Décroissance et progrès

 J'ai avant tout la conviction que ce qu'on appelle empiriquement « progrès » doit bien être envisagé, ainsi que tu l'indiques d'ailleurs, comme une donnée anthropologique que l'on nomme scientifiquement évolution. Le passage de la nature à la culture dans l'espèce homo, aboutissant, peut-être provisoirement, au genre sapiens, a sans aucun doute changé le paradigme du progrès en donnant à l'espèce, pour le meilleur et pour le pire, la maîtrise de ce progrès. Le progrès tel qu'on l'entend n'est certes pas linéaire, le processus de l'évolution me paraît cependant irréversible. J'oserai ici la métaphore du fleuve que l'on peut canaliser mais dont l'arrêt du cours serait catastrophique... La métaphore a néanmoins sa limite : on sait où finit le fleuve alors que toute interprétation téléologique de l'évolution serait absurde et vaine. En définitive, mais il faudrait développer, le progrès est ce que nous en faisons dans les luttes plus que jamais nécessaires pour une émancipation humaine permettant de dépasser la « préhistoire de la société humaine » pour reprendre le mot de Marx...

  Seconde remarque. On sait que le mot « croissance » -et son pâle succédané « développement durable »- ne servent qu'à désigner la suraccumulation permanente et indéfinie du capital par le profit, dans une sorte d'hubris productiviste et marchande (Y. Quiniou) conduisant à une effroyable gabegie mettant en danger l'avenir écologique de la planète... Mais que le progrès technique soit ainsi accaparé par le capitalisme pour ses basses œuvres doit-il conduire -idée banale mais forte- à le rejeter ? Je suis très réservé sur l'attitude antiscientifique qu'entraînent certaines interprétations de la décroissance, allant jusqu'à des positions sectaires et l'obscurantisme en passant par les fantasmes new age si répandus dans les classes moyennes : médecines dites douces, délires antivaccinations, modes d'alimentation baroques, bref tout un fatras antirationaliste qui me rebute profondément. J'irai jusqu'à dire que, pour moi, le nucléaire ou les OGM ne sont pas forcémént les monstruosités que certains dénoncent avec un fanatisme suspect !

  Il reste que la profusion des technologies peut néanmoins prêter à controverses tel le « transhumanisme » que tu évoquais il y a quelque temps... Mais peut-être que l'avènement de l'anthropocène s'accompagnera d'un dépassement du genre sapiens... Toujours l'évolution !

 

Réponse à Alain Accardo, 1er mai 2015