Les écotartuffes
Je n’en ai pas fini avec Camus. J’y reviendrai. Auparavant, il me semble opportun de reprendre l’analyse de l’écologisme entreprise dans une précédente chronique. J’y faisais l’hypothèse de l’irruption dans le champ politique de nouveaux agents nantis d’un capital symbolique spécifique accumulé à partir de thèmes écologiques abusivement confisqués. Ces nouveaux entrants s’intègrent d’autant mieux dans le champ qu’ils souscrivent pleinement à l’ensemble de ses jeux et de ses enjeux. Autrement dit, l’écologisme a pour fonction de neutraliser le potentiel subversif de l’écologie radicale qui ne peut être qu’anticapitaliste si elle va au bout de ses principes. C’est tout le sens de l’opération « Europe Ecologie » qui fait que, comme le remarque le chercheur suisse Romain Felli, « l’écologie est devenue un facteur de légitimation de l’ordre existant ». Et, très précisément de l’ordre capitaliste. Un exemple chimiquement pur de la trahison écologiste est bien celui du commerce des droits à polluer présenté comme une avancée décisive pour sauver la planète. Le système européen des quotas de CO2 a instauré en 2005 un plafond d’émission, mais les entreprises qui dépassent leurs quotas peuvent en acheter sur le marché à celles qui ont des excédents. Il existe ainsi un marché des permis d’émission de CO2 qui rend possible à ceux qui en ont les moyens d’acheter en toute légalité le droit de polluer. On voit mal en quoi cela fera baisser les émissions de CO2lesquelles seront source de profit et l’on sait que, pour le capitalisme, tout fait ventre! Bêtise ou cynisme, les grands chefs de l’ « écologie politique » veulent ignorer que confier au marché la lutte contre la pollution revient, comme Gribouille, à se jeter à l’eau pour ne pas être mouillé par la pluie.
L’opération de recentrage politique développée avec les élections européennes se poursuit avec les régionales. Ce qui entraîne un certain renouvellement du personnel. Ainsi les vieux apparatchiks des Verts, les Voynet, Cochet, Lipietz, Mamère, etc., trop marqués à gauche, sont progressivement largués. On peut distinguer aujourd’hui dans la fraction dirigeante dominante au moins trois catégories : l’écolo libéral, l’écolo médiatique, l’écolo folklorique. Charitablement, on ne s’attardera pas outre mesure sur ce dernier, survivance pittoresque et décorative dont l’exemple même est l’illustre José Bové. On sait ce que celui-ci doit aux médias dans cette image de bonhomie archaïsante qui plait tant aux bobos. Nanti de l’incontournable cliché médiatique de « leader
paysan », il afficha longtemps -et il fut cru- des convictions altermondialistes et antilibérales. Il préconisa le « non » au TCE de triste mémoire et s’imagina même un moment guide suprême des cohortes antilibérales unifiées. Vu la versatilité du personnage, on peut dire qu’on l’a échappé belle. Car, les résultats n’ayant pas été à la hauteur des espérances, il lui parut urgent de se reconvertir. Et de rallier l’écologisme officiel. Ce qui le conduit aujourd’hui, avec le zèle des nouveaux convertis, à trouver opportunément au Traité qu’il combattit jadis des vertus insoupçonnées : une
« codécision » du Parlement européen et de la commission (qui laisse en réalité le dernier mot à la commission), un « droit de pétition », raillé à l’époque (qui est, de fait, impraticable) (Sud-Ouest, 01.12.2009).
L’écolo médiatique a pour modèle, bien sûr, l’envahissant Nicolas Hulot. On ne s’y appesantira pas davantage tant ce personnage a clairement inauguré le type même de l’écotartuffe, selon l’expression de Stéphane Guillon. On sait que ses activités médiatiques -qui lui rapportent gros- sont largement financées par des multinationales dont l’écologie, sinon pour l’image, est le dernier des soucis. Tout en se laissant modestement qualifier de « sauveur de Terre », il orchestre un catastrophisme compact et universel fondé sur l’émotionnel. Il pousse l’hypocrisie jusqu’à critiquer anecdotiquement certains « excès du libéralisme » et de vagues « élites » mais répand une culture de « l’urgence écologique » qui conduit en fait à remettre toujours à plus tard la critique du marché et à en accepter la logique (éco-taxes, permis de polluer...) comme impératif immédiat et au nom de « l’efficacité ». Bref, on a droit à toute une mise en scène où il devient plus facile de penser la fin du monde que la fin du capitalisme. Comme le dit Hugo Chavez, « si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé »! La fin du capitalisme, voilà bien une perspective propre à effrayer l’écolo libéral qui organise les opérations, l’inévitable Cohn-Bendit. On va y revenir. Et pourtant, ainsi que le rappelle Georges Gastaud, Marx l’avait annoncé : « le capitalisme ne crée la richesse qu’en épuisant ses deux sources, la Terre et le travailleur ». On ne sauvera l’une qu’en émancipant l’autre.
15 février 2010