20èmè Festival du Film d'Histoire de Pessac. Une sélection inégale et un chef-d'oeuvre
Les années se suivent et ne se ressemblent pas forcément. La sélection de cette année pour le Prix du film d’histoire (fiction) est nettement moins homogène que l’an dernier. François Aymé qui a fait les choix n’y est sans doute pas pour grand-chose. Il y a des années fastes et d’autres moins et l’on ne peut pas toujours avoir, comme en 2008, une sélection foisonnante de chefs-d’œuvre tels Hunger, Il Divo ou Un instant la liberté.
Ainsi du Prix du Jury attribué à Vincere de Marco Bellochio. J’avoue ne partager ni ce choix ni la critique favorable qu’on lit un peu partout. C’est un film pesant, laborieux, surchargé de références, probablement trop long d’un bon quart d’heure. Vincere est un mélodrame qui au bout d’une heure n’émeut plus tant l’emphase tombe à plat. L’obsession véhémente d’Ida Dalser qui sacrifia tout au jeune Benito Mussolini et n’en accepta jamais le rejet finit par perdre toute vraisemblance, d’autant que Bellochio ne ménage aucune transition entre l’ardent jeune homme qu’aima Ida et le bouffon fulminant qu’il est devenu tel qu’on le voit dans les Actualités d’époque insérées dans le film. La magistrale interprétation de Giovanna Mezzogiorno sur quoi tout repose n’en peut mais.
Le choix du « Public » s’est porté sur Liberté de Tony Gatlif. C’est un très bon film. Le génocide des Roms par les nazis est encore étrangement sous-estimé, les Justes qui les aidèrent furent assez rares. Et l’on ne soulignera jamais assez l’ignominie des notables collaborateurs qui les dénoncèrent au nom -hé oui!- de « l’identité nationale », ni le comportement abject des police et gendarmerie françaises qui les pourchassèrent. On s’étonnera par contre que Gatlif donne parfois l’impression de véhiculer quelques clichés superflus sur les Tziganes : musique, nomadisme irrépressible, communautarisme intraitable... Dans le scénario, l’hostilité des villageois est, hélas! bien vue mais l’inévitable histoire d’amour entre le maire et l’institutrice n’ajoute rien.
C’est finalement le Jury étudiant qui a eu le bon goût de distinguer le seul chef- d’œuvre de cette sélection, le film irakien Les murmures dans le vent, premier long métrage de Sharham Alidi. C’est un film d’une beauté plastique confondante au service d’une cause impérieuse. Nous sommes dans le Kurdistan irakien au temps de la répression barbare menée par Saddam Hussein. Mam Balder en sillonne les paysages désolés et grandioses pour transmettre aux uns et aux autres leurs messages oraux par magnétophone. Il parcourt les champs de ruines et de massacres, tendant au vent son appareil et les mots emportés comme autant de témoignages imprescriptibles de la culture kurde. C’est à la fois magistral et poignant. Une telle conjonction, admirable et miraculeuse, de la forme et du fond, c’est cela la marque du chef-d’œuvre!
On sort du film israélien Lebanon de Samuel Maoz accablé par une heure de huis clos sordide dans l’habitacle d’un tank tandis que se succèdent les gros plans sur les visages noircis, effarés, apeurés de quatre tankistes donnant une image peu glorieuse de la fameuse « Tsahal ». L’extérieur et les Libanais existent peu, hormis deux ou trois « bavures » bien présentées comme telles. Tout le film est focalisé sur le malheur des soldats de l’armée d’invasion. Air connu : les films américains sur le Vietnam se sont généralement beaucoup plus apitoyés sur ces pauvres G I’s forcés de faire ce qu’ils faisaient plutôt que sur les milliers de Vietnamiens exterminés! D’ailleurs, le seul « méchant » du film est un...Arabe, un phalangiste qui décrit complaisamment à un prisonnier syrien remis par les Israéliens les supplices qu’il va lui faire subir...
