UN VILLAGE DE L'ENTRE-DEUX-MERS SOUS LA MONARCHIE DE JUILLET (I)

UN VILLAGE DE L'ENTRE-DEUX-MERS

SOUS LA MONARCHIE DE JUILLET (I)

 

 

SOMMAIRE

 

Première partie

La démocratie censitaire au village

 

  1. La mise en place

    1. La France des notables

    2. Elections municipales et apprentissage de la politique

  2. La représentation municipale

    1. Jean-Jacques Pujol : la continuité

    2. Sully Oulès : la reprise en main

  3. Le mandat municipal

    1. Le maire fonctionnaire

    2. Le maire gestionnaire

  4. Esquisse d'une sociologie des électeurs censitaires cénacais

 

Conclusion de la première partie

 

Deuxième partie

Administration locale et sociabilité villageoise

 

  1. La France rurale dans la première moitié du XIXème siècle

  2. La communauté rurale

    1. Le budget

    2. Les chemins publics

    3. Le culte

    4. L'instruction primaire

    5. La taxe du pain

    6. La garde nationale

  3. Eléments de sociabilité villageoise

    1. Incidents de la vie quotidienne

    2. Préservation de l'ordre public

 

Conclusion de la deuxième partie

 

Conclusion générale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREMIERE PARTIE

La démocratie censitaire au village

 

Dans cette première partie, nous nous intéresserons au suffrage censitaire villageois et à ses rapports avec deux phénomènes, apparemment paradoxaux, établis par l'historiographie : la promotion des notables d'une part et la « descente de la politique vers les masses » d'autre part.

La deuxième partie, par une analyse de l'administration municipale, permettra d'aborder les préoccupations collectives de la communauté rurale et d'approcher des éléments de la sociabilité villageoise1.

 

 

 

  1. LA MISE EN PLACE

 

      1. La France des notables

 

Cette expression est bien entendu empruntée à l'ouvrage éponyme classique de A. Jardin et A.-J. Tudesq qui caractérisent ainsi la période 1815-18482. La monarchie de Juillet en est l'épanouissement. Après le bref épisode du Mouvement, le parti de la Résistance, avec Casimir Périer, installe ce « libéralisme conservateur » (Jardin et Tudesq) qui sera la marque permanente et définitive de la monarchie bourgeoise de Louis-Philippe Ier. Casimir Périer meurt, victime du choléra, en 1832. Ses successeurs, Guizot, de Broglie, Thiers, Molé, etc. tantôt rivaux, tantôt alliés, tantôt au gouvernement, tantôt dans l'opposition, maintiendront le même projet doctrinaire tant sociétal que politique. Les véritables oppositions sont celle des légitimistes (carlistes) qui va finir par s'étioler et celle des républicains qui va finir par se radicaliser. On rappellera, pour fixer les idées, quelques évènements marquants : la révolte des Canuts (novembre 1831), l'épidémie de choléra (1832), la manifestation républicaine lors des obsèques du général Lamarque (juin 1832), l'équipée rocambolesque de la duchesse de Berry (1832), l'agitation et le massacre de la rue Transnonain (avril 1834), l'attentat de Fieschi (juillet 1835), le retour des cendres de Napoléon (1840), la mort accidentale du duc d'Orléans (juillet 1842), la campagne des banquets (1847)...

 

La monarchie de Juillet est une époque de croissance générale. Croissance démographique d'abord, la population passant de 32 569 000 en 1831 à 35 400 000 en 1846 avec une quasi surpopulation rurale3, mais aussi croissance de l'agriculture et essor industriel : entre 1825 et 1847, la production agricole aura augmenté de 38% et la production industrielle de 66%4. Une grande attention est portée aux voies de communication : 1 400 km de voies navigables sont aménagés, la loi Thiers de 1836 fait obligation aux communes d 'entretenir les chemins vicinaux. La loi Guizot de 1842 entend développer les chemins de fer (1 900 km à la fin du règne contre 6 000 en Angleterre) : l'Etat prend en charge les infrastructures, les voies, les embarcadères (gares), les acquisitions immobilières, le privé gère les lignes et le matériel roulant ce qui va être l'occasion d'une spéculation financière effrénée connue sous le nom de railwaymania5.

On a ici le caractère principal de la monarchie finissante : l'affairisme. Le ver était sans doute dans le fruit et du fameux « enrichissez-vous par le travail et par l'épargne » de Guizot, beaucoup n'ont retenu que le « enrichissez-vous ». Il est de toute façon certain que l'enrichissement est au fondement du système idéologique de la monarchie de Juillet, en particulier par la richesse foncière qui reste prépondérante et qui donne éligibilité parlementaire et considération sociale. En province, les propriétaires fonciers ont souvent une profession libérale ou assurent une fonction publique (avocats, magistrats, notaires...) tandis qu'à Paris de grandes dynasties bourgeoises accaparent affaires, corps savants et fonctions publiques. Selon Philippe Vigier (ouvr. cité), le parti de la Résistance, qui s'identifie au régime, se définit comme partisan d'une monarchie laïque et parlementaire de juste milieu dirigée par une élite de la naissance, de la fortune et de l'intelligence mais se manifeste dans la pratique par l'étroitesse d'esprit, le conservatisme social et la protection des intérêts des notables présentés comme l'intérêt général. Le notable, sous Louis-Philippe, a la richesse qui lui donne, par le cens, la capacité politique. Il est souvent un héritier et sa fortune lui assure indépendance, capacité et détermine sa solidarité avec le système.

 

De 1842 à 1846, l'euphorie du crédit va notamment conduire à la diffusion de la petite et moyenne propriété paysanne par l'endettement. La grave crise de 1846-1847 est d'abord une crise agricole, en particulier frumentaire (dénouée en juillet 1847) mais aussi industrielle et commerciale.

En raison de surinvestissements hasardeux, les disponibilités bancaires finissent par manquer provoquant récession et faillites, en particulier pour les compagnies de chemin de fer. L'affairisme et une « spéculation malsaine » (Hervé Robert, ouvr. cité) prennent une ampleur illustrée par le personnage de « Robert Macaire ». Le rôle prépondérant de la haute banque est confirmé, de grands groupes se constituent rassemblant banquiers, industriels, ingénieurs, hommes politiques, détenteurs de journaux et peuplant leurs conseils d'administration de députés, de généraux, de magistrats, d'aristocrates (Jardin et Tudesq, ouvr. cité).

Par ailleurs, la monarchie de Juillet voit le développement d'un prolétariat urbain misérable et parfois remuant ce qui a conduit alors à l'amalgame bien connu classes laborieuses/classes dangereuses, mais aussi à un foisonnement des utopies sociales : Enfantin, Leroux, Considérant, Cabet, Fourier et à de premières tentatives d'organisations et de grèves ouvrières (1831, 1833, 1840, 1846). L'Etat refuse d'intervenir sur la condition ouvrière au nom de la liberté contractuelle mais une loi du 22 mars 1834 finit par interdire le travail des enfants de moins de 8 ans et réduire à 8 heures par jour celui des enfants de moins de 12 ans, loi qui demeurera en grande partie lettre morte (Hervé Robert, ouvr. cité).

