La « croissance » pour quoi faire...

N'y aurait-il donc comme solution à la supposée « crise de la dette » que la « croissance » comme l'indique Jean-Christophe Le Duigou (HD, 22-28 septembre 2011) ? Mëme s'il ajoute : « avec un autre contenu » -c'est bien le moins!- le propos reste d'une confondante conformité à ladoxa libérale. On sait bien que le mot croissance est utilisé par les capitalistes comme euphémisme pour désigner la suraccumulation des profits. C'est une fuite en avant permanente et indéfinie conduisant à une effroyable gabegie dont on sait aujourd'hui qu'elle met en danger l'avenir écologique de la planète. C'est une machine infernale qui s'auto-alimente à coup de profits, de dettes, de crédits où la seule perspective est la rentabilité maximale à court terme : on a même inventé le terme de « court termisme » pour ça. C'est cette abominable cupidité, cette avidité de revenus financiers qui a produit les subprimes, les crédits pourris sous le vocable anodin de « produits dérivés ».

On va peut-être objecter que la croissance telle que l'entend Le Duigou ne s'assimile pas à l'accroissement sans fin des revenus financiers. C'est pourtant l'évolution inéductable dans les pays occidentaux puisque la production industrielle est systématiquement « délocalisée » vers les pays dits émergents. De toute façon le capitalisme ne « produit » pas pour le bien de l'humanité mais pour que ça rapporte aux actionnaires, on accumulera donc tout et n'importe quoi au mépris de l'utilité d'usage et de la raréfaction des ressources. Mais je renvoie ici au dialogue des économistes Jean Gadrey et Philippe Askenazy sur www.regards.fr qui « démystifient l'idée que croissance égale bonne santé économique d'un pays ». Pour Jean Gadrey, « la croissance est en question pour de multiples raisons. Une progression de 2% par an de la consommation par habitant signifierait que nos descendants consommeraient six fois plus de biens en 2100, 40 fois plus en 2200, etc. » Philippe Askenazy poursuit : « la croissance n'est pas une solution à la crise financière. Cette dernière est le résultat d'une régulation insuffisante des activités financières, d'institutions politiques mal construites et des inégalités sociales ». Jean Gadrey ajoute : « pour la crise financière, les solutions, avec ou sans croissance, se trouvent d'abord dans la reprise en main par les citoyens de la finance, de la création monétaire et du crédit (...). 4 à 5 points de PIB, soit 80 à 100 milliards d'euros, sont récupérables chaque année en prenant l'argent là où il est, du côté des rentes et des niches pour privilégiés et de la spéculation. Aucun besoin de croissance pour cela ».

L'hypocrisie du chantage à la « dette publique » est d'autant plus choquante que l'endettement est au fondement même du système financier capitaliste et cela, en France, depuis au moins les banquiers lombards du XIIIème siècle. Les dernières décennies ont vu la finance pratiquer l'endettement systématique, au-delà des Etats, des citoyens eux-mêmes, en particulier des classes moyennes. Selon Maurizio Lazzarato (La Fabrique de l'homme endetté, Editions Amsterdam, 2011), il s'agit de « transformer chaque individu en sujet économique endetté ». A l'homo economicus du capitalisme succède l'homo debitor de la finance capitaliste : on n'a plus droit au logement mais à un crédit immobilier, on n'a plus droit à l'instruction mais, sur le modèle anglo- saxon, à un prêt pour payer ses études. Le chantage à la dette, avec l'anxiété et la culpabilité qu'il engendre, est un outil efficace de contrôle social. Combien ne peuvent plus se permettre un jour de grève à cause des traites à payer de la voiture ou de la maison ? Et au-delà encore, on pousse les plus pauvres à s'enfermer dans les rêts d'emprunts successifs indéfiniment remboursables comme le honteux «crédit revolving», prêt à la consommation usuraire à 20%, qui se renouvelle automatiquement piégeant les malheureux dans des mensualités dont ils ne voient jamais la fin...

24 octobre 2011