« Portrait du capitaliste »
Le pouvoir patronal n'est donc pas despotique par nature. Marx l'a expliqué, le patron, le capitaliste, n'est qu'un « rouage » d'un « mécanisme social », « agent fanatique de l'accumulation, il force les hommes, sans merci ni trêve, à produire pour produire (souligné par Marx) ». A l'exclusion de toute autre considération... Son mode d'existence est la concurrence, ravageuse, sa morale l'égoïsme, insensible, sa motivation la cupidité, obsédante. Concurrence, égoïsme, cupidité que l'idéologie libérale s'évertue, contre toute humanité, à ériger en valeurs universelles...
Le ruissellement continu des dividendes -ce qu'ils osent appeler « rémunération des actionnaires »- quelle que soit la situation économique matérialise cette obsession lancinante, cette « ambition insatiable » dit Marx, de l'enrichissement personnel... Tel Macron donnant comme exaltante perspective aux « jeunes » de devenir « milliardaires »... Dans Sud-Ouest-Dimanche (24.08.2014), Jean-Claude Guillebaud dénonçait le « record de rapacité des plus riches dans notre pays ». Avec 40,7 milliards, les dividendes versés ont fait un bond de +30,3% entre 2013 et 2014 ! « La France championne du monde des gâteries faites aux actionnaires » se plaignait Guillebaud qui concluait : « la nausée nous guette ». Ce n'était pas l'avis du banquier « de gauche » Peyrevelade parlant, lui, au delà de toute décence, d'un simple « rattrapage » ! Dans le même temps l'augmentation des dividendes étaient de +3,9% en Allemagne et +9,7% au Royaume-Uni.
« Rattrapage » prétend Peyrelavade. C'est faux. Cela fait 30 ans que ça dure. Dès 1985, on assiste à un parallèle édifiant : une baisse générale des cotisations sociales, une hausse continuelle des dividendes, une politique officialisée avec empressement par Balladur en 1992-1993. Ainsi, en 2002, le coût du capital (Frais financiers + dividendes versés aux actionnaires) est presque le double (289 milliards) du montant des cotisations acquittées (157 milliards) (Source : Comptes de la Nation, l'Humanité, 25.09.2013). Une étude dirigée par Laurent Cordonnier, cité par l'Humanité (22.07.2013), montrait que, entre 1999 et 2010, les dividendes ont augmenté en France de +87% et diminué en Allemagne -7%. Enfin, selon la CGT, en 1989 les dividendes représentaient 10 jours de travail par salarié dans les sociétés non-financières, en 2012, 45 jours ! Etc.
Revenons aux superbes pages du Livre Premier du Capital reprises sous le titre « Portrait du capitaliste » dans Karl Marx, Textes 2. Economie. Individu et société. La lutte des classes, Editions Sociales, 1972, pp. 71-76. Marx rappelle que « à l'origine de la production capitaliste -et cette phase se renouvelle dans la vie privée de tout industriel parvenu- l'avarice et l'envie de s'enrichir l'emportent exclusivement ». Il s'agit « d'accumuler pour accumuler, produire pour produire, tel est le mot d'ordre de l'économie politique proclamant la mission historique de la période bourgeoise ». Et Marx ajoute : « Elle (l'économie politique) ne s'est pas fait un instant illusion sur les douleurs de l'enfantement de la richesse » et cite J-B Say, le maître à penser de Hollande avec son « économie de l'offre », qui disait au début du XIXème siècle : « les épargnes des riches se font aux dépens des pauvres » ; le même J-B Say recommandait de « faire des épargnes plutôt que des enfants » !
C'est bien toute la personne du capitaliste qui est engagée car « accumuler, c'est conquérir le monde de la richesse sociale, étendre sa domination personnelle, augmenter le nombre de ses sujets, c'est sacrifier à une ambition insatiable ». On connait la fable du patron surmené, ployant sans rompre, avec bravoure, sous les charges et les responsabilités... En oubliant quelques petites compensations... « A un certain degré de développement, dit Marx, (le progrès de la production) impose au malheureux capitaliste une prodigalité toute de convention, à la fois étalage de richesse et moyen de crédit. Le luxe devient une nécessité de métier et entre dans les frais de représentation du capital ». Bref, il est victime d'un « conflit à la Faust » entre le penchant à l'accumulation (du capital) et le penchant à la jouissance (du luxe). On peut peut-être se demander si, avec le triomphe de l'ultralibéralisme, les rémunérations invraisemblables que s'octroient les grands capitalistes n'ont pas justement pour objectif de dépasser le conflit repéré par Marx entre penchant à l'accumulation et penchant à la jouissance, loin de « l'austérité ascétique » (l'expression est de Marx) que la Réforme protestante aurait introduite, selon Max Weber, dans « l'esprit du capitalisme ».
23 février 2015