Les Girondins champions !
Pourquoi bouder sa joie? Comment ne pas être heureux de voir les Girondins remporter ce titre de champion de France en Ligue I de football?
Certes, il y aurait beaucoup à dire sur le football professionnel qui, sous l’influence délétère de l’Angleterre thatchérienne, semble s’être définitivement transformé en haut lieu du libéralisme économique le plus effréné et de toutes les formes de marchandisation. On y brasse des millions d’euros et les « grands » clubs sont ceux qui peuvent « acheter » les meilleurs joueurs à prix d’or, l’éthique sportive et le « fair play » n’étant plus que d’aimables plaisanteries face à des enjeux financiers colossaux! On peut ainsi bâtir des équipes de manière totalement artificielle à coups de milliards comme Chelsea, en « League » anglaise. Il est de bon ton d’admirer le championnat anglais mais les meilleures équipes anglaises, celles du fameux « Big Four » (Manchester United, Chelsea, Liverpool, Arsenal) ne sont pratiquement composées que de mercenaires et quand elles comportent trois ou quatre joueurs anglais titulaires c’est déjà beaucoup! Lorsque Liverpool rencontre le Real Madrid, il y autant de joueurs espagnols dans l’équipe « anglaise » que dans l’équipe madrilène!
Autre plaie, le crétinisme envahissant de tellement de « supporters », véhiculant le racisme ordinaire et la haine de l’autre, passant le match à huer et insulter systématiquement les joueurs adverses (comme ces lamentables spectateurs caennais sifflant l’arrière bordelais Frank Jurietti à chaque touche de balle), encourageant tricheries, simulations et provocations chez les joueurs. Mais le pire, ce sont peut-être les médias où le seul rôle des journalistes sportifs, dans l’audio-visuel, par exemple, est de vendre le produit dont leur chaîne a payé très cher les droits à coup d’enthousiasme de commande, d’emballements forcés et de hurlements déplacés, la moindre rencontre un peu disputée devenant un « match de folie », le tout sur fond de clichés ressassés et de compétence incertaine que d’anciens joueurs ou entraîneurs, pompeusement baptisés « consultants », sont censés compenser alors qu’ils sont tout aussi experts en platitudes que leurs compères journalistes (à l’exception de quelques rares véritables techniciens comme Guy Roux). Le plus scandaleux, c’est sans doute la mise au pilori systématique des arbitres : pour vendre leur match, les commentateurs vont s’intéresser moins au jeu qu’aux incidents de jeu. Alors on fait monter la sauce, on traque les
« erreurs » de l’arbitre (et il y en a forcément) à coups de « replays » inutiles, on s’offusque, on en fait des tonnes... La chaîne Canal+ paye même un arbitre retraité pour flinguer ses ex-collègues en cours de match! Le président de Valenciennes a pu récemment traiter l’arbitre de Valenciennes- Bordeaux de « raclure de bidet... triste sire... malhonnête... » sans que cela émeuve le moins du monde les dirigeants de la Ligue professionnelle ou de la Fédération.
Et pourtant, comment ne pas s’enchanter de l’universalité de ce sport, cette forme éminente de culture populaire, malgré toutes les dérives qui l’affectent. Le Football Association est né en Angleterre comme forme d’expression collective dans la classe ouvrière, le rugby étant le sport des « gentlemen ». Dorénavant, dans ce pays, le prix des places en écarte -volontairement- une bonne partie du peuple. Ce n’est pas encore complètement le cas en France. Le triomphe des Girondins de Bordeaux est à replacer dans ce double cadre. Il est le résultat d’une gestion habile, sans esbroufe, mais obstinée et perspicace. Il fallait du discernement pour recruter un Laurent Blanc, chargé de gloire mais sans expérience d’entraîneur ou aller chercher Yohan Gourcuff qui jouait les utilités à Milan. Il fallait du jugement pour engager des joueurs qui semblaient être passés à côté de leur carrière comme Diawara, Alou Diarra, Jussiê ou même Cavenaghi et faire revenir à Bordeaux un Chalmé qui est aujourd’hui le meilleur arrière droit de Ligue I. Il fallait aussi de l’audace (mais peut-être que l’on a fait ici de nécessité vertu) pour lancer autant de jeunes formés au club : contre Le Mans, on comptait 6 joueurs sur 11 formés aux Girondins (Valverde, Chalmé, Planus, Trémoulinas, Sertic, Chamakh), ce qui, à ce niveau, est rarissime ; l’Olympique de Marseille qui est si « populaire » aux yeux des médias n’en compte aucun! La paire Laurent Blanc-Jean-Louis Gasset, synthèse parfaite du charisme et de la compétence, a su doter l’équipe d’un fond de jeu incomparable basé sur la conservation du ballon et des redoublements de passes destinés à déséquilibrer l’organisation adverse, un jeu intelligent où la circulation de la balle est plus importante que des courses inutiles derrière un ballon insaisissable. Ce qui n’enlève rien aux qualités athlétiques et techniques de joueurs irréprochables. Qualités mentales aussi qui ont permis de l’emporter à Grenoble (1-0) à 9 contre 11, à Monaco (4-3) après avoir été menés 3-0 et de se ressaisir en alignant 11 victoires consécutives après l’incompréhensible renoncement à Toulouse (défaite 3-0). Ces qualités ne pouvaient que s’épanouir dans un système offensif respectueux du jeu et des joueurs.
Paru dans les Nouvelles, 1er juin 2009 .