Logique libérale contre école publique
On dit Xavier Darcos fatigué. Il prétendrait avoir suffisamment assuré son travail de ministre pour demander enfin à passer la main. Il reste pourtant beaucoup à faire. Mais il avait, à l’évidence, sous-estimé le potentiel de résistance des personnels face à la mise en œuvre du démantèlement du service public d’éducation. De ses piteuses excuses aux enseignants de maternelle à l’échec de sa réforme du lycée, les occasions n’ont pas manqué de doucher son arrogance initiale. Et puis la faveur du prince est versatile, l’Elysée semble la lui retirer. Les espoirs de promotion comme Premier ministre s’éloignent, il se rabat, la mort dans l’âme, sur le Conseil régional.
Mais quel que soit le titulaire au ministère, le projet restera, à savoir la transformation de l’école selon ces dogmes libéraux dont la crise vient de dévoiler l’inanité pour qui l’aurait encore ignorée. Il faut toute l’étroitesse d’esprit d’un Sarkozy, figé dans son dogmatisme idéologique néolibéral, pour continuer à vouloir introduire la logique libérale dans le système éducatif. C’est-à-dire l’exacerbation de la « concurrence » où des écoles rivales aux financements de plus en plus privés se disputeront la clientèle de parents/consommateurs à la recherche du « meilleur » établissement où leurs chers petits seront assurés d’écraser tous les autres. Il y déjà des mesures en ce sens. La suppression de la carte scolaire (qui n’est pourtant pas la panacée en matière d’ « égalité »!) en est une qui permet cette fameuse « liberté de choix », obsession, on l’a vu, de tout ce qu’il y a de plus réactionnaire en matière d’éducation. Le « chèque éducation » est un autre dispositif où l’argent de l’Etat n’irait plus à l’Education (qui ne serait plus, de toute façon, nationale) mais à des acheteurs d’éducation « libres » alors de se fournir où ils l’entendent, hypermarché ou épicerie fine!
Il s’agit, bien sûr, de libérer l’éducation du « carcan étatique », la concurrence d’un grand secteur « libre » devant conduire à terme à la disparition programmée de l’école publique. La culture du privé, rentabilité et performance, doit se substituer à la culture de service public. Chaque établissement doit être une entreprise soumise à la « loi commune (?) de la performance », avec un « patron » qui recrute et dirige ses « employés » pour satisfaire des « clients », lesquels auront pris soigneusement connaissance des évaluations publiques concernant les enseignants et les établissements de manière à choisir les meilleurs produits, à la fois frais et matures et en en contrôlant l’origine. Il va de soi que les établissements les mieux notés se devront de majorer leurs tarifs et les enseignants méritants d’augmenter le coût de leurs prestations, ce qui leur permettra, eux aussi, enfin, de devenir riches! C’est le monde merveilleux de Sarko où tout s’achète et tout se vend, où la vie en société consiste en une compétition acharnée pour « faire de l’argent », où la valeur d’une personne s’estime par le fait d’arborer ou non une Rollex à partir de 50 ans... Le règne absolu de la vulgarité bling bling et de l’inculture affichée où le seul horizon est la « compétitivité » générant le profit maximum. On comprend que l’œuvre délicate de Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves, qui inaugura la forme littéraire du roman, soit objet de dédain à l’Elysée où l’on est soulevé d’hilarité à l’idée qu’on puisse y intéresser des « guichetières »!
La liquidation du système public d’éducation comporte des avantages évidents comme l’extinction du budget de l’Education nationale et surtout de ces enseignants fonctionnaires, remuants et encombrants avec leur statut archaïque. Il n’y a là rien d’imaginaire. Déjà l’association « Créateurs d’école », chère à Darcos, préconisait le recrutement des enseignants « sur profil », la généralisation des CDD, des rémunérations différenciées selon la « performance », le tout permettant d’abroger enfin le statut de la Fonction publique. En février 2008, était publié un certain rapport Pochard, dénommé Livre vert pour enjoliver la chose et qui mettait tout cela en musique. On y recommandait un rôle prépondérant pour des chefs d’établissement, vrais patrons fixant les « modalités locales de travail » et recrutant les enseignants sous forme d’un « lien contractuel » avec la direction de l’établissement. On y disait clairement que la rémunération à la performance était souhaitable mais que « le temps n’est pas encore venu ». Des établissements « plus libres » seront donc « comptables de leurs résultats »... Et de nous bassiner avec leur fétichisation obsessionnelle de la « performance »! Les nouveaux professeurs seront des « flexiprofs » (selon l’expression du Monde, 01.02.2008), soumis à des « activités modulables », réactifs, mobiles et mobilisables à merci, harcelés d’appréciations sur leurs « résultats ». A noter que ce rapport se prononçait déjà, en ce qui concerne le recrutement des enseignants, pour les « masters d’enseignement » que propose aujourd’hui Valérie Pécresse et qui sont quasi unanimement rejetés par la communauté universitaire!
14 février 2009.