Les impasses petites-bourgeoises de l'écologisme

L’écologie, en tant que science, pose des problèmes majeurs de notre temps. L’écologisme, en tant qu’instrument politique, les réduit à des questions de mode de vie. Autrement dit, l’écologisme n’est guère, c’est le moins que l’on puisse dire, à la hauteur des enjeux écologiques. La raison en est à rechercher dans l’archéologie du tournant environnementaliste pris, il y a une trentaine d’années, par des fractions de petite et moyenne bourgeoisie plus ou moins intellectuelles. Leur niveau de vie et de revenus ne leur posant pas de problèmes de fin de mois a permis la mise au goût du jour du thème de la «qualité de vie». C’est ainsi qu’un des fondements de l’écologisme est un consumérisme de bon ton, recherchant en particulier l’amélioration permanente des équipements ménagers permis par les technologies modernes. On critiquait le « productivisme » mais on se suréquipait tout en s’abonnant à la revue Que choisir dont le souci « écologique » consistait, à l’aide de tests comparatifs, à rechercher le meilleur rapport qualité-prix entre différentes marques de réfrigérateur.

Le souci du « social » a toujours été secondaire chez ces gens parce que ne les concernant pas. Ils lui substituent une culpabilisation générale où nous sommes « tous » responsables, n’est-ce pas, et où nous devons « tous » faire des efforts. L’idéologie individualiste petite-bourgeoise qui sévit ici se pense universelle et a des conséquences pratiques. M. Gérard Chausset est vice-président de la CUB où il a en charge les transports qu’il gère en véritable technocrate sans se préoccuper des conséquences sociales de ses préconisations. Il vient ainsi d’avancer, comme, à Paris, la tête de liste UMP, Chantal Jouannau, l’idée faramineuse d’un péage urbain, l’exemple même de la mesure ségrégative, et cela après avoir récemment proclamé que la gratuité des transports publics n’était ni possible ni souhaitable. Il ne manque pas ainsi, à Europe Ecologie, de petits chefs aussi peu dérangeants pour les puissants. M. Bruno Rebelle, qui navigua de Greenpeace à Europe Ecologie après une escale chez Ségolène Royal, est tout fier de « conseiller » -gratuitement?- un « grand fast food » pour ses « approvisionnements en bio » (Sud Ouest, 22.10.2009). Que ne ferait-on pas pour sauver la planète! Quant à Alain Lipietz (il existe encore) il a trouvé un argument aussi navrant que définitif : Europe Ecologie, c’est « sexy »! (le Monde, 22.10.2009). Accablants effets du retour d’âge... La boboïsation verte est en marche. On prend des mesures radicales : on va faire ses courses en vélo au marché bio du coin et, comme on a une belle âme, on achète des produits Max Havelaar pour inciter les pays pauvres à le rester et leur épargner les atroces souffrances que nous a procurées notre propre abondance de biens.

Reste leur maître à tous, Daniel Cohn-Bendit, le chouchou des médias dont la faconde de bomimenteur en fait un « client » rêvé pour les journalistes. Peu importe ce qu’il raconte, seul compte un bagout dont la vulgarité nasillarde est réputée très vendeuse pour des télévisions où traiter Bayrou de has been passe, il est vrai, pour un sommet de finesse de l’analyse politique. L’image médiatique de contestataire (bidon) est soigneusement entretenue alors qu’il n’est pas besoin de beaucoup gratter pour découvrir l’affligeant conformisme des positions réelles du personnage, même s’il en est fait rarement état. Il existe, par exemple, un livre d’entretiens de 1998, Une envie de politique, où le prétendu « trublion » déclare son amour au capitalisme et à l’économie de marché. Il combat ce que la droite appelle des « tabous » et acquiesce à tous les thèmes ultralibéraux : les services publics doivent être ouverts à la concurrence et le téléphone, la poste, l’électricité, la télévision privatisées ; il faut admettre le travail du dimanche puisque « les machines travaillent sept jours sur sept » (!). Il est partisan de « l’autonomie » des établissements scolaires avec appel aux fonds privés pour constituer de « véritables joint- ventures avec les entreprises » ; l’industrie doit participer à la « définition des contenus d’enseignement », etc. Couronnement d’une carrière d’ex-ultra révolutionnaire, une invitation de Seillière à l’université d’été du MEDEF en 2000 où il caresse les patrons dans le sens du poil : « votre question, le capitalisme est-il moral? Ne m’intéresse pas. Arrêtez! Laissez ça aux curés! Le souci des capitalistes c’est de gagner et ils ont raison ». Dix ans de néolibéralisme et une crise financière plus tard, voilà un propos extrêmement édifiant (www.ladecroissance.net).

C’est en vérité une vieille histoire : le petit-bourgeois enragé finit toujours par passer avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie. Voynet qui est une grande sensitive le trouve « fascinant » et « émouvant »... Grand bien lui fasse. On le lui laisse. Il est seulement dommage que les électeurs ignorent les côtés sérieux du pitre médiatique.

1er mars 2010