvrés volontaires, des accapareurs d'allocations indues. Politicien sans scrupules, le nommé Wauquiez, qui s'est fait une triste spécialité de l'injure aux pauvres, ose proférer que les « allocataires (de minima sociaux) se la coulent douce » ; un sondage fait dire à 36% des personnes interrogées que les pauvres « n'ont pas fait d'effort pour s'en sortir ».
Ne nous y trompons pas, la construction de ce discours de réprobation sociale à l'encontre de ceux qui ont le plus à souffrir de la violence des inégalités a une tout autre portée : c'est un avertissement, c'est une injonction pressante à l'acceptation de l'ordre des choses. Dans les classes populaires, la crainte de la perte du statut social, assimilée à une déchéance, n'est pas imaginaire. La peur du lendemain a toujours habité la classe ouvrière. Hors de l'action collective, elle dicte des conduites de repli, de bricolage individualiste, de chacun pour soi. C'est l'ubérisation du monde, une société à la Macron (on est toujours à droite)... Le struggle for life à la portée de toutes les bourses. En voilà un « progrès » !
NIR 175. 16 janvier 2017