Les fourberies de Darcos

Depuis le passage au ministère, malheureusement inabouti, d’Alain Savary en 1981- 1984, on n’a pas eu un seul ministre de l’Education nationale capable de rattraper l’autre. On nous aura tout fait et on a eu droit successivement et pour commencer aux fantasmes républicano-réactionnaires de Chevènement, croyant réinventer le « lire-écrire-compter », comme si les enseignants l’avaient attendu pour faire leur boulot, mais accréditant définitivement la fable démagogique selon laquelle l’école n’apprenait plus à lire ni à compter. La gestion de garagiste de son successeur, Monory, à l’incompétence notoire, a permis à l’idéologie libérale de pointer son nez dans l’école sous couvert de gros bon sens et de saine administration. Jospin, qui a suivi, a multiplié, selon sa méthode habituelle, les louvoiements, ménageant les uns et les autres, trop préoccupé par les perspectives d’une carrière qu’il imaginait grandiose. Il n’y a pas grand-chose à dire sur l’inconsistance de Bayrou, les paillettes et le dilettantisme de Jack Lang, les mondanités et l’amateurisme de Luc Ferry, l’insignifiance de Fillon, la nullité de de Robien dont on se demande encore ce qu’il faisait là! Une mention spéciale pour Allègre, succédant à Bayrou et surprenant même les plus endurcis par son épaisse vulgarité. Son titre de gloire aura été de se faire le maître d’œuvre de l’introduction systématique de l’idéologie libérale dans le fonctionnement même de l’école: rappelez-vous, le « dégraissage du mammouth », ce n’était qu’une forme de ce démantèlement des services publics que Sarkozy désigne sous l’appellation hypocrite de « réformes ». Pas étonnant qu’aujourd’hui les deux compères n’arrêtent pas de se faire des risettes et qu’Allègre multiplie platement les offres de service.

Avec Darcos, on entre dans une nouvelle phase qui consiste à programmer la destruction méthodique du système public d’enseignement. On peut analyser ce programme comme Freud, toute révérence gardée, le fait du rêve (ici un cauchemar). Il y a un contenu manifeste et un contenu latent. Le contenu manifeste, lacunaire et mensonger, est la partie apparente, visible, qui sert à la fois à occulter et à rendre acceptable en le transformant le contenu latent. Celui-ci est la pensée profonde, la vérité d’un désir dont le dévoilement ferait aujourd’hui scandale, même si certains indices dans le contenu manifeste peuvent permettre d’y accéder. Le contenu manifeste comporte ici un volet (prétendument) gestionnaire et un volet politique. Pour le premier, on va faire de l’amputation drastique des moyens la conséquence nécessaire d’une bonne « gouvernance », comme il est à la mode de dire chez les libéraux en refrancisant stupidement l’anglais « governance » (de Corporate Governance), gadget inventé pour euphémiser et respectabiliser l’arbitraire des décisions patronales. L’hypocrite impératif de « répartition des moyens » pour faire des économies -toujours indispensables, n’est-ce pas, puisqu’il s’agit des impôts de tous les Français, suggère-t-on sans lésiner sur la démagogie et le populisme- devrait donc raisonnablement aboutir à la suppression de 50 000 postes d’enseignants en 3 ans. Ce qui soulève l’indignation légitime de tous les véritables acteurs de l’éducation mais a aussi le mérite, en focalisant la colère sur des mauvais coups immédiats, de détourner l’attention du but de l’opération qui est la déconstruction organisée du service public et encore plus de son objectif plus lointain et informulable aujourd’hui qui est sa disparition!

Le volet politique va consister dans une provocation permanente vis à vis de tout ce qui s’oppose à cette politique et en particulier les syndicats. Même Allègre n’était pas allé aussi loin que Darcos dans la vindicte antisyndicale. L’affaire du « service minimum », benoîtement présenté comme un dispositif d’aide aux « familles », bien sûr, n’était qu’une machine de guerre contre des syndicats -égoïstes et corporatistes, selon la vulgate libérale- offerts à la réprobation générale. Cela s’accompagne d’un solide mépris dont l’affaire des couches en maternelle est une manifestation révélatrice. Rappelons donc le discours stupéfiant tenu par Darcos, le 3 juillet 2008, lors d’une audition devant le Sénat à propos de l‘école maternelle: « Est-ce qu’il est vraiment logique (...) que nous fassions passer des concours à bac+5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ». Une énorme bévue qui n’a pas dû lui valoir que des compliments au Château. L’incompétence ayant ses limites, aucun ministre de l’Education nationale ne peut ignorer que l’on ne risque pas de changer des couches en maternelle puisque les enfants qui en porteraient encore ne peuvent y être admis... Mais que voulez -vous, une discussion détendue, dans l’ambiance feutrée du Sénat, et on se laisse aller, on ne contrôle plus vraiment ses paroles devant des amis sénateurs comme Arthuis ou Longuet, bien incapables de relever la bourde, on en rajoute et on laisse affleurer son sentiment profond dans un propos en forme de lapsus ne faisant que révéler l’indicible dédain élitiste que l’on a, en particulier pour les enseignants des « petites classes »!

5 janvier 2009