Macronisme et mépris de classe (I)
En pleine épidémie de Covid-19, qu’y a-t-il de plus important, croyez-vous, pour le pouvoir de la grande bourgeoisie macroniste ? Certainement pas la fable lamentable de l’islamo-gauchisme… Pas plus que la surenchère sécuritaire et sa misérable finalité électoraliste… Non , il faut être sérieux et poursuivre obstinément la mise en place des contre-réformes néolibérales au premier rang desquelles le dévoiement de l’assurance-chômage. La notion même d’assurance chômage est une hérésie pour la doctrine libérale, en particulier sous sa forme solidaire, là où les libéraux ne verraient tout au plus que des dispositifs de charité individuelle à l’attention de quelques gueux méritants. La bourgeoisie a développé depuis le XIXème siècle un système de valeurs que le macronisme et son « nouveau monde », sous couvert de modernité, reprennent consciencieusement. On va en examiner ici l’imaginaire social sous deux aspects : la disqualification morale des classes populaires à propos de l’assurance-chômage et du RSA ; la conception libérale d’un individu a-social, « entrepreneur de soi-même », libéré de toute contrainte altruiste, toute une pseudo anthropologie qui n’est qu’une rationalisation cauteleuse de la domination de classe.
Or donc, il faudrait de toute urgence s’en prendre aux chômeurs de manière à occulter la fonction du chômage en système capitaliste comme « armée de réserve de travailleurs » dévoilée par Marx. On sait depuis longtemps qu’il est plus facile de faire la guerre aux chômeurs que la guerre au chômage (Emmanuel Pierru, Editions du Croquant, 2005)… Ces chômeurs qui ont « choisi » de se gaver d’indemnités dont des économistes bien nourris et des politiciens confortables osent dire qu’elles sont « généreuses »… D’où la « réforme » en cours : simple affaire technique nous dit-on, un nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) qui sert de base à la définition du montant des allocations… Résultat : 1/3 des allocataires vont perdre en moyenne 24 % de leur indemnité et 1,15 millions de nouveaux inscrits 17 % en moyenne (l’Humanité, 23/24/25.04.2021). L’iniquité est tellement énorme que même des macronistes s’en sont ému. Antoine Foucher, directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, qui a été l’artisan de la réforme, trouve aujourd’hui les mesures gouvernementales « inopportunes » et susceptibles de générer chez les demandeurs d’emploi un « lourd sentiment d’injustice » ; il ajoute ingénument : « Dans les efforts légitimes à demander à la France dans le monde post-Covid, pourquoi commencer par les chômeurs ? » (le Monde, 14.03.2021). Ce qui est bien l’aveu que sa réforme va encore plus paupériser les chômeurs. Les économistes macroniens eux-mêmes ont des objections : pour Jean Pisani-Ferry, appliquer aujourd’hui ce projet « risque de pénaliser des précaires à la lisière du marché du travail qui ont été déjà durement frappés par le choc Covid » ; pour Philippe Aghion, le nouveau mode de calcul du SJR repose sur l’idée, fausse selon lui (affirmation rare chez les économistes libéraux), qu’il existerait « un chômage essentiellement volontaire, ce qui est encore moins le cas avec la pandémie » (le Monde, 02.04.2021).
Idée fausse ? Sans aucun doute. Sauf que l’idéologie libérale a réussi à inculquer dans ce qu’on appelle l’opinion la certitude qu’un chômeur, s’il le veut bien, peut toujours retrouver un travail. C’est que, au-delà des chômeurs, c’est une véritable guerre aux pauvres qui est menée : chômeur qui ne cherche qu’à « optimiser » ses droits, salariés fainéants et profiteurs, jeunes apathiques… On a vu récemment les patrons de la CGPME s’alarmer de « l’absentéisme incontrôlé » que provoquerait le nouvel arrêt maladie immédiat sans délai de carence en cas de symptôme de Covid ou de cas contact. On se souvient également des arguties sordides, toujours de la CGPME avec le renfort de députés LREM, à propos du congé parental à la suite du décès d’un enfant et de l’allocation forfaitaire prévue ! Quant aux jeunes, leur attribuer un RSA spécifique, ce serait les empêcher de « s’émanciper », ose la ministre du travail Elisabeth Borne. Qu’est-ce qu’on s’émancipe avec un repas par jour ! Le pire est atteint avec le flicage honteux que subissent, comme nous allons le voir, les « bénéficiaires » du RSA... (à suivre).