Une démocratisation qui ne passe pas

 

 

Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, cherche à se faire passer pour un simple technicien de l'éducation, neutre et sans a priori, témoin cette insistante rhétorique du pragmatisme qui n'est que du conformisme et la soumission cynique à la loi du marché. En réalité, il est de formation juridique et ne côtoie l'éducation que depuis une douzaine d'années. Il est idéologiquement très à droite, ce qui est son droit mais n'est pas sans conséquence, d'autant qu'il cherche à le masquer. Il a été directeur général de l'enseignement scolaire d'un des plus lamentable ministre de l'EN que l'on ait connu, Luc Chatel, et a été ainsi acteur de la scandaleuse suppression de fait par celui-ci de la formation des maîtres. A vrai dire, Blanquer ne dépare pas dans la longue litanie des ministres de l'EN sous la Vème République dont le plus clair de l'action a constamment été de s'efforcer de contenir et limiter l'accès aux enseignements secondaire et supérieur des enfants des classes populaires. Pour ceux-ci il y avait autrefois les écoles primaires supérieures et les cours complémentaires tandis que les lycées scolarisaient les enfants de la bourgeoisie des « petites classes » élémentaires à la Terminale. C'était le bon vieux temps où l'on ne mélangeait pas les torchons avec les serviettes alors qu'aujourd'hui, Finkielkraut le dit crûment, le souci d'amener les enfants du peuple au même niveau que ceux des classes dominantes, aurait fait baisser la culture jusqu'au « naufrage » (La querelle de l'école, 2009).

Il a fallu attendre la réforme Berthoin de 1959 pour que la scolarité passe à 16 ans mais toujours en évitant la mixité sociale avec d'un côté les collèges d'enseignement technique et les CEG, de l'autre, encore, les « petits lycées ». En 1963, la réforme Fouchet introduit les CES mais toujours avec des filières : enseignement court, enseignement long et les classes de transition de sinistre mémoire. Les CEG subsistant, la réforme Haby de 1975 les supprime, l'hétérogénéité des classes de CES devient, en principe, la règle même si, en fin de 5ème, beaucoup d'élèves seront orientés vers les voies de garage des CPPN et des CPA. En tout cas, les Conservateurs ne s 'en sont pas encore remis, comme si la reproduction sociale ne fonctionnait plus... Et la mise en cause néo-réactionnaire de l'école est alors devenu un fonds de commerce juteux pour de nombreux plumitifs, les Brighelli, Polony, Le Bris... Plus c'est outrancier, plus ça marche !

L'offensive s'est mise en place en 1984, sous le ministère Savary, à la suite du rapport Legrand de 1982 et l'ambition de « rénovation du collège unique » qui a sans doute été une des tentatives les plus intéressantes pour une réelle démocratisation. Elle a tourné court comme à peu près tout ce qu'avait promis Mitterrand. Mais le sang de M. Jean-Claude Milner n'a fait qu'un tour, ce personnage, en devenant mandarin de l'Université, étant passé allègrement des fureurs du maoïsme à un conservatisme fanatique. J'ai pris la peine de reprendre sa diatribe de 1984 intitulée sobrement De l'école. C'est édifiant. On a le discours type du dominant, détenteur proclamé de la culture légitime, qui s'octroie la destinée manifeste de veiller à ce que jamais le vulgaire ne la souille, en particulier ces méprisables et incultes instituteurs. L'emphase hautaine y tient lieu d'argument et l'orgueil du magistère s'y déploie comme le paon sa queue. Non sans quelques répugnantes ACbassesses : selon Milner, « les Réformateurs veulent transformer l'école en caniveau pour immigrés » (De l'école, p.141).

Il faut bien le dire, visiblement ces gens détestent les enfants. Pour Milner, il n'y a pas d'enfants mais des élèves, c'est-à-dire des sujets dont l'enseignant est le maître à tous les sens du terme. L'enfant est ici un être rebelle et pervers qu'il faut contraindre, mater et au besoin châtier sans hésitation. Ce ne doit être que le réceptacle du savoir et, fulmine Milner, « le pédagogue ne s'intéresse pas à ce qu'il enseigne puisqu'il ne s'intéresse qu'à ses élèves » (p.188). Jacques Julliard -ce nain de la pensée qui injuria Bourdieu sur son lit de mort et trouve que J.J. Rousseau n'a dit que des sottises- va plus loin : le rapport maître/élève serait un exercice « d'admiration » (L'école est finie, 2015, p.48). Vieille nostalgie d'un improbable charisme professoral. Consternant archaïsme où le savoir supposé du maître n'est qu'un instrument de domination générant des disciples dévots sommés de se soumettre à un pouvoir jalousement préservé...

 

NIR 212. 30 septembre 2018