Populisme scolaire
Revenons au ministre Blanquer. C'est un curieux mélange de démagogie, de fond de sauce néo-réactionnaire et de pseudo-modernisme. Le macronisme ne cesse de mettre en avant la mesure phare du dédoublement des CP puis des CE1 en REP (Réseaux d'éducation prioritaire). Elle est constamment claironnée comme le moyen principal du plan contre la « pauvreté »... A-t-on remarqué quel dédain apitoyé comporte cet intitulé ? Les bourgeoises du XIXème siècle le savaient : il faut être miséricordieux avec les pauvres et la pauvreté doit être traitée sur le mode compassionnel... Hé bien, non ! Ce n'est pas d'un « plan anti-pauvreté » dont on a besoin, mais de justice sociale et de solidarité. Le dédoublement des classes de CP n'est pas un cadeau que sa Grandeur macronienne daigne faire aux misérables des quartiers déshérités. La baisse des effectifs est une très ancienne revendication syndicale qui concerne toutes les classes. Elle se fait ici sans moyens supplémentaires et en alourdissant les classes du cycle 2. Autre mesure positive annoncée à son de trompe, la scolarisation obligatoire à 3 ans. Fort bien, mais plus de 97% des enfants sont déjà scolarisés à cet âge. Alors pourquoi ce projet ? C'est un vrai cadeau, là, à l'enseignement privé : les communes qui le subventionnaient à partir de 6 ans, vont devoir le faire à partir de 3 ans !
C'est par démagogie que Blanquer est revenu à la semaine de 4 jours, plébiscitée certes par les adultes mais néfaste pour les élèves et les apprentissages. La chronobiologie, science des rythmes physiologiques, et la chronopsychologie l'ont amplement démontré. Mais le ministre qui affiche sa foi dans la science quand ça l'arrange (les neurosciences...) la méprise ici complètement. Le vrai courage serait de mettre en place une semaine de 4 jours et demi avec classe le samedi matin ! Mais personne n'y songe... Même si les enfants après une coupure de 2 jours complets sont peu disponibles le lundi... Tous les enseignants le savent ! 144 jours de classe seulement dans l'année (contre 180 en moyenne européenne), cela se paye forcément quelque part. Encore de la démagogie : la dictée quotidienne imposée ! Cela plaît beaucoup au sens commun. Sauf que la dictée, même préparée, n'est pas un exercice d'apprentissage mais de contrôle où l'on sanctionne des « fautes » qui sont autant de péchés contre la langue et où le zéro est sans appel. En réalité, l'orthographe ne s'acquiert pas par les dictées mais par la fréquentation des textes, la lecture de livres, la production d'écrits où apparaît la nécessité des règles orthographiques et syntaxiques et de leur apprentissage explicite... Mais ça, c'est de la pédagogie... Quelle horreur ! La dictée, c'est tellement plus simple.
Démagogique toujours, la rhétorique des « fondamentaux » qui, en éducation comme en politique, n'est que le masque du conservatisme et des nostalgies passéistes. Il est toujours payant de flatter la croyance en un bon vieux temps mythique transfiguré par ce que la psychanalyse appelle des souvenirs écran. On se fabrique même des souvenirs que l'on n'a jamais vécus. On s'attendrit sur les bons points que distribuait parcimonieusement la maîtresse de CP... Et la plume sergent-major !
Et son encre violette que l'on fabriquait avec de la poudre et de l'eau ! On imagine mal aujourd'hui les clameurs d'indignation que provoqua chez les rétrogrades habituels la généralisation du stylo à bille. La disparition des pleins et des déliés serait à coup sûr la fin de l'école républicaine ! Ainsi s'évanouissaient les senteurs d'encre, de bois, de craie magnifiées par le célèbre poème de René Guy Cadou... Jusqu'au coin, au bonnet d'âne et aux coups de règle sur les doigts qu'il faudrait regretter !
A croire que dans cette école « d'autrefois » il n'y avait pas de problèmes, en particulier en lecture par la vertu de la miraculeuse méthode syllabique, et les vaches étaient bien gardées (toujours par les mêmes). En fait les difficultés étaient aussi importantes qu'aujourd'hui mais on s'en accommodait ou elles passaient inaperçues parce que « naturelles ». C'était dans l'ordre des choses. On quittait l'école à 14 ans et l'absence de diplôme n'était pas rédhibitoire pour trouver un emploi. Il a fallu une démocratisation bâclée pour que soit révélée la vérité d'un appareil de reproduction sociale programmant l'échec des enfants des classes populaires. C'est alors que fut inventée pour exciter la vindicte populiste la fable d'infâmes pédagogues complotant pour saborder une école qui marchait si bien...
NIR 214. 29 octobre 2018.