 

Il faut signaler la loi Guizot de 1833 qui oblige chaque commune à ouvrir une école primaire mais réserve l'enseignement secondaire aux « hommes destinés à avoir du loisir et de l'aisance » (cité par Hervé Robert, ouvr. cité). Le renouveau catholique, à partir de 1840, conduit au conflit sur la liberté de l'enseignement opposée au monopole universitaire. Enfin, dans le domaine des arts, le Romantisme atteint son apogée et va commencer à décliner ; les villageois cénacais dont nous allons parler sont ainsi les contemporains, entre autres, de Hugo, Musset et Vigny, de Stendhal et Balzac, de Michelet, de Delacroix et Ingres...

 

Au total, nonobstant la décadence affairiste de la fin marquée par une collusion avérée entre le monde de la politique et le monde des affaires, on peut porter au crédit de la monarchie de Juillet l'apprentissage du régime parlementaire, l'expansion économique et les premiers jalons d'une législation sociale6.

 

Bordeaux orléaniste. A-J Tudesq l'a souligné, Bordeaux a été une des rares villes de province à connaître une journée révolutionnaire en 1830 (le cours du XXX Juillet le rappelle). La monarchie de Juillet apparaît comme une forme assagie du girondisme (Jardin et Tudesq) et « la solution orléaniste correspondait aux vœux des libéraux bordelais »7. Le marquis de Bryas est le premier maire orléaniste mais, partisan du Mouvement, il est rapidement remplacé par un riche négociant de 60 ans, Joseph Brun, qui restera 7 ans. Brun est flanqué d'un trio d'adjoints très oecuménique : Dufour-Dubergier (catholique), Guestier junior (protestant), Rodrigues (juif). Aux élections municipales de 1831, il y a 3 679 électeurs à Bordeaux. Le conseil municipal de 39 membres en comprend 22 issus des milieux d'affaires ; 16 conseilleurs acquittent un cens supérieur à 1 000 francs (dont Joseph Brun), le « plus fort imposé » étant le baron de Carayon-Latour avec un cens de 11 232 francs. Ainsi, « la grande bourgeoisie dominait le conseil » (Tudesq, ouvr. cité). Alfred Charles utilise à ce sujet le mot rare de timocratie (gouvernement dans lequel les fonctions publiques sont réservées aux riches) et parle de la monarchie de Juillet comme du « régime cher entre tous à la bourgeoisie, la Gironde étant alors dominée complètement par une oligarchie de riches négociants »8. On le sait la haute bourgeoisie bordelaise est traditionnellement cosmopolite avec de grands noms d'origine étrangère : Balguerie, Johnston, Lawton, Wustenberg, Cruse, ou tournés vers l'étranger (Dufour-Dubergier et ses séjours anglais). David Johnston succède à Brun en 1839 mais, trop occupé par sa manufacture de porcelaine de Bacalan, démissionne en 1842 et cède la place à Dufour-Dubergier.

L'opposition à la bourgeoisie orléaniste est d'abord le fait du parti légitimiste qui dispose du journal la Guienne et qui est bien aidé par un bas-clergé légitimiste alors que les archevêques Cheverus et Donnet s'accommoderont de Louis-Philippe. Les légitimistes s'abstiendront aux élections municipales de 1831 et refuseront de prêter le serment au roi des Français ce qui a été aussi le cas, on l'a vu, de trois conseillers de la municipalité de Cénac qui seront écartés et remplacés9. Si la journée du 30 juillet 1830 avait été surtout le fait d'ouvriers, de matelots, de jeunes employés de magasin, dès 1831 un mécontement populaire et ouvrier agite la ville, quelques faits de luddisme sont signalés. En 1832, l'épidémie de choléra fait 300 morts (journaliers, artisans, boutiquiers...). Les bourgeois se réfugient à la campagne et une rumeur court dans le quartier du port selon laquelle les agents de l'autorité ou les riches tenteraient d'empoisonner le peuple (Philippe Vigier, ouvr. cité).

 

En 1836, Bordeaux compte 121 520 habitants, c'est la 4ème ville de France. Les inégalités sociales sont massives et, en 1838, pour 2 577 naissances légitimes (et 335 enfants naturels), on compte le chiffre effarant de 1 035 nouveaux-nés abandonnés soit le tiers du total des naissances (Tudesq, ouvr. cité). Dans les années 40, la bourgeoisie bordelaise s'avachit dans l'archaïsme et la routine. Elle a laissé echapper la concession de la première tranche de la ligne de chemin de fer Paris-Orléans et se contentera de la ligne Bordeaux-La Teste concédée en 1837 et terminée en 1841. Ces années voient la haute bourgeoisie bordelaise se complaire dans un comportement typiquement « mandevillien » où le luxe et la dépense des riches sont censés se justifier par le travail qu'ils procurent aux artisans, aux boutiquiers et aux pauvres en général leur permettant ainsi de survivre : « il existe sur ce point une effrayante rivalité, c'est à qui éclipsera son voisin. On joue au mieux mis, au mieux logé, au mieux meublé, au mieux carrossé, au mieux empanaché »10.

Ses intérêts sont néanmoins bien protégés en particulier par une défense et illustration acharnées du libre échangisme, ce qui, dans une ville de négociants, paraît assez naturel. Un combat difficile car, hormis les soyeux lyonnais, la majorité du pays, les industriels surtout, est protectionniste. Une puissante Association pour la liberté des échanges est créée avec Dufour-Dubergier comme président, F. Samazeuilh comme trésorier et l'économiste Frédéric Bastiat comme idéologue. Pour les élections à la Chambre de 1846, Wustenberg étant nommé pair de France, il faut trouver un député pour défendre le libre échangisme à Paris, un mandataire sur place en quelque sorte car il faut tout de même au moins trois jours pour se rendre à Paris. Ce sera l'économiste parisien Adolphe Blanqui. Le 23 février 1846, au Grand-Théâtre, l'Association pour la liberté des échanges recueille en quelques minutes 52 000 francs pour son Comité électoral sis rue Esprit-des-Lois. Adolphe Blanqui sera élu au troisième tour11.

