Les amis de Darcos
Ministre, Xavier Darcos n’est que le médiocre exécutant d’une politique de libéralisation et de privatisation de l’éducation qui le dépasse largement. Mais il le fait avec d’autant plus d’empressement qu’elle correspond chez lui à une conviction profonde. Il lui faut néanmoins compenser la modestie de sa contribution personnelle sur le fond par un zèle de tous les instants sur la forme, ce qui peut aller jusqu’à un servilité effarante: ne proclamait-il pas, l’été 2008, dans une tribune du Monde, en un stupéfiant numéro de fayotage: «le sarkozysme est l’allié de l’école». Passons sur le « sarkozysme » promu comme une idéologie de notre temps (voire des temps futurs et radieux qui nous attendent) au même titre que le marxisme ou le gaullisme... Mais un tel niveau de veulerie au service d’une carrière politique, c’est un bon sujet de réflexion pour les enseignants et leurs élèves!
Revenons à l’opération « Main basse sur l’école publique », pour reprendre le titre de l’ouvrage récent de Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi (Ed. Demopolis, 2008), elle vient de loin. Au traumatisme de mai 68, toujours vécu comme un diabolique complot marxiste, s’est ajouté, en 1981, l’épouvante devant l’arrivée de la gauche au pouvoir et d‘Alain Savary au ministère de l’EN. C’en était trop. C’est alors que se sont tissés les fils d’une véritable croisade, discrète (de moins en moins) mais farouche, contre l’enseignement public d’où venait tout le mal, croisade où copinent aujourd’hui catholiques intégristes ou au moins très conservateurs et ultralibéraux belliqueux quand ils ne sont pas les deux à la fois. Tout ce petit monde se recrute dans tous les cercles les plus réactionnaires, de l’UMP à l’extrême-droite. Les militants ont souvent fait leurs classes au Front National et les théoriciens se sont formés au Club de l’Horloge, think tank de la Nouvelle Droite des années 70-80. Sans parler des accointances avérées avec l’Opus Dei dont les soldats de Dieu puissants mais en retrait veillent à la préservation et à la propagation de la vraie foi; il ne faut pas en dire du mal, sinon on risque se faire accuser de pratiquer la « théorie du complot », dénonciation qui, curieusement, semble toujours fonctionner dans le même sens.
On a pourtant bien affaire à toute une mouvance cléricalo-libérale active et bien introduite dans les arcanes du pouvoir. En voici quelques fleurons avant d’aborder leurs arguments et leurs objectifs. Et le ministre lui-même, d’abord: Darcos, juste avant les législatives de mai 93, participait à la création d’une officine, « Créateurs d’école », dont le principe organisateur était le combat contre le « monopole de l’enseignement » (public, évidemment). Hauts-fonctionnaires de l’EN et responsables de l’enseignement privé s’étaient ainsi acoquinés pour une entreprise revendiquée de démontage progressif du service public d’éducation par « l’identification des verrous et les moyens de les faire sauter ». En 2004, Mlle Mignon, devenue depuis conseillère vaticane de Sarkozy, dévoilait ingénument (?) l’objectif: « je suis pour une privatisation totale de l’éducation ». Quant à Darcos, il a placé ses copains d’alors: Dominique Antoine est son Conseiller Education et Maurice Quinet est Recteur de Paris.
Mais Darcos a des amis plus encombrants. Il y a bien sûr les tenants d’une stratégie catholique intraitable revendiquant, évidemment, la « liberté de l’enseignement » dans un projet missionnaire méthodique d’évangélisation. Et ils n’en ont jamais assez: ainsi une certaine « Mission pour l’école catholique », qui se présente comme un « service de veille pour une école chrétienne», se plaint que la loi Debré (de 1959), «pourtant particulièrement bienveillante», concèdent-ils, ne considère l’école chrétienne que comme un « service » et non une « mission ». Passons sur « FSP-Fondation de Service politique », une association papiste défendant ardemment tout ce qu’il y a de plus rétrograde dans l’Eglise ou « Famille et Liberté » constituée de potes à Vanneste, le charitable homophobe bien connu, lequel préside la chose. Sans parler de la très chic association « Enseignement et Liberté », créée tout exprès pour combattre la gauche au pouvoir en 1983, qui proclame noblement que « sans liberté de l’enseignement il n’y a pas de liberté de pensée », sauf que, apparemment, elle n’admet pas la réciproque puisque ses membres se sont parfaitement accommodés d’une liberté de l’enseignement sans liberté de pensée dans l’Espagne franquiste et les dictatures latino-américaines. Bien entendu, ces braves gens pourfendent avec ardeur ce qu’ils appellent « l’uniformisation », « l’égalitarisme », « l’imprégnation marxiste des manuels dans le public »...Et tout ce beau monde dispose même d’un « Institut libre de formation des maîtres » (ILFM) où l’on apprendra à bien orienter les enfants, conformément à leurs «dispositions naturelles » et aux « réalités du marché du travail ». Le rêve. Chacun à sa place et les vaches seront bien gardées. (à suivre)
19 janvier 2009