Les bonus, ce n'est pas tout

La focalisation médiatique et consensuelle sur l’affaire des bonus commence à paraître suspecte au plus point. Tout se passe comme si, contraints de céder un peu de terrain, les libéraux s’étaient résignés à donner un os à ronger au bon peuple : les revenus, certes indécents, de vulgaires prébendiers, mercenaires sans scrupules du capital financier. Mais le problème, c’est moins les bonus que le système qui les génère et, lui, on ne saurait le remettre en cause : supprimons les bonus, comme le préconise Attali, et le capitalisme redeviendra (?) un modèle de morale! La ficelle est grosse. Les bonus ne constituent, en fait, que la partie émergée, donnée en pâture à l’opinion, d’un iceberg de milliards, fruit de la rapine et de la cupidité, dont bénéficient toutes sortes de parasites sociaux, à commencer par les actionnaires et les « administrateurs ». Ces derniers, par exemple, sont bien pires que les traders : ils sont peut-être quelques centaines en France qui se répartissent les postes dans les conseils d’administration des banques, administrateur dans l’une, PDG dans l’autre, mais toujours entre soi, et se votent les uns les autres les rémunérations les plus exorbitantes et pas seulement les trop connus stock-options et golden-parachutes! Mais les médias préfèrent nous bourrer le crâne avec l’apparente « folie » des bonus alors qu’il ne s’agit que d’un symptôme, un effet trop spectaculaire de la rationalisation particulièrement sophistiquée de la « loi » du profit maximum. Et l’on sait que l’on ne guérit pas une maladie en ne traitant que le symptôme.

D’autre part, les sommes dont il est question sont tellement astronomiques que le vertige qu’elles provoquent trouble étrangement les médias au point de leur faire « oublier » les conséquences réelles et quotidiennes de telles pratiques. Il vaut mieux rester dans le virtuel et faire semblant d’ignorer le lien entre l’enrichissement des uns et les difficultés des autres. Exemple simple : les largesses du bouclier fiscal sarkozien ne font qu’assurer aux riches des liquidités qu’ils s’empressent de transformer en placements financiers avec tout ce qui s’ensuit, spéculation, profits bancaires, rémunération des actionnaires, cadres et traders. Or il s’agit d’autant de rentrées fiscales en moins pour le budget de l’Etat qui souffre ainsi moins d’un excès de dépenses que d’un déficit de recettes. Un manque à gagner qu’il faut compenser en faisant des « économies » : on supprime des postes de fonctionnaires, on sabre dans les services publics, on laisse l’hôpital dépérir et l’école en déshérence faute de crédits, on ferme des bureaux de poste... Les plus fortunés n’ont que faire de l’étiolement des services publics, ça ne concerne que les salariés et retraités et, de plus, ce sera un bon prétexte à la privatisation. La même logique libérale conduit au saccage des budgets sociaux : l’argent de la solidarité est une ineptie pour les fondamentalistes de la finance, tout argent doit être « placé », en l’occurrence dans les sociétés d’assurances privées. Aucune mesquinerie ne sera, par exemple, épargnée pour orienter vers les retraites par capitalisation : Xavier Darcos -aussi malfaisant au ministère du travail qu’il l’a été à celui de l’Education nationale et qui tient à sa réputation de spadassin de l’Elysée- s’attaque au misérable bonus (tiens, donc!) de deux ans par enfant pour la retraite des mères de famille! Dire que Sarkozy prend aux pauvres pour donner aux riches n’est pas une boutade, c’est la stricte vérité.

Aux Etats-Unis, les mêmes principes produisent des controverses hallucinantes. Alors que les banques, sauvées par l’Etat, se remettent à faire des affaires, Barak Obama pensait naïvement (?) que tout le monde considérait comme insupportable que le nombre d’Américains exclus de toute couverture maladie augmente sans cesse jusqu’à avoisiner les 50 millions. D’où l’idée évidente d’une assurance santé gérée par l’Etat en plus du Medicaid (les plus pauvres) et du Medicare (personnes âgées). Levier de boucliers monumentale de tout ce que les Etats-Unis compte de profiteurs du système de santé le plus coûteux et l’un des plus inefficaces du monde. Au nom de la responsabilité individuelle, chacun doit avoir la liberté du choix de s’assurer (ou non), de se soigner (ou non). Et surtout de pérenniser les profits des assureurs, de l’industrie pharmaceutique, d’un secteur hospitalier où il faut montrer sa carte de crédit avant d’être soigné! C’est toute une démocratie gangrenée par l’argent ou des « élus du peuple » touchent plusieurs millions de dollars de lobbys privés pour combattre une réforme d’intérêt général, en faisant croire jusqu’aux plus déshérités, pour mieux les faire passer sous les fourches caudines du privé, que l’Etat veut gérer toute leur vie. Hommage du vice à la vertu, le crétinisme ultra-libéral va jusqu’à qualifier un projet aussi élémentairement humaniste de « communiste ». Merci.

31 août 2009