 

        1. Elections municipales et apprentissage de la politique

 

Les historiens du suffrage s'accordent pour souligner l'importance de la loi électorale municipale du 21 mars 1831. Les conseillers municipaux seront donc élus, ce qui n'était pas le cas sous la Restauration, avec la réserve que le maire reste nommé par le préfet (et par le roi pour les communes de plus de 3 000 habitants). Néanmoins le maire doit être désigné parmi les conseillers élus sans qu'intervienne d'ailleurs le nombre de suffrages obtenus par chacun. L'autre limite de ce vote est le maintien du système censitaire. Aux élections législatives, pour être électeur, il faut être un homme âgé de plus de 25 ans et payer au moins 200 francs de cens et, pour être éligible, âgé de plus de 30 ans et payer au moins 500 francs de cens. Il y aura ainsi 167 000 électeurs législatifs en 1831 et 246 000 en 1846. Pour les électeurs municipaux, les conditions sont évidemment moins sévères. En fait, il n'y a pas de cens minimal imposé. C'est le maire en place qui dresse la liste des électeurs municipaux, en principe tous les ans au premier trimestre. Ceux-ci sont classés par ordre de cens décroissant et, pour les communes rurales, on clot la liste de manière qu'il y ait environ 1 électeur pour 10 habitants. Ainsi, en 1831, une commune comme Cénac aura 44 électeurs pour une population de 447 habitants. A ces 44 électeurs titulaires s'ajoutent des électeurs adjoints ayant droit de vote, à Cénac ce seront généralement les 3 ou 4 officiers de la Garde nationale. Il est également prévu une liste d'électeurs suppléants (une dizaine à Cénac) en particulier pour compléter dans la première liste le nombre d'électeurs résidant dans la commune. Le problème des non résidents dans la commune est prévu par la loi puisqu'il est spécifié que les trois-quarts des élus municipaux de la commune doivent y résider. Néanmoins, on peut être électeur dans plusieurs communes si on paye dans chacune un cens suffisant. Il y avait ainsi 2 872 089 électeurs municipaux en 1831, soit 9% de la population et 30% des hommes de plus de 21 ans. Il est à noter que la loi du 22 mars 1831 pour l'élection des officiers de la Garde nationale élargit l'électorat à 5 700 000 ! En 1848, pour le passage au suffrage universel, il y aura 9 500 000 électeurs12. Pour ce qui concerne les campagnes, on considère souvent que le cens nécessaire pour être électeur était si faible que le corps électoral municipal comprenait presque tous les hommes de la commune13. Pour un village comme Cénac, cela est inexact : par exemple, en 1840, il y avait 47 électeurs censitaires mais 93 électeurs inscrits pour l'élection des officiers de la Garde nationale ; en 1848, le recensement de l'électorat lors du passage au suffrage universel masculin dénombrera 165 électeurs. Les électeurs censitaires cénacais ne représenteront jamais qu'entre le tiers et la moitié du potentiel électoral masculin.

 

Il faut ici préciser la signification du cens électoral sous la monarchie de Juillet. Il s'agit de la somme des impôts payés par un habitant d'une commune. Cette somme totalise les « quatre natures » de contributions directes : foncière, personnelle, mobilière et sur les portes et fenêtres. Jusqu'en 1831, les contributions personnelle et mobilière n'étaient pas séparées et formaient une seule contribution constituant avec la contribution foncière, la contribution sur les portes et fenêtres et la contribution des patentes les « quatre vieilles » contributions. La contribution foncière portait sur le revenu net des propriétés foncières, les propriétaires déclarant seulement la nature et le contenu de leurs propriétés . La mise en place du cadastre visera à remédier à la «  trop inéquitable répartition de la taxe foncière »14. La contribution mobilière concernait, à l'origine, les citoyens actifs et comportait la valeur de trois journées de travail et des taxes par domestique, par cheval et par mulet, sur les revenus industriels et mobiliers et sur l'habitation (1/30ème du montant supposé du loyer). La contribution personnelle frappera dorénavant chaque Français d'une taxe équivalente à trois journées de travail. La contribution mobilière sera due pour toute habitation meublée occupée personnellement par tout redevable de la contribution personnelle ; elle sera établie d'après la valeur locative des locaux. La contribution sur les portes et fenêtres apparaît sous le Directoire et, en 1831,

il existait 38 millions d'ouvertures recensées15. Enfin, jurandes et corporations successivement supprimées, les personnes exerçant négoce, art ou métier seront distinguées par la contribution des patentes créée en 1791 et remaniée en 1844 ; ce serait à peu près l'ancêtre de la taxe professionnelle.

Les impôts directs pèsent ainsi principalement sur les propriétaires de la terre (la rente foncière) et les revenus mobiliers. Ils ne sont en aucune façon redistributifs mais sont considérés comme « le prix à payer pour la sécurité et la protection du pays »16. De plus, l'impôt direct «  est un impôt de distinction qui permet de reconnaître les notables et de justifier leur emprise sur les affaires publiques » (idem). Ce système conçu sous la Révolution et le Directoire restera le socle de la fiscalité directe en France jusqu'en 1914. Ajoutons qu'il s'agit d'impôts qui ne tiennent pas compte de la situation personnelle des individus, ils ne frappent pas des personnes mais des choses, la terre, la valeur locative des habitations, le nombre de portes et fenêtres : ils sont « indiciaires », c'est-à-dire calculés à partir d'indices ou de signes extérieurs de richesse. Enfin, ils sont strictement proportionnels et la progressivité en est absente bien que l'idée en ait été émise par Jean-Jacques Rousseau17.

 

Au total, le montant du cens électoral est un bon indicateur du niveau de fortune. Il ne s 'agit cependant pas, en théorie, d'une sorte de dispositif cynique permettant de déterminer à partir de quel degré de richesse on devient capable de s'occuper des affaires de l'Etat ou de la commune. Il est vrai que les pères fondateurs de la démocratie libérale, sans parler de Montesquieu, ont lié propriété, richesse et capacité politique selon l'argumentation bien connue du député girondin (de Grenoble) Barnave qui fonde la citoyenneté sur « l'indépendance de la fortune », un « intérêt particulier à défendre », une « éducation plus soignée et des Lumières plus étendues »18. Le principe, que va illustrer en particulier Guizot, est que l'électeur n'exerce pas un droit mais assure une fonction ; et tout le monde ne possède pas les compétences nécessaires à cette fonction. Celle-ci repose sur la notion de capacité que Guizot définit comme « la faculté d'agir selon la raison »19. Une sorte d' « irrésistible main de la raison »20 étendrait son empire sur le monde et les lois des hommes en découleraient qu'il suffirait de découvrir. Seuls des citoyens disposant de suffisamment de discernement en seraient capables, il existerait ainsi dans la société des électeurs naturels, légitimes que le législateur doit distinguer. Ce sont les « capacités » ou « citoyens capacitaires » nantis d'une compétence spécifique au même titre que celle requise pour les avocats ou les médecins et qui les prédestinerait, en quelque sorte, à gouverner. Rosanvallon, après Marx, remarque que Guizot substitue ainsi à la souveraineté du peuple une souveraineté de la raison servie par une élite de citoyens éclairés et indépendants21. Conformément à la doctrine, une longue liste de citoyens capacitaires est dressée dans la loi du 21 mars, c'est-à-dire des citoyens qui, malgré un cens insuffisant, seraient dignes de voter dans les assemblées des électeurs communaux. Premier accroc au principe, le débat à la chambre aboutit à la loi du 19 avril qui réduit cette liste à sa plus simple expression. De toute façon, le caractère censitaire était prédominant et, à Cénac, tels avoué, juge de paix ou médecin étaient électeurs parce qu'ils figuraient parmi les plus imposés et non en raison de leur statut. Au bout du compte, le seul critère objectif de la capacité à gouverner sera bien le cens électoral et « la théorie des capacités s'effondre progressivement pour n'être plus que l'enveloppe théorique de la domination de fait de la grande bourgeoisie »22. Cette doctrine de l'éminence, qui pouvait avoir sa noblesse, va se dégrader en « banal pouvoir de classe » et Guizot se convertir « en quelques années à une philosophie trivialement censitaire pour laquelle la richesse incarne et résume toutes les qualités sociales, l'homme de mérite s'effaçant derrière le rentier de Balzac »23 et allant même, dans ses Mémoires, jusqu'à affirmer que, dans les années 1840, il n'y avait plus d'opposition entre la fortune et l'intelligence24.

