QI et racisme de classe
Comme le racisme ethnique, le racisme social a souvent pris le masque de la science. Il y a bien eu ici, qu'on le veuille ou non, une science bourgeoise dont la fonction a été de cautionner la domination coloniale et la domination de classe en démontrant « scientifiquement » qu'il y avait des races inférieures, des classes inférieures. Certains découvrent aujourd'hui que des enfants « sans domicile » peuvent présenter un « retard » dans le développement moteur, cognitif, linguistique ou affectif (le Monde, 15.03.2017). En voilà une surprise ! Mais où cela devient pervers, c'est lorsque d'autres veulent inscrire ce « retard » de façon permanente dans le développement cérébral des enfants de « faible statut socio-économique ». Et pour couronner le tout on ressort l'hypothèse, toujours contestable et contestée, d'un déterminisme génétique même partiel de « l'intelligence », ce qui permet de fabriquer une catégorie de sous-humanité par un raisonnement circulaire autant que sournois : la pauvreté produit un retard intellectuel qui produit de la pauvreté qui produit...
M.Frank Ramus qui, pour être directeur de recherche au CNRS, n'en est pas moins nanti de quelques préjugés le formule ainsi : « les personnes les plus défavorisées socialement sont aussi les plus désavantagées génétiquement » (idem). Ce qui suppose la certitude d'une « hérédité » de l'intelligence jamais encore démontrée même sous la forme du concept d'héritabilité laborieusement élaboré pour prouver à tout prix qu'il y a au moins un pourcentage d'héritage génétique dans « l'intelligence ». Pour ce qui est des preuves empiriques, M. Ramus, sur son blog, ne trouve qu'une allégation aussi navrante que sommaire : on hérite de nos parents notre cerveau comme notre taille (sic). Dernière remarque, la notion de programme génétique strict est elle-même contestée par l'hypothèse d'une expression aléatoire des gènes (voir Sylvestre Huet, blog.lemonde.fr, 27 décembre 2016), ce qui tordrait définitivement le cou à l'obstination suspecte de vouloir à toute force fonder les inégalités sociales sur des inégalités d'intelligence héritées.
D'autant plus que ce qu'on appelle ici « intelligence », notion vague et incertaine évitée par les psychologues, n'est que l'inévitable « quotient intellectuel » (QI) et les tests qui vont avec dont on a fait une vaste supercherie. Dans Sud-Ouest du 08.01.2017, un spécialiste des robots proférait cette information hallucinante : « la Chine a produit des embryons avec des QI dépassant 150 ». On voit l'énormité : il faudrait nous expliquer comment faire passer des tests de QI à des embryons... La crédibilité d'une telle sottise ne repose que sur l'ignorance généralisée de ce qu'est un test de QI. On croit qu'il s'agit d'un appareillage hautement scientifique permettant de « mesurer » au point près une substance quantifiable qui serait l'intelligence. Pourquoi pas le poids du cerveau ou la circonférence du crâne... Cela s'est fait. Un test de QI, ça se fabrique : on procède à un étalonnage à partir d'un échantillon de la population à laquelle il est destiné. On s'arrange pour répartir harmonieusement les réponses au test autour d'une moyenne arbitrairement fixée à 100 et de manière à avoir 2/3 des résultats entre 85 et 115, 1/6 au-dessus, 1/6 au-dessous. C'est un pur artifice statistique que l'on présente après coup comme une donnée « naturelle » et le tour est joué. Le test de QI ne « mesure » pas « l'intelligence », tout au plus peut-il permettre d'évaluer le degré d'adaptation d'un individu à la culture dominante de la société à laquelle il appartient. Il faut démysthifier les tests : est-il sérieux de prétendre apprécier la « pensée conceptuelle » avec une série de questions du genre : « en quoi le rouge et le vert se ressemblent-ils ? »
En fait « l'intelligence » n'existe que parce qu'il y a des tests d'intelligence. C'est ainsi que le test de QI n'est qu'un dispositif produisant l'objet même qu'il est censé mesurer mais aussi toute une machinerie idéologique. Voilà que certains s'inquiètent de ce qui serait une baisse généralisée du QI dans nos sociétés. C'est invérifiable, les tests étant régulièrement réétalonnés pour conserver la courbe 1/6, 2/3, 1/6. Mais on a déjà trouvé les coupables de cette prétendue baisse, les immigrés qui « moins éduqués tireraient l'ensemble vers le bas ». Sans parler de la thèse grossièrement héréditariste selon laquelle « les gens les plus éduqués sont ceux qui font le moins d'enfants, ça finit par se voir » (le Monde, 04.01.2017). A quand le grand retour de l'eugénisme et de la « sélection des plus aptes » ?
NIR 182. 24 avril 2017