Universités à vendre

Ne nous y trompons pas, le dogme libéral tend à gangrener progressivement l’ensemble de nos institutions éducatives. L’enseignement supérieur et la recherche sont des proies tentantes. Et fragiles. Il y a quelques notables universitaires à courte vue qui croient pouvoir régler des problèmes domestiques par des financements privés systématiques. En faisant semblant de croire à un éventuel désintéressement des créanciers en question ou à un avantage mutuel. Sauf que pour souper avec le diable, il faut une longue cuillère...

Il est vrai que certains de ces notables sont bien introduits dans le système. La Fondation Copernic s’est penché sur la trajectoire sociale de Valérie Pécresse, chargée de régler leur compte à l’enseignement supérieur et à la recherche. Elle est née à Neuilly. Elle a un papa: on n’est pas responsable de ses parents, mais il m’étonnerait qu’elle en ait honte. Il s’appelle Dominique Roux, il est professeur d’université à Dauphine, HEC, Sciences Po, que des endroits chics. Il se trouve qu’il est en même temps, entre autres, président de Bolloré Télécom (journal gratuit Direct soir, chaîne de télé Direct 8, agence de publicité Havas), un parfait modèle sarkozyste d’universitaire entrepreneur (ou d’entrepreneur universitaire!) (voir www.bellaciao.org). On ne sait pas s’il lui reste beaucoup de temps pour faire de la recherche « évaluable ». En tout cas, il enseigne l’économie et la gestion dans les lieux choisis susnommés. Sans la moindre « idéologie », bien sûr.

L’économie et la gestion, voilà des disciplines utiles. Soyons certains que M. le Professeur Roux, nanti de son expérience « entrepreneuriale » doit enseigner avec toute la neutralité scientifique requise ce que le philosophe et universitaire Alexandre Dupeyrix appelle « le culte de la performance et l’obsession de tout mettre en concurrence... l’obsession mortifère de la compétition et du gain » (le Monde, 15.02.2009). C’est que l’économie et la gestion, ça sert au moins à quelque chose, ce n’est pas comme certaines couillonnades -pour parler dans le style de l’Elysée- sans perspective de rentabilité, « le grec ancien, ça sert à quoi? Le français du Moyen-Age, ça remplit le stade de France? L’étude du sanskrit, combien de brevets? » (idem).Voilà au moins des domaines de recherche qui ne sont pas près de voir un centime des « investisseurs » privés!

Strauss-Kahn, qui n’en rate pas une, se demandait, en octobre 2006, lorsqu’il briguait l’investiture du PS pour l’élection présidentielle, « pourquoi les entreprises ne pourraient pas faire des dons à des universités ». Il voyait même « la chaire de physique nucléaire de Paris VI financée par EDF ». Pour son « image »! Et sans contrepartie? Depuis janvier 2007, il existe au Collège de France une chaire « d’innovation technologique » financée par la Fondation Bettencourt-Schueller. C’est Mme Bettencourt qui, dans sa grande bonté, casque sur sa fortune personnelle. Sauf que ce genre de dons bénéficie d’une exonération fiscale de 65% des sommes versées ce qui relativise quelque peu sa générosité et lui permet de faire supporter par le budget de l’Etat l’essentiel de ses largesses. Il faut dire que sa fortune est administrée, en toute de connaissance de cause, par une certaine Mme Woerth, la propre épouse de M. Eric Woerth, ci-devant ministre du budget! Hé oui! A l’université de Marne-la-Vallée, s’est négocié la création d’une chaire Véolia sur « les services de protection de l’environnement ». Certainement rentable. Pour Véolia. A quand une chaire d’écologie marine financée par Total ou une chaire d’éthique financière parrainée par Tapie?

La « décision 22 » du rapport Attali voudrait faire ainsi financer les universités par des fondations privées. Vieille pratique philanthropico-bigote du capitalisme américain. Bill Gates va, paraît-il, consacrer désormais sa vie à dépenser son immense fortune dans des actions philanthropiques et Warren Buffett, deuxième fortune, va en laisser l’essentiel à la Fondation Bill et Melinda Gates. Comme c’est émouvant! C’est bien la preuve, selon la logomachie théomaniaque nord-américaine que ces âmes bien nées ont fait l’objet d’une prédestination divine. Dieu leur a donné le talent pour être les « meilleurs » et les a choisis pour devenir milliardaires. La réussite dans les affaires et la concentration d’une immense fortune en font les meilleurs juges de la marche de la société et les dispensateurs les plus avisés de l’aide financière à de bonnes causes. Et c’est ainsi que, dans le meilleur des mondes, il y aura de riches élus de Dieu dont la bienfaisante philanthropie prodiguera l’aide sociale à qui le méritera. Et il y aura d’innombrables benêts pour croire encore à cette fable. Mais Warren Buffett, lui, ne s’y trompe pas. Il déclarait il y a quelque temps, c’était avant la « crise » financière: « la guerre des classe existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de la gagner ». C’est à voir!

16 mars 2009