Rosanvallon considère néanmoins que « c'est dans ce cadre que va s'opérer un véritable apprentissage de la vie politique » et que « les élections municipales, les premières élections directes de masse en France, constituent, entre le suffrage de la Révolution et le suffrage de 1848, une étape décisive de la socialisation politique des Français »25. Cette opinion est généralement partagée : pour Michel Offerlé, « malgré un cens (législatif, GLS) très restrictif, la monarchie de Juillet familiarise la France avec une certaine pratique électorale »26 ; pour Raymond Huard, c'est « un pas en avant (qui) tend à faire du suffrage le mode normal de nomination des administrateurs locaux »27.

 

La thèse classique de Maurice Agulhon décrit le phénomène de politisation des campagnes comme une descente de la pratique des élites urbaines vers les masses rurales. Avec la loi de 1831, « le corps politique officiel n'était pas en majorité populaire mais, en englobant assez largement l'artisanat et en venant effleurer la petite paysannerie, il introduisait le ferment politique dans ces classes populaires encore habituées à réagir collectivement »28. Peut-être, pour notre objet, faut-il nuancer ce propos. Les observations d'Agulhon, faites dans un Midi provençal traditionnellement politisé « où tout le monde a un fusil » (p.262), peuvent-elles être transférées telles quelles dans une Gironde non moins traditionnellement modérée ? L'auteur invite lui-même à s'interroger dans la préface de la deuxième édition du livre.

D'un point de vue méthodologique, le « village » d'Agulhon, ainsi qu'il le précise dans l'avertissement, « n'est jamais bien loin de la petite ville », il s'agit d'un « village urbanisé » et il le considère comme « micro-citadin bien plus que rural » (p.12). La commune de Cénac, bien que relativement proche de Bordeaux, reste, sous la monarchie de Juillet, un modeste village authentiquement rural de 507 habitants en 1846 et la « tradition vivace de luttes de partis dans le village-ville méditerranéen »29 lui est sans doute bien étrangère. La notion même de « descente de la politique » est contestée et, selon le politologue Alain Garrigou, « la politique n'est pas « descendue » dans les masses par l'exemple d'élites sociales déjà préparées à la vie démocratique. Celles-ci ont dû faire leur propre apprentissage tout en étant moins éloignées des formes légitimes de participation. Les masses électorales n'étaient pas prisonnières d'une sorte de degré zéro de la politique fait d'incompréhension et d'indifférence »30.

Christine Guionnet, autre politologue, questionne également le modèle d'Agulhon jusqu'à une mise en cause extrêmement étayée dont nous allons dire quelques mots pour clore ce chapitre. Elle conteste la dichotomie qui existerait à ce moment entre ce qui seraient la modernité politique urbaine et un archaïsme rural fait d'apolitisme, de soumission, de dépendance et de faible niveau culturel31. Il y aurait en fait deux modèles, urbain et rural, chacun doté de sa cohérence propre. Le vote rural serait avant tout un vote communautaire, le village serait vécu comme communauté de vie et atome social et la commune comme une entité supérieure aux intérêts individuels. Le vote des paysans pour les plus notables d'entre eux -ceux ayant une relative aisance financière et figurant au début de la liste de électeurs municipaux- ne serait ni soumis, ni résigné, ni contraint mais exprimerait un sentiment identitaire fondé sur une conception organique et hiérarchisée du social (p. 109). Il n'y a pas alors de différenciation entre la vie sociale et ce qui serait une sphère politique, les membres de la communauté villageoise ne sont appréhendés que par leurs caractéristiques personnelles et leurs rôles sociaux (pp.46-47). Les opérations de vote dans un lieu privé, généralement le domicile du maire en place, entretiennent une indistinction entre pratiques électorales et quotidienneté villageoise. Le vote rural est donc un vote identitaire et un vote d'appartenance, il s'agit de désigner les mieux à même de défendre les intérêts de la commune perçus comme ceux de tous. Ainsi les élus ne se sont pas présentés eux-mêmes mais émanent d'une sollicitation sociale, l'idée même d'un sujet politique individuel est impensable et tout dissensus est exclu. L'argumentation serrée de l'auteur comporte d'autres éléments. Toutefois son insistance à vouloir écarter toute forme de dépendance ou de déférence dans un vote généralement favorable aux notables les plus aisés affaiblit sa démonstration. Paradoxalement, le vote communautaire serait un vote exprimant librement la remise de soi aux plus notables par souci identitaire et représentation hiérarchique spontanée du social : « mais une domination acceptée n'en demeure-t-elle pas moins une domination ? »32. Christine Guionnet ne peut ignorer que l'efficacité de la domination tient à l'adhésion des dominés, adhésion construite dans le processus de socialisation de chacun, et que la fides implicita comme « déclaration de confiance et d'abandon à un prophète ou à une autorité ayant une forme personnelle » ne concerne pas que la religion33.

 

 

II. LA REPRESENTATION MUNICIPALE

 

            1. Jean-Jacques Pujol : la continuité

 

En 1831, Jean-Jacques Pujol est maire de Cénac depuis quelques mois, nommé en remplacement de Jean-Luc Deschamps démissionnaire, non sans quelques péripéties, des Cénacais ayant pétitionné en faveur de François Pandellet34. Installé le 26 décembre 1830, il a déjà prêté le nouveau serment, « je jure fidellité au roi des Français, obéissance à la Charte constitutionnelle et aux loix du royaume », serment qui sera exigé de tout nouvel élu. Les premières élections prévues par la loi municipale se préparent. La première liste d'électeurs municipaux censitaires est dressée, elle comporte 44 électeurs titulaires, 9 électeurs suppléants et les 3 officiers de la Garde nationale comme électeurs adjoints ayant droit de vote. Les listes d'électeurs censitaires, nous le verrons, sont pleines d'enseignements. Sur celle de 1831, le « plus fort imposé » est Louis Berreterot, curé de Saint Louis (des Chartrons), résident à Bordeaux pour 217,71 francs35. A titre de comparaison, le cens du dernier de la liste des suppléants (rappelons que les électeurs sont classés par ordre de cens décroissant) est de 17,01 francs. Sur les 44 électeurs titulaires, moins de la moitié résident à Cénac (21) et sur les 23 électeurs non-résidents 12 sont domiciliés à Bordeaux. Ce sont les 3 électeurs adjoints qui permettent de dépasser la moitié pour les résidents36.