Deux autres films me paraissent devoir retenir l’attention. On verra demain, film espagnol de Francisco Avizada, c’est le franquisme dans tout son triste état. Aucun personnage positif, une héroïne en arriviste aussi forcenée que pitoyable, une société verrouillée par la bien pensance et un catholicisme antédiluvien, une médiocrité et une hypocrisie généralisées dont la grisaille est rendue par une photo qui donne presque un film en noir et blanc. Sans parler de la férocité d’une répression policière où l’on ne sait plus qui est qui... Avizada n’appuie pas mais on l’entend. Qualités inverses dans In the loop, film britannique de Armando Iannucci, étourdissant, vibrionnant où tout est appuyé jusqu’à la caricature. Faucons et colombes anglo-américains disputent du possible déclenchement d’une guerre au Moyen-Orient. Cela vous dit peut-être quelque chose. C’est une interminable succession de voyages, conférences de presse, joutes verbales, dialogues de sourds ponctués toutes les dix secondes de « Fuck! » retentissants. Ce que le sous-titrage, la langue française étant un peu plus riche, traduit par d’innombrables « merde! bite! cul! » etc. Je rappelle que nous avons ici affaire à une élite mondialisée dont dépend le sort de la planète. En fait une invraisemblable galerie de butors et de bouffons où même un Sarkozy passerait pour un intellectuel raffiné et un galant homme. A noter la composition époustouflante d’un comédien nommé Peter Capaldi dans le rôle d’une espèce de « spin-doctor » parfaitement hystérique. Ce n’est peut-être pas du grand cinéma mais c’est épatant et jubilatoire. A voir.
Je suis navré de le dire mais les films de l’Iranien Bahman Ghobadi et du Serbe Goran Paskaljevic n’apportent rien de nouveau. Dans Les Chats persans, deux jeunes musiciens iraniens n’ont d’autre ambition que d’émigrer pour créer leur groupe d’Indie Rock. C’est honorable, mais il y a peut-être d’autres urgences. Cela nous vaut au moins des pérégrinations à travers un Téhéran plus complexe qu’on ne croit et, à côté de bruyantes séquences de « Métal », deux moments de grâce de musique traditionnelle. AvecHoneymoons, deux couples, un albanais et un serbe, cherchent aussi à émigrer. Les péripéties en sont, hélas, attendues. L’Union européenne leur fermera ses portes au prétexte routinier d’une lutte contre le terrorisme qui rend tout immigrant suspect a priori. Alibi commode du racisme et de la xénophobie pour rejeter tout ce qui n’est ni chrétien ni libéral.
Un mot sur Le Tsar de Pavel Lounguine. Il s’agit d’Ivan le Terrible. Pari risqué. Comment ne pas penser au film éponyme d’Eisenstein, certainement, pour moi, le plus grand film de tous les temps. On est perplexe quand Lounguine dit ne s’intéresser qu’à la psychologie d’Ivan alors que sa reconstitution est somptueuse. La psychologie, puisque psychologie il y a, est assez simple : Lounguine nous présente un cas classique de ce qu’on appellerait en psychiatrie une psychose paranoïaque avec bouffées délirantes. En fait, il s’agit d’un film mystique ou le bien absolu incarné par le métropolite Filip s’oppose au mal torturé incarné par Ivan. A l’évidence, Lounguine s’inspire de Staline, les aveux des proches d’Ivan sont ceux des procès de Moscou. Et c’est bien là le problème : là où Eisenstein part d’Ivan le Terrible pour parler de Staline, Lounguine part de Staline pour parler d’Ivan. Cela ne tient pas vraiment la route et là où Eisenstein fascine, Lounguine ennuie. Enfin, Contes de l’âge d’or, film roumain à sketches s’emploie à ridiculiser Ceausescu et son régime qui le méritent bien. C’est certes amusant, mais ça devient un peu facile, non?
(30 novembre 2009)