Un héros de notre temps, le « trader »
C’est reparti. Le capitalisme financier se pense sorti d’affaire et reprend tranquillement ses pratiques d’économie de pillage où le seul objectif est de faire de l’argent avec de l’argent sans le moindre souci de la vie des hommes. On sait de quoi il se nourrit : accumulation de la richesse à un pôle (une mince couche mondialisée de ploutocrates), accumulation de la pauvreté à l’autre pôle (le plus grand nombre), l’écart entre les deux s’accroissant continûment à la manière de l’expansion de l’univers.
Goldman Sachs, renfloué par l’Etat américain, vient de provisionner 6 milliards de dollars pour les « bonus » de ses « salariés », cadres dirigeants et « traders ». BNP Paribas a fait de même pour 1 milliard d’euros : elle en avait reçu cinq de l’Etat, brave bête, pire ennemi, selon le dogme, de « l’efficacité économique » mais tout à coup bien utile pour payer les pots cassés! Si le principe des vases communicants est toujours vrai, cela signifie que les traders et les cadres dirigeants de BNP Paribas auront ponctionné 1 milliard d’euros dans les poches des contribuables français. Cela rappelle l’affaire Merril Lynch qui, avec 28 milliards de dollars de perte, se permettait de distribuer 3,6 milliards de prime à ses « cadres dirigeants », tout en recevant 45 milliards d’aide publique. Au juge Rakoff qui s’en étonnait (le Monde, 13.08.2009) il fut répondu que, sur le plan comptable, ça n’avait rien à voir. Ah, les miracles de la comptabilité! D’où, tout de même, la question du juge : « si Merril Lynch n’avait pas payé ces 3,6 milliards (de bonus) aurait-il eu 3,6 milliards de pertes en moins » oui ou non?
Alors, bien sûr, ces énormités déclenchent quelques molles jérémiades chez les tartuffes censés diriger l’économie. En fait, aucune de ces réactions n’arrive à trouver le ton juste. Deux registres apparaissent : soit celui de la désinvolture, soit celui d’une indignation trop emphatique pour ne pas être feinte. Dans le premier registre, le Mondetitre aimablement le 23 juillet : « les salaires de la finance agacent les dirigeants du G
20 »... C’est vrai, c’est agaçant quoi! Pour le Nouvel Observateur, c’est : « le milliard qui fâche », comme s’il s’agissait d’une inoffensive taquinerie! La Fédération bancaire française évoque avec un délicat euphémisme « des excès et des surenchères » ; Fillon fait très peur en appelant les banques au « respect » de leurs « engagements ». Dans le second registre, c’est Mme Lagarde qui s’illustre (elle qui célébrait tant « l’argent » en 2007)... Ces bonus ne seraient rien de moins qu’un « honte absolue » et « il faut aller plus loin dans la désintoxication collective internationale ». Sans blague! A quand, pour commencer, le sevrage des riches shootés aux cadeaux fiscaux du dealer de l’Elysée? C’est beau comme du Strauss-Kahn qui proclamait, en avril 2009, à l’issue du séjour londonien du G 20 : « ce qu’il faut maintenant, c’est nettoyer le système bancaire ». On parlait d’ « encadrer les rémunérations », cela s’appelait « moraliser le capitalisme ».Libération faisait semblant d’y croire et titrait : « Un G 20 pas vain ». Le Figaro faisait dans la grandiloquence sous la plume des grandes occasions de l’impayable Mougeotte : « La symphonie du nouveau monde ». On en rit encore. Seule l’Humanité, pas dupe, prévenait : « G 20 : ils se moquent du monde » (03.04.2009).
Mesurées et/ou inefficaces, les admonestations actuelles ont en outre tendance à fortement s’atténuer. C’est ici qu’entre en scène un étrange et mystérieux personnage, nouveau héro de notre temps, le trader. C’est un type qui, paraît-il, d’un « clic » et en une fraction de seconde sur les nouveaux ordinateurs, peut faire gagner plusieurs millions à sa banque. Alors, vous pensez, ces virtuoses de l’arnaque, on se les arrache et il faut les payer cher! La France doit tout faire, nous dit-on, pour conserver ses traders « les plus performants » si elle veut « garder une activité financière ». C’est la concurrence : les autres le font, alors nous aussi...je te tiens, tu me tiens, etc. On apprend sans surprise par le PDG de BNP Paribas qu’il « n’a jamais été question d’arrêter de distribuer des bonus ». Comme le remarque obligeamment Michel Sapin, secrétaire national du parti socialiste à l’économie, « il ne faut pas tomber dans une folie anti-bonus ». Le seul problème, c’est le « goût du secret », vive donc la « transparence »! A part qu’on ne se demande jamais ce qu’est réellement un « trader » : un spéculateur de plus ou moins haut vol chargé de tourner la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande, « escroc mais pas trop », comme dirait Woody Allen, toujours à la marge de la légalité mais couverts par les fameux « cadres dirigeants », sauf gros pépin impossible à dissimuler, comme dans l’affaire où le malheureux Kerviel, comme l’âne de la fable, a été jugé un « cas pendable » pour innocenter tous les autres.
18 août 2009