Le scrutin a lieu le 15 septembre 1831. Nous allons faire une fois pour toute la description du déroulement des opérations de vote lesquelles sont établies avec une minutie visant à éliminer tout imprévu. L' « encadrement formaliste du scrutin » répond à un objectif revalorisant les garanties de l'électeur par rapport au bureau : « la formalisation juridique s'accompagne d'une matérialisation écrite approfondie qui doit rendre efficace, après 1815 et surtout après 1830,un contrôle juridictionnel a posteriori »37. Pierre Tanchoux précise qu'il a fallu attendre 1831 pour que

le droit de recours des électeurs soit admis pour les scrutins locaux (p.273). A Cénac, le président du bureau de vote sera toujours le maire en place. Il ouvre le scrutin généralement à 10 heures et chaque tour de scrutin va durer invariablement 3 heures. Il commence par rappeler devant les électeurs présents les articles de la loi du 21 mars relatifs au vote, la liste des « votans » étant déposée sur le bureau de la présidence. Le choix des scrutateurs n'est pas laissé au hasard, ce sont les deux plus âgés et les deux plus jeunes des électeurs présents sachant lire et écrire. En 1831, à Cénac, le scrutateur le plus âgé est Jean Debuc (82 ans) et le plus jeune Jean Lestrille (25 ans). Le président et les scrutateurs nomment le secrétaire, pour cette première élection ce sera Jacques-Claude Lucotte, officier en retraite et 4ème cens de la commune, qui vient se placer au bureau. Le président fait ensuite connaître aux électeurs le nombre de conseillers à élire en précisant que leurs suffrages doivent porter sur des citoyens inscrits sur la liste des électeurs de la commune âgés de 25 ans révolus mais que un tiers peuvent être des non-censitaires (cela n'arrivera jamais). En outre, aux termes des articles 15 et 16 de la loi, il est indispensable que les trois quarts au moins des conseillers soient domiciliés dans la commune (ce ne sera pas toujours le cas). On passe enfin au vote. Pratique qui paraît aujourd'hui bien cérémonielle, le président appelle les électeurs un par un, à l'appel de son nom chaque électeur vient écrire ou fait écrire par un électeur de son choix, sur une table disposée à cet effet en avant du bureau du président, les noms correspondant à sa préférence, il plie le bulletin et le dépose dans l'urne après avoir prêté le serment d'usage. Cet appel terminé, le président procède à un réappel pour ceux qui n'ont pas voté et, au bout de 3 heures, déclare le scrutin clos. A noter que le vote est constaté par la signature d'un membre du bureau, et non de l'électeur lui-même, au regard du nom de chaque votant. Le dépouillement est immédiat et se déroule de la façon suivante : l'urne est ouverte par le président qui vérifie si le nombre des bulletins est bien égal à celui des votants. Il indique alors quelle est la majorité absolue nécessaire pour être élu. A ce moment un des scrutateurs prend un bulletin après l'autre et le remet au président qui le déplie et le lit à haute voix, deux autres scrutateurs et le secrétaire prennent note.

Le président peut enfin faire connaître les résultats et proclame élus ceux qui ont obtenu la majorité absolue des votants. Si un deuxième tour est nécessaire, la majorité relative sera suffisante. Disposition pour nous un peu insolite, le président fait immédiatement brûler les bulletins en présence de l'assemblée. Mesure nouvelle dans la loi de 1831, le droit de recours n'est explicitement mentionné, à Cénac, dans un procès-verbal d'élection, qu'en 1838 de la façon suivante : « selon l'article 52 de la loi les membres qui croiraient devoir arguer de la nullité des opérations ont cinq jours après l'élection pour déposer leur réclamation à la mairie ». Les bulletins ayant disparu rendant toute vérification impossible, il devait être pour le moins difficile d'étayer quelque soupçon d'irrégularité, d'ailleurs, on ne trouve dans les registres cénacais pas la moindre occurrence d'une réclamation.

 

Revenons à l'élection de 1831. Sur les 47 électeurs, il y a 30 votants, soit une participation très satisfaisante de près de 64%38 . Ce sera le cas un peu partout mais ce chiffre va diminuer inexorablement au fil des épisodes électoraux. Rosanvallon note cependant 41% de participation pour l'arrondissement de Bordeaux (dont fait partie Cénac) mais avec de forts écarts à l'intérieur de l'arrondissement39. La majorité absolue étant de 16, ils sont 10 à l'obtenir ce qui épargne un second tour même si les votes se sont dispersés par ailleurs sur 24(!) noms. Résultat édifiant, Jean-Jacques Pujol, qui avait été nommé maire un peu abruptement par le préfet, obtient le meilleur score : 27 voix. Le vote ici ne remet nullement en cause le choix précédent de l'administration et consolide la notabilisation de Pujol. A noter pourtant que Debuc fils, qui avait été nommé adjoint dans les mêmes conditions, n'obtient que 15 voix et n'est pas élu. On peut mentionner les noms -qui reviendront souvent- des conseillers élus : Pujol, Heberard, Cotelle, Lucotte, Gimbal, Aubarède, Brice, Vallet, Barre, Deschamps. Ils sont tous électeurs censitaires et sont désignés pour 9 d'entre d'eux comme « propriétaires », le dixième, Cotelle, désigné comme « chaudronnier » n'en est pas moins lui aussi propriétaire, il est en outre le seul domicilié à Bordeaux. Il faut préciser ici, d'un point de vue méthodologique, que la mention « propriétaire » n'est d'aucune utilité pour l'historien : tous les électeurs censitaires sont propriétaires même si, de temps en temps, on trouve des indications de professions libérales, de fonctions publiques ou d'activités artisanales. De plus, entre un rentier foncier à 200 francs de cens et un petit propriétaire besogneux à 10 francs de cens, il y a un fossé social quel que soit le sentiment identitaire évoqué et invoqué par Christine Guionnet. Une dichotomie sommaire fondée sur la valeur médiane de la distribution des cens fait apparaître que 7 conseillers sont au-delà de la médiane (cens supérieur) et 3 en-deçà (cens inférieur). Le cens le plus élevé est celui de Pujol qui est troisième sur la liste des censitaires après Berreterot et un ancien maire, Bazanac. Jean-Jacques Pujol est né le 17 mars 1794 (on dit « époque de la naissance »), il a donc 37 ans, c'est, de loin, le plus jeune du conseil municipal ; il est officier de cavalerie, marié, sa fortune personnelle « évaluée en revenus » est de 3 000 francs.

