La mythologie de l'entrepreneur (II)

 Le mythe veut donc que les « entrepreneurs » soient des créateurs d'emplois, des bâtisseurs, des conquérants, des aventuriers... Des créateurs d'emplois obsédés par la recherche de facilités pour licencier, des bâtisseurs qui ne répugnent pas à la liquidation d'entreprises menant à la destruction d'emplois, des conquérants qui fuient lamentablement à l'étranger pour ne pas qu'on touche à leur cher pognon, des aventuriers qui n'en finissent pas de geindre sur leurs tourments supposés...

     Car, sachez-le, l'entrepreneur a un cœur, il souffre de ne pas être reconnu, dit-il, autant par la plèbe ingrate que par un Etat spoliateur. Pire encore, la France « n'aime pas ses entrepreneurs », or « les entrepreneurs ont besoin de se sentir aimés » (S). C'est émouvant ! Tout n'est que « stigmatisation de l'entrepreneur » (S) et « profonde incompréhension envers la création d'entreprises » (PP) avec une « impression de retour de la lutte des classes » (F). Surtout, « notre pays n'a pas de culture entrepreneuriale » (PP). Hélas ! Encore qu'on puisse trouver que « culture » est une appellation un peu pompeuse pour une activité qui consiste essentiellement à faire du fric en exploitant le travail d'autrui ; cette trouvaille est de M. Picq qui fait tout bonnement de Darwin un prophète de la libre-entreprise ! Un rapprochement largement contestable et en tout cas purement idéologique. En passant, on s'étonne de voir M. Picq exciper d'une expertise scientifique incontestée dans un domaine précis -la paléoanthropologie- pour légitimer ce qui n'est qu'une opinion dans un tout autre domaine -l'économie politique- . Voilà qui est déontologiquement pour le moins douteux.

     Mais revenons à notre mythologie. Il paraît que les Français ne supporteraient pas la « réussite » de ces âmes d'élite que sont les entrepreneurs. Des jaloux ! Des envieux ! Des fainéants ! Des fonctionnaires ! « Notre pays n'aime pas les entreprises, encore moins les entrepreneurs surtout s'ils réussissent » (PP) ; « la France traite ceux qui réussissent leur vie professionnelle par la méfiance et le mépris que l'on réserve partout ailleurs aux repris de justice » (CG) ; bref nos malheureux « chefs » d'entreprise survivent difficilement dans un « climat antiréussite » (F). Le « matraquage fiscal » qui les frappe est une « punition ciblée » (C+) et une « insulte au mérite » (PM). Cette dernière allégation de M. Philippe Manière lui fait préciser, en grand spécialiste de l'éthique, que « surtaxer les riches est moralement douteux ». On se demande en haut lieu s'il n'en fait pas un peu trop... Mais ce n'est pas tout, le moral fragile de nos entrepreneurs serait atteint par ce « climat anxiogène » (F) car « sanctionner la prise de risque et la réussite » (F) « décourage la prise de risque », « décourage la création ». Ainsi il ne serait « plus question d'encourager la prise de risque mais de décourager la création », il ne s'agirait « plus de récompenser le succès mais de tuer l'esprit d'entreprise » (CG). En résumé, « nos entrepreneurs qui prennent aujourd'hui le risque d'échouer refuseront demain le risque de réussir » (C+). Devant d'aussi horrifiques perspectives on ne peut que tembler d'angoisse... Que faire ? Mais de la pédagogie voyons...

     M. Le Boucher, dans les Echos, se désole : « l'entreprise se voit réduite à une organisation destinée à faire du profit » (2/3.11.2012). Pas possible ! Mais voyons qu'est-ce que pourrait être d'autre une entreprise privée ? Comme si le profit, tout le monde le sait, n'était pas sa raison d'être...

Un certain Xavier Fontanet, qui fut PDG d'Essilor, a pourtant décidé « d'expliquer l'économie » aux Français (le Monde, 05.02.2013), du moins ce qu'il entend par là. Et c'est pas triste : foin de Keynes qui serait « l'abomination de la désolation », ne parlons pas de Marx... La seule économie c'est « l'économie concurrentielle » qu'il faut mieux faire comprendre aux « hommes politiques, syndicalistes, journalistes, étudiants ». M. Fontanet est effaré dit-il, par « la méconnaisance abyssale des mécanismes concurrentiels et économiques en France ». Il ne fait, hélas, le malheureux que confirmer le pertinent propos de la présidente de l'Association des professeurs de sciences économiques et sociales : « les libéraux confondent l'écomomie et les affaires » (Challenges,08.11.2012). Et, ajouterai-je, la « réussite » avec l'accumulation et l'appropriation monétaires. Le grand libéral Adam Smith l'avait lui-même remarqué : « le riche est insatiable ».

 

18 février 2013