« Business as usual »
Les idéologues bien-pensants auront beau multiplier les descriptions enchantées de la démocratie libérale, même en ces temps d’anniversaire de la chute du Mur de Berlin, rarement dans notre société les structures de domination auront été aussi massives, aussi spectaculaires et aussi cyniquement justifiées. Rarement aura été aussi minoritaire un clan de dominants -que j’ai appelé nomenklatura libérale- nantis de toutes les sortes de capitaux, économique, social, culturel, symbolique et entretenant une cohorte d’obligés et d’affidés -agents dominés dans le cercle des dominants- chargés de célébrer leurs mérites, de chanter leur gloire et de protéger leur système de rente, ce qui leur permet de recueillir quelques miettes de pouvoir et des gages non négligeables. Le système scolaire, comme il l’a toujours fait, n’a plus qu’à reproduire et légitimer le dispositif général des structures de classes et à inculquer les modalités d’adhésion des dominés à une doxalibérale condamnant tout projet d’émancipation sociale comme une « passion » ne pouvant que conduire au totalitarisme. Dans la société d’aujourd’hui, enfin, la fonction de soumission idéologique n’est plus du ressort de l’Eglise mais d’un appareil accablant de médias domestiqués diffusant tous le même discours conformiste et conservateur où le moindre écart au prétendu consensus est dénaturé et noyé dans un flot de fait-divers dont l’enflure journalistique est inversement proportionnelle à leur importance sociale mais dont l’objectif est évidemment de faire écran à la vie réelle.
Un exemple étonnant du cynisme libéral reste le système dit des stock-options. Le catéchisme libéral prêche que ce qui fait l’ « efficacité » du capitalisme, c’est la prise de risque de l’investisseur qui aurait toujours la perspective éventuelle de perdre de l’argent, le cours des actions fluctuant selon les « lois » du marché. C’est peut-être vrai pour les petits investisseurs, actionnaires ou épargnants. Mais, curieusement, les « grands » dirigeants, ces membres du clan qui se retrouvent dans les conseils d’administration des grands groupes capitalistes, s’évertuent à mettre en place des dispositifs et des règlements qui permettent à leur cher argent d’éviter tout risque d’évaporation, se préservant ainsi soigneusement des nobles aléas qu’ils prônent pour les autres. Parachutes dorés, retraites-chapeau et autres n’ont que peu à voir avec les intérêts de l’entreprise mais beaucoup avec ceux des cadres dirigeants. On connaît le piètre argument qui les justifie : cela serait indispensable pour garder dans « nos » entreprises les « meilleurs » dirigeants. Ce qui signifie que les plus avides seraient nécessairement les plus compétents. Et réciproquement. Le libéralisme, c’est décidément tout un art de vivre. Et une vision du monde on ne peut plus sympathique!
Le principe des stock-options est très simple dans le genre « gagner de l’argent en dormant ». Le conseil d’administration attribue des stocks d’actions gratuites à ses chers dirigeants. Ceux-ci en disposeront à leur guise, c’est-à-dire qu’ils pourront, le moment venu, les vendre au cours le plus haut après les avoir enfin achetées mais au cours du jour où elles leur ont été distribuées. De quoi faire sans coup férir un joli bénéfice. En un mot, à tous les coups l’on gagne! La combine est connue mais une impudence aussi manifeste m’étonnera toujours... En fait le « grand » dirigeant n’est qu’un vulgaire écornifleur. Certes, en bonne logique libérale, le dirigeant sert d’autant mieux les actionnaires de son entreprise qu’il sert lui-même ses propres intérêts en faisant monter le cours des actions. Jusqu’à ce qu’ils divergent et quand ils vend ses actions c’est parce qu’il sait qu’elles n’augmenteront pas davantage ou même qu’elles vont baisser. C’est alors son intérêt personnel qui prime aux dépens de celui des autres actionnaires car le fait de vendre les fait encore plus baisser. Le brave actionnaire de base, libéral convaincu, ne peut même pas lui reprocher cette arnaque qui est le fondement même de la doctrine.
Ces considérations, aussi austères que peu réjouissantes, sont nécessaires à rappeler car, on l’a vu, les financiers, requinqués par l’argent public, entendent bien reprendre leurs affaires habituelles, « business as usual », comme ils disent! En anglais, ça fait un peu moins sordide... Et il ne faut surtout pas les embêter. Selon Mme Lagarde, « pas question de plomber le système bancaire français » avec des taxes alors qu’il va mieux. Quand il allait plus mal, il ne fallait pas non plus. Ce n’est jamais le moment d’aller chercher l’argent là où il est. Bref, on touche pas au pognon! Même si c’est, comme nous allons le voir, au détriment du plus grand nombre.
9 novembre 2009