 

L'élection suivante a lieu en 1834 où il s'agit (article 53 de la loi du 21 mars) de renouveler la moitié du conseil municipal (renouvellement triennal), soit 5 conseillers. Comme il s'agit du premier renouvellement, les sortants doivent être tirés au sort, soit 4, une place ayant été libérée par le décès de Pierre Aubarède. Le sort désigne Gimbal, Brice, Vallet et... Pujol lequel va donc pour une seconde fois affronter le suffrage40. La nouvelle liste des censitaires diffère peu de la précédente. On note l'apparition dans le début de la liste du nommé Lurmann, négociant à Bordeaux, qui refera parler de lui. La valeur médiane du cens est légèrement relevée de 53,02 francs à 54,32 francs. Le scrutin a lieu le 1er novembre 1834. Il y a 27 votants, soit une participation, en nette baisse, de 57,4%. Néanmoins Pujol est réélu avec 27 voix, un vrai plébiscite, ne serait-ce la médiocrité de la participation. Trois autres conseillers sont réélus à la majorité absolue, Brice n'en est pas et est supplanté par Montagne. Il faut un deuxième tour pour un cinquième conseiller, la majorité relative suffit et André Jeannot est élu avec 9 voix (il n'y avait plus que 15 votants!). On dispose, ce qui n'est pas toujours le cas, de renseignements personnels sur les conseillers : ils sont tous mariés ou veufs, la plupart pères de famille, deux d'entre eux sont domiciliés à Bordeaux, on compte deux officiers en retraite ; Pujol est toujours à la fois le plus jeune (40 ans) et le plus fortuné (1 078,79 francs), il a trois enfants.

 

L'année 1837 semble entamer une période un peu difficile pour le conseil municipal : départ de la commune, décès, démissions. Le renouvellement triennal de 1837 paraît un peu bâclé : pas de liste de censitaires (du moins conservée aux Archives départementales), procès-verbal du scrutin succint, les noms des conseillers à renouveler ne sont pas indiqués... On sait cependant qu'il s'agit de la moitié élue en 1831 et non renouvelée en 1834, soit Cotelle, Lucotte, Barre, Deschamps et Heberard. Seuls deux sont réélus : Lucotte et Heberard. Trois nouveaux conseillers apparaissent : Pédeluppé, L'héritier et Brice (dont c'est le retour). En 1838, le conseil perd 4 de ses membres : décès de Vallet, démissions de Montagne, Jeannot et Pédeluppé. L'élection partielle du 6 mai 1838 voit le retour de Barre qui n'avait pas été renouvelé l'année précédente. Ces sortes de chassés- croisés comportent un enseignement : tantôt élus, tantôt non-élus, ce sont bien souvent les mêmes notables qui se succèdent au conseil. Néanmoins cette élection partielle voit l'arrivée de deux jeunes artisans qui n'étaient même pas sur la liste censitaire de 1834 : Jean Lestrille, tonnelier, et Jean Thillac, forgeron ; le premier s'était déjà montré intéressé par la vie municipale en étant jeune scrutateur en 1831.

Peut-être signe d'un certain malaise, le rappel de la possibilité d'un recours est mentionnée pour la première fois dans le procès-verbal d'un scrutin (supra, p.9). Confirmation des difficultés, cette lettre du 12 décembre 1838 adressée au préfet par Pujol : « depuis les dernières élections municipales, je n'avais pu trouver parmi MM. les conseillers un candidat porté de bonne volonté pour les fonctions d'adjoint (…). Je viens à la fin de décider le sieur Lestrille Jean à accepter »41. Autre indice de tiraillements : en juin 1838, lors de la discussion du budget communal où sont normalement invités les « plus forts imposés », sur les 13 convoqués, seuls 5 ont répondu à l'invitation ; les plus fortunés parmi les « plus forts imposés », Bazanac, Lurmann, Cotelle, Moulinié, Ampoulange (123,39 francs de cens en moyenne en 1834) brillent par leur absence ; les présents sont parmi les moins fortunés des « plus forts imposés » (33,04 francs de cens en moyenne en 1834), il s'agit de trois petits « propriétaires », d'un voiturier, d'un charpentier, aucun ne sait signer.

 

Pour le renouvellement triennal de 1840, une nouvelle liste de censitaires est établie en date du 6 février 1840, d'autant plus que la commune est passée à 470 habitants et qu'elle a donc droit à 47 électeurs municipaux (plus 4 électeurs adjoints). Les deux plus forts imposés de la liste de 1834, Bazanac et Berreterot, disparaissent de celle de 1840. Le plus fort imposé est un nouveau venu, désigné comme « constructeur », Jean-Baptiste Coureau, domicilié à Bordeaux et payant 275,47 francs de cens. J-J Pujol se retrouve en seconde position. La valeur médiane du cens est stationnaire à 54,85 francs. Une nouveauté : on s'aperçoit que l'article 12 de la loi du 21 mars fixe un minimum de 30 électeurs résidents pour une commune de la taille de Cénac. Ils ne seraient que 29. Si l'on fait les comptes, on s'aperçoit qu'ils sont en réalité 26, mais si l'on ajoute les 4 électeurs adjoints qui, rappelons-le, ont droit de vote, ils sont bien 30 ! On peut soupçonner le maire d'avoir saisi l'occasion d'un arrêté appelant le premier nommé de la liste des élécteurs suppléants domicilié dans la commune à prendre part aux élections sous prétexte de porter à 30 le nombre des électeurs résidents : le nouvel arrivant est en effet Jean Lestrille qui, on l'a vu, s'est dévoué pour le poste d'adjoint. A cette élection, il y a 25 votants sur 52 inscrits, soit un pourcentage très médiocre de 48%. On dispose, pour une fois, d'une liste de ceux qui ont pris part au scrutin. On peut ainsi observer la faible implication des électeurs les plus fortunés (cens supérieur à la valeur médiane : ils sont donc 24) ; ils ne sont que 8 à voter, soit un tiers des votants, même si on peut leur ajouter Jacques-Claude Lucotte qui a un des cens les plus élevés mais vote comme électeur adjoint au titre d'officier à la retraite (il avait été chef de bataillon du génie). Les électeurs les moins fortunés (cens inférieur à la médiane : ils sont donc 23) sont 14 à voter auxquels on peut ajouter deux électeurs adjoints officiers de la Garde nationale, soit les deux tiers des votants. Comment interpréter cette abstention massive des plus imposés qui ne sont que 1 sur 3 à voter ? Désintérêt ? Hostilité ? Certes beaucoup d'entre eux n'habitent pas le village mais certains Cénacais qui se sont beaucoup impliqués dans la gestion municipale comme Moulinié ou qui vont bientôt le faire comme Oulès se sont également abstenus. Quoi qu'il en soit -est-ce la composition du corps des votants ?- Jean Lestrille obtient le meilleur score. Il était renouvelable ainsi que Thillac qui est également réélu. Pujol est aussi réélu mais avec le moins bon score, de même que Gimbal et un nouveau venu apparaît, Bernard Prunié. Le nouveau conseil municipal comprend alors six propriétaires importants, Pujol, Gimbal, Lucotte, Brice, Pédeluppé, L'héritier (ces trois derniers n'ont même pas participé au scrutin), deux propriétaires modestes, Heberard et Prunié et deux artisans qui sont aussi les plus jeunes, Lestrille (34 ans) et Thillac (28 ans). On notera la modestie de la « fortune » du tonnelier Lestrille estimée à 21,37 francs alors que celle du forgeron Thillac est évaluée à 132,40 francs.

