Réformateurs et Conservateurs

 

La fonction capitale de l'institution scolaire dans la reproduction des hiérarchies sociales n'a été que tardivement révélée, analysée et reconnue (plus ou moins). Il n' a cependant pas manqué dans l'histoire de philosophes, pédagogues, psychologues, éducateurs pour s'interroger sur les injustices des systèmes d'enseignement. C'est ainsi que se sont toujours confrontés dans l'histoire de l'éducation les Réformateurs, désireux de faire évoluer l'école, et les Conservateurs, soucieux de son rôle de préservation de l'ordre établi. Les références des uns et des autres sont éclairantes. Les Réformateurs peuvent se réclamer de Montaigne pour qui, par exemple, « savoir par cœur n'est pas savoir : c'est tenir ce qu'on a donné en garde à sa mémoire » (Les Essais, Livre I, Chap. XXVI, Classiques Garnier, Tome I, p. 163), ou Rousseau qui recommande de rendre l'élève « curieux » : « mettez les questions à sa portée et laissez-lui les résoudre. Qu'il ne sache rien parce que vous le lui avait dit, mais parce qu'il a compris lui-même (…). Si jamais vous substituez dans son esprit l'autorité à la raison, il ne raisonnera plus, il ne sera plus que le jouet de l'opinion des autres » (Emile ou de l'éducation, Livre III, Garnier-Flammarion, p.215). Ces préceptes sont parfaitement contraires aux convictions des Conservateurs pour qui le modèle – même s'il n'est pas toujours explicitement revendiqué- reste la pédagogie disciplinaire des Jésuites si bien analysée par Michel Foucault dans Surveiller et punir : autorité, surveillance, compétition, contrôle...

Les Réformateurs, c'est le Plan Langevin-Wallon, les pédagogies actives, les mouvements de l'Education nouvelle, le Mouvement de l'école moderne de Célestin et Elise Freinet, le GFEN, tout ce que haïssent les Conservateurs sous le nom supposé infamant de « pédagogisme ». Un cliché rebattu que reprend paresseusement M. Bruno Dive dans Sud-Ouest du 04.09.2018 en parlant des « expériences désastreuses du pédagogisme » ! Il n'en connaît strictement rien mais il en a entendu parler et ça fait partie de l'imaginaire journalistique. Car les Conservateurs ont bonne presse, d'autant plus que leur représentant trône au ministère de l'Education nationale sous le nom de Blanquer. Leurs obsessions sont bien répertoriées par Grégory Chambat dans L'école des réac-publicains (Libertalia, 2016). La principale est sans doute ce qu'ils appellent « l'égalitarisme », en fait l'horreur de l'égalité et le dégoût de ce qui serait une promiscuité sociale conduisant selon eux à l'effondrement du « niveau », la haine de la culture, la dégénérescence du savoir, l'avènement de la tyrannie contre l'évidence des hiérarchies « naturelles » et en fin de compte la décadence de la société, le totalitarisme et la barbarie... Et ce n'est qu'un échantillon !

Comme le disait crûment, en 1935, un certain Emile Bocquillon, futur collabo et déjà antisémite, augmenter la durée de scolarité, c'est « pour mieux bolchéviser le pays » (cité par Grégory Chambat, p.48). Ce qui explique l'affection débordante qu'ont toujours affecté les idéologues de la bourgeoisie pour... l'apprentissage ! Ils n'ont jamais accepté le collège unique ni même la prolongation de la scolarité pour tous. Ils n'ont de cesse d'écarter du collège ces élèves stigmatisés qui « font baisser le niveau » et empêcheraient les « meilleurs » de progresser ! Il faudrait revenir au bon vieux temps de l'apprentissage à 14 ans ! L'apprentissage d'un métier manuel n'a bien entendu rien de disqualifiant mais il ne faut pas faire semblant d'ignorer que dans la société capitaliste ce sont des emplois subalternes et généralement faiblement rémunérés. C'est toute l'hypocrisie de ces bourgeois qui jouent la compassion pour ces malheureux élèves qui « s'ennuient » à l'école et qu'il faut au plus vite « mettre au travail », c'est-à-dire livrer à l'exploitation.

La stratégie préférée des Conservateurs pour perpétuer la discrimination sociale dans l'institution scolaire va consister à surévaluer les traits les plus clivants de la culture légitime. On pourra en multiplier les exemples, du latin et du grec aux « délires de l'orthographe » selon l'expression de la grande linguiste Nina Catach (Plon, 1989). On affectera de se battre pour le passé simple alors que l'imparfait du subjonctif a disparu sans que personne s'en aperçoive ni que la langue s'en porte plus mal. Et voilà que de dérisoires ayatollahs partent en croisade pour le sauvetage du participe passé ! Sont-ils seulement tous sûrs d 'en maîtriser la vingtaine de cas d'accord différents ?

 

Exercice : doit-on écrire les feuilles qu'il s'est assemblé ou les feuilles qu'il s'est assemblées ? Quelle est la règle ?

 

NIR 211. 16 septembre 2018