L'imposture de l'écologisme

J’appelle écologisme l’instrumentalisation politique des thèmes écologiques confisqués par un certain nombre d’agents du champ politique. Ceux-ci s’en constituent un capital spécifique dont ils escomptent, dans ce champ, de multiples bénéfices matériels et symboliques. L’affaire, en ce moment, marche assez bien et suscite un certain nombre de vocations, produisant un personnel politique aux convictions plus ou moins spontanées. Censés faire de la politique « autrement », ils sont vite tombés dans la tambouille électoraliste. Les plus anciens, bien incapables de gagner un mandat électoral contre la droite avec leurs propres forces, ont souvent tenté, et parfois réussi, de rapter des municipalités de gauche, généralement communistes, avec le concours plus ou moins discret de la droite, sous le regard le plus souvent bienveillant du parti socialiste. Certains autres qui ne doivent l’essentiel de leur début de carrière politique, ici aussi, qu’à des électeurs communistes abusés découvrent subitement que l’herbe est évidemment plus verte chez les écologistes et la mangeoire électorale mieux garnie...

On ne doutera pas ici de la sincérité de l’écolo de base, simple pion d’une stratégie qui le dépasse et que Gérard Courtois, du Monde (22.12.2009), énonçait crûment ainsi : les Verts « apparaissent comme cette troisième force dont ne cessent de rêver les Français pour échapper au sempiternel affrontement droite-gauche ». Une « troisième force » qui a toujours été, en France, le recours de la bourgeoisie pour le maintien de ses privilèges et de l’ordre politique, économique et social. On le verra, le maître d’œuvre de l’entreprise est Daniel Cohn-Bendit mais les autres dirigeants ne sont pas en reste tout en étant un peu plus discrets. Cécile Duflot souhaite ainsi une « conversion écologique de l’économie », ce qui ne mange pas de pain, en critiquant « notre modèle de production et de consommation »... un modèle dont elle évite soigneusement de préciser la nature. Pour Mamère, c’est fait et il le proclame dans une interview : « ce que la gauche n’a pas osé faire, Sarkozy l’a mis en place avec le Grenelle de l’environnement » (le Monde, 8/9.11.2009), ce qui ouvrirait l’avenir radieux d’une « transformation écologique de la société » et (encore!) d’une « conversion écologique de l’économie ».
Ce n’est pas la seule concordance entre Sarkozy et les dirigeants des Verts, on l’a vu avec la farce de la taxe carbone. Que n’a-t-on entendu sur cette « réforme historique digne, selon Sarkozy, de l’abolition de la peine de mort »! Une emphase grotesque destinée à en cacher la scélératesse. Tout l’écologisme officiel a couvert Sarkozy de bénédictions. Nicolas Hulot, qui s’y connaît en déguisement, a inventé le trompe-l’œil de la « contribution climat-énergie ». Yann Artus-Bertrand a oublié, dans le générique de son film esthétisant et manipulateur, Home, de chiffrer la facture carbone de son tournage en hélicoptère, le moyen de transport le plus polluant, mais il proclame :

« on devrait être fier de payer cette taxe écologie ». Cohn-Bendit, dans les Echos du 26 juillet 2009, conseillait à Sarkozy de « tenir bon sur une taxe carbone (qui) est une mesure révolutionnaire ». Et tous ces « experts » découvrent après-coup ce que le Conseil constitutionnel a tout de suite relevé, avec sa rhétorique propre, l’injustice totale d’une taxe qui est une saignée pour ce qu’on appelle les « ménages », avec des exemptions massives pour les activités les plus polluantes, les transports remis au laisser-faire du libre-échange, le permis de polluer à ceux qui auront les moyens de se le payer, etc. Sans parler de l’entourloupe d’une prétendue « redistribution sociale »!

C’est tout ce que le Conseil constitutionnel appelle une « rupture de l’égalité devant les charges publiques ». Mince alors, Cécile Duflot se dit « surprise »! Elle n’avait rien vu. Marc Dufumier (Fondation Nicolas Hulot) ne savait pas que la taxe serait « si injuste socialement » (l’Humanité, 01.10.2009). Dans une tribune du Monde (09.01.2010), ils s’y sont mis à cinq pour énoncer doctement que « la contribution carbone ne peut souffrir de multiples exonérations ». Que ne l’avaient-ils dit AVANT! On est en droit de penser que si le Conseil n’avait rien dit, ils ne se seraient guère inquiétés de la chose. Et tout ce beau monde croit se dédouaner de son indifférence aux difficultés sociales par des invocations charitables pour un « nouveau pacte social qui ne laisse pas les plus vulnérables de côté ». Il faudra bien un jour s’interroger sur ce vocabulaire exaspérant de dames patronnesses qui se donnent bonne conscience en plaignant les « plus vulnérables », les « plus fragiles », les « plus démunis », comme s’il y avait une essence de la misère, une fatalité, une sorte de malédiction sociale dont il suffirait seulement d’atténuer les effets par des mesures ponctuelles enrobées de compassion.

18 janvier 2010