 

La nouvelle liste des censitaires est établie, comme réglementairement, le 31 janvier 1841. Deux mois plus tard elle est rectifiée pour faire passer Jean-Baptiste Cotelle de la liste des électeurs adjoints où il était présent en tant que lieutenant de la Garde nationale à la liste des électeurs censitaires « en vertu d'une délégation de Mme Vve Cotelle en datte du 6 février dernier ». J-B Cotelle prend la place qu'occupait Michel Cotelle en 1831. Sa « contribution » est 87,88 francs et il est « greffier de justice de paix ». C'est tout à fait le type du petit notable de province comme nous allons en rencontrer d'autres, propriétaires plutôt aisés et nantis d'une fonction publique fut-elle mineure.

Mais le principal événement de l'année 1841 est la démission de J-J Pujol. Dans une lettre au préfet du 5 avril 1841 il propose pour son remplacement Monsieur Prunié (Bernard), membre du conseil municipal, qui « jouit de l'estime de tous les gens de bien et possède à mes yeux toutes les qualités qui doivent caractérisé un magistrat sage et impartial ». Il n'y a pas de document sur les raisons explicites du départ de Pujol ni sur les discussions ayant abouti à l'acceptation de Prunié. Le préfet, trop heureux de voir un successeur immédiatement disponible, accepte dès le 10 avril. J-B Cotelle rédige le procès-verbal de la passation de fonction qui a lieu « au bourg de ladite commune (de Cénac) dans le local de Mme Vve Cotelle où étaient réunis à MM. les membres du conseil municipal plusieurs notables de la commune », le 18 avril 1841. La remise de pouvoir, devant cette assemblée d'honorables citoyens, va être l'occasion de deux allocutions, une de Pujol, l'autre de Prunié, tout illustrées des fleurs de rhétorique du discours politique dominant et bien pensant de l'époque, celui du citoyen capacitaire modelé par Guizot.

Pujol s'adresse tout d'abord à ses « chers concitoyens » : rappel indirect d'un dévouement personnel à la chose publique aussi authentique que désintéressé, « je viens pour vous témoigner combien vive et profonde est la douleur de ne pouvoir continuer les fonctions de maire que j'ai remplies avec amour depuis 1830 à ce jour » ; invocation toujours bienvenue des devoirs d'un père de famille, « les besoins de ma famille et le bien qu'un bon père doit vouloir à ses enfants me forcent à me donner entièrement à leur bonheur » ; affectation de modestie en forme d'hommage à ses concitoyens, « recevez l'expression de ma reconnaissance pour la confiance dont vous m'avez toujours honoré et l'appui que j'ai toujours trouvé en vous toutes les fois que j'ai eu besoin de m'entourer de vos conseils et de vos lumières » ; leçon de sagesse politique et de communion patriotique, « je n'ai pas besoin de vous recommander en vous quittant de ne jamais perdre de vue cette immortelle et glorieuse devise, le Roi, la Charte et la Liberté, elle assurera votre prospérité et vous rendra invincible au dedans comme au dehors, marchez toujours guidé par les sentiments de sage patriotisme que je n'ai cessé de vous reconnaître » ; hommage final attendu à la figure tutélaire qui sauvegarde le pays, « soyez toujours les fidelles du Roi que la France s'est donné et qui mérite à tant de titres votre amour et votre reconnaissance ». On le voit l'orthodoxie orléaniste de Pujol est sans faille... Puis il s'adresse à son successeur : éloge convenu des mérites, des qualités personnelles et sociétales de l'impétrant, « vos antécédents, votre conduite, votre modération et surtout vos sentiments patriotiques vous concilieront l'estime et l'amour de ceux qui vont devenir vos administrés » ; louange d'une humanité dont on ne saurait douter, « (…) ils trouveront en vous non seulement un magistrat pur et désintéressé mais encore un ami qui saura au besoin donner des consolations et rendre la justice à ceux qui pourraient avoir besoin de votre bienveillant ministère » ; célébration d'une cohésion communale fondée sur la reconnaissance réciproque entre gens distingués, « vous n'aurez qu'à vous réjouir de vous trouver en tête d'un conseil municipal dont les lumières et les sages avis m'ont si souvent seconder dans mes travaux et allégé en même temps les peines inséparables de notre administration. Vous trouverez aussi dans vos concitoyens tous les moyens possibles pour opérer le bien que vous désirez faire d'avance et je suis persuadé qu'à leur tour ils n'auront qu'à le louer (...) ». On notera dans ce discours la multiplication de formules à usage performatif : soyez persuadé, je suis convaincu, j'ai la conviction, je suis persuadé, visant habituellement à susciter et renforcer l'adhésion de l'interlocuteur à une croyance. Pujol s'adresse autant à l'assemblée qu'à Prunié.

Le nouveau maire va répondre dans le même registre congratulatoire : remerciements d'usage, « je crois, monsieur, me rendre l'écho du vœu des habitans en vous priant d'accepter l'expression de toute notre reconnaissance pour les services que vous avez rendus. Puisse leurs souvenirs ainsi que notre hommage vous accompagner dans votre retraite et devenir pour vous une douce compensation à la peine que vous vous êtes donné » ; modestie de bon ton du nouveau venu, « je vous remercie sincèrement de m'avoir désigné au choix de monsieur le préfet (…). Sans doute parmi ceux qui m'entourent de plus dignes et de plus capables auraient dû attirer votre attention » ; appel insistant au consensus, « j'espère que les membres de ce conseil ainsi que les habitans de la commune m'accorderont comme à vous toute leur bienveillance et leur estime. Je ferai du moins tous mes efforts pour m'en rendre digne, j'espère aussi que Dieu aidant nous n'aurons pas à déplorer les malheureuses scissions qui se sont présentées dans d'autres communes ».

On peut sans doute considérer que ce type de discours rend assez bien compte de ce que devait être le citoyen éclairé, apte à gouverner selon la raison, voulu par la monarchie de Juillet42.

