Austérité et lutte des classes

Début septembre, la mode était, dans les sphères du pouvoir, à la dénégation de toute forme d'austérité. Valls affirmait sur France2, le 26 août, avec l'aplomb hautain qu'on lui connait et au mépris de toute réalité, « nous ne menons pas une politique d'austérité » mais de « sérieux budgétaire ». Il se trouvait un économiste de cour, comme il y en a toujours un, pour confirmer ne voir « rien qui ressemble à l'austérité »... Pensez donc, on n'a pas baissé les salaires et les retraites de 15% comme en Grèce ! De quoi se plaint-on ? C'est justement l'avis de M. Henri de Castries, grand manitou d'AXA et du CAC40, gratifié d'une page entière dans le Monde (27.08.2014) et d'une grande photo, costume chic, belle cravate, brushing avantageux, bref un paroissien dont on devine qu'il ne s'inquiète pas vraiment pour son pouvoir d'achat... Si seulement il sait ce que ça veut dire... Ce qu'il sait, par contre, c'est qu'il n'y a pas une politique d'austérité mais de « saine gestion ». Il défend, quelle surprise, les dividendes des actionnaires comme « rémunération du risque » : formule creuse, le risque, on le sait bien, est quasi inexistant sauf à palper un peu moins un an ou deux... Il connait l'origine de nos maux et demande de s'attaquer à la « rigidité du code du travail » et au « mode d'indemnisation du chômage ». Original ! Salauds de pauvres ! Les ministres Rebsamen et Macron en sont bien d'accord... M. de Castries nous rappelle opportunément la réalité de la lutte des classes : des actionnaires qu'il faut choyer ; des chômeurs qu'il faut surveiller et punir. Sans parler de sa propre situation : son indemnité de départ d'AXA prévoit 4,5 millions d'euros, c'est moins que Riboud de Danone (6 millions) mais plus que ce pauvre Margerie de Total dont on se demande s'il va pouvoir survivre avec ses malheureux 810 250 euros (l'Humanité, 27.12.2013).

     M.de Castries défend, bien entendu, la politique menée en Allemagne, lui prêtant +1,8% de croissance (ce qui est faux, on va le voir) et raille ceux qui la critiquent, ils auraient la « crédibilité du cancre assis au dernier rang de la classe »... Ce cancre, entre autres, il porte un nom : Christopher Sims, Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel (il n' y a pas de prix Nobel d'économie) lequel affirme : « la politique de l'Allemagne aggrave la crise » (le Monde, 23.08.2014). Je crains que le cancre, aussi bien rémunéré soit-il, ce soit, en l'occurence, M. de Castries ! Quant à la croissance, un document de la Commission de Bruxelles, révélé par l'Humanité (20.11.2013), chiffrait les effets cumulés de l'austérité en Europe à une perte de 3,5 points de croissance sur le produit intérieur brut pour l'économie allemande. Il est de plus en plus clair, et il n'y aura bientôt plus que M. de Castries pour l'ignorer, que le « modèle allemand » est en perdition : pauvreté de masse, précarité des emplois, dépendance aux exportations alors qu'en Europe en particulier les autres pays ne peuvent acheter, faiblesse démographique, réveil de la revendication salariale...

     A vrai dire, M. de Castries et ses pareils n'en ont rien à faire du « modèle allemand », tout ce qu'ils veulent, c'est assassiner le modèle français. Qu'y a-t-il derrière les grandes orgues patronales sur le « coût du travail »? Une trivialité mise au jour il y a longtemps par la théorie marxiste, à savoir l'exigence d'une part toujours plus grande pour le capital -ce qu'on appelle le profit- de la plus-value créée par le travail. Le modèle français de protection sociale permet de préserver institutionnellement, sous forme de salaire différé, une fraction importante de la part de plus-value rétrocédée aux salariés. C'est insupportable ! Faute de pouvoir encore s'attaquer trop ouvertement au salaire direct, on va donc s'en prendre au salaire indirect... D'où tout le prêchi-prêcha sur un modèle « dépensophile » et l'austérité-nécessaire-qui-n'existe-pas visant l'institution de la précarité comme mode de vie et de travail, le renforcement de l'exploitation, l'insulte contre les chômeurs qu'on a fabriqués et la haine contre les fonctionnaires qu'on veut transformer en chômeurs, l'abaissement du service public pour mieux en livrer les prébendes au privé (voir les autoroutes) et d'une façon générale la perpétuation d'une société fondée sur des inégalités massives et exponentielles où des oligarques à la de Castries, appuyés sur une noblesse d'Etat à la Hollande formateraient la vie de la foule des sous-citoyens précarisés, résignés, sans avenir autre que la soumission à des lois « du marché » fixées par les puissants... 

 

13 octobre 2014