 

            1. Sully Oulès : la reprise en main

 

Voilà donc Bernard Prunié intronisé. En quelques mois, il va perdre trois conseillers : demande de radiation de L'héritier pour 4 absences consécutives « sans donner aucune raison d'excuse », démissions de Barre et Pujol. Le premier, qui a 85 ans, a vendu sa propriété, il habite désormais Bordeaux quartier Saint-Seurin ; le second argue de ses occupations jointes à l'éloignement dans une lettre envoyée de Montussan. L'élection qui suit, le 6 novembre 1842, voit 23 votants, soit une participation, toujours en baisse, de 44%. Trois nouveaux conseillers sont élus : Etienne Burnel (21 suffrages) est avoué, il réside à Bordeaux, il a 47 ans, il est marié et père de 2 enfants ; Sylvain Fournier (18 suffrages) est juge de paix du canton de Créon, il habite Cénac, il a 48 ans, il est marié et père de 3 enfants ; Jean-Baptiste (Sully) Oulès (19 suffrages) est docteur en médecine, il habite Cénac, il a 33 ans, il est célibataire. Un avoué, un juge de paix, un médecin, on peut dire qu'il y a à la municipalité de Cénac un renforcement de la notabilisation de type orléaniste : ce sont des capacitaires emblématiques. Mais, par ailleurs, ce sont aussi, dans cette commune, des propriétaires aisés dont le cens dépasse largement la valeur médiane de 1841.

Dans une lettre du 29 décembre 1842, Prunié adresse au préfet sa démission de maire pour la raison que « des affaires de famille exige ma présence à Bordeaux une partie de l'année ». Le 2 janvier 1843, la préfecture dit apprendre avec regret l'intention de M. Prunié de se démettre de ses fonctions mais lui demande de consentir à exercer au moins jusqu'au renouvellement triennal qui doit avoir lieu dans quelques mois. Prunié va devoir insister par deux fois : le 10 janvier, « appelé à Bordeaux pour des affaires majeures, je suis obligé de vous prier de regarder ma première lettre comme l'expression de ma dernière volonté » ; le 23 fèvrier, c'est un ultimatum, « (…) je suis forcé de remettre le sceau de la commune entre les mains de l'adjoint et de cesser mes fonctions de maire à dater du dimanche 5 mars prochain inclusivement ». On voit bien ici que les difficultés de l'administration pour disposer de maires de bonne volonté étaient persistantes malgré le credo capacitaire orléaniste. Des tractations ont dû avoir lieu qui aboutissent à un arrêté de nomination de Etienne Burnel. Celui-ci est installé à la va-vite le 26 mars en présence de 4 conseillers !

 

Un arrêté préfectoral du 5 mai 1843 convoque les électeurs pour le 5 juin afin de procéder au renouvellement triennal du conseil municipal. La population cénacaise est passée de 470 à 507 habitants, le nombre d'électeurs s'élève donc à 51 (plus les 4 électeurs adjoints) et surtout le nombre de conseillers municipaux se montera désormais à 12. Une nouvelle liste de censitaires a été dressée en janvier. On note un nouveau-venu, Boussang Arnault-Adolphe, désigné comme propriétaire, il réside à Bordeaux et acquitte 239,69 francs de cens, juste après l'invisible « constructeur » Courau (ou Coureau) toujours à la première place. On peut aussi signaler une assez nette baisse de la valeur médiane du cens à 47,32 francs, baisse due, nous le verrons, à l'élargissement de la liste. Jean Lestrille, toujours adjoint, est retourné à la liste des électeurs suppléants. Au premier tour, il y a 33 votants, soit une surprenante remontée de la participation à 60%43. Il y a 4 élus au premier tour : Ampoulange, Fournier, Oulès, Pédeluppé. Il faut procéder à un second tour, il n'y a plus que 26 votants, Cotelle et Boussang sont élus à la majorité relative. Conseillers en 1840, Pujol, Lucotte, Brice et L'héritier disparaissent du conseil en 1843. Une élection partielle est nécessaire pour compléter l'assemblée, le 11 juin 1843 : Jean Heberard est élu à l'unanimité des 12 (!) votants. Le conseil municipal compte désormais 8 cens supérieurs à la médiane et 4 inférieurs dont 2 artisans. Ce déséquilibre peut être à l'origine des turbulences qui vont suivre.

Dés le 2 octobre, Burnel informe le préfet que son adjoint (Lestrille) désire cesser ses fonctions. Il propose le greffier de justice Cotelle pour le remplacer. Celui-ci, qui apparemment n'a pas été consulté, refuse et Prunié est délégué, par un arrêté du 1er novembre, pour remplir « les fonctions du maire en cas d'absence ou d'empêchement ». Visiblement, il ne s'en acquittera pas. Nouvel arrêté le 12 novembre, Sully Oulès est nommé à sa place. Inévitablement, Burnel envoie sa lettre de démission le 11 décembre : « mes occupations nombreuses qui me retiennent habituellement à Bordeaux (où d'ailleurs il habite, GLS) et l'impossibilité d'avoir un adjoint qui supplée à mon absence ne me permettent point de remplir convenablement la fonction de maire de la commune de Cénac (…). S'il m'était permis de désigner mon successeur, j'appellerai votre attention sur M. Sully Oulès, docteur en médecine (…) qui accepterait cette tâche ». Par lettre du 14 décembre, le préfet exprime ses regrets : « j'aurais vivement désiré, monsieur, qu'il vous eut été possible de conserver à l'administration votre utile coopération » et ses remerciements : « pour le zèle éclairé que vous avez bien voulu apporter dans l'exercice de vos fonctions ». On remarquera que ni Pujol ni Prunié n'ont eu droit à une lettre de ce type. Quant au « zèle » de Burnel, pour 9 mois de mandat, cela paraît bien exagéré. Il se confirme en tout cas que, pour administrer même une commune de 500 habitants, il est nécessaire d'y résider.

 

Le 24 décembre, Oulès est installé dans la fonction de maire, sans cérémonie particulière, les conseillers étant convoqués à son domicile. Les listes de censitaires qu'il établit en 1844 et 1845 ne comportent pas changements notables, la valeur médiane du cens restant inférieure à 50 francs. En 18 mois, il prend de nombreuses décisions gestionnaires, dont nous reparlerons, jusqu'à la crise de 1845. La lettre, datée du 16 avril 1845, adressée alors au préfet mérite qu'on s'y arrête. Oulès se plaint de ne plus pouvoir « remplir convenablement seul la fonction de maire (…) par défaut du concours que je rencontre de la part des conseillers municipaux ». Il n'y aurait plus, maire compris, que 4 conseillers résidant habituellement dans la commune (ce qui est surprenant et ne correspond pas à ce qui est indiqué sur la liste des censitaires!). De plus, un seul des quatre serait susceptible de remplir les fonctions d'adjoint mais « il s'y est obstinément refusé » et même « il refuse d'obtempérer à mon invitation en vertu des pouvoirs que me donne l'article 14 de la loi du 18 juillet 1837 ». On le voit, l'heure n'est plus à la diplomatie. Même refus de la part « des autres conseillers, tous propriétaires et fort peu soucieux des intérêts de la commune ». On le sait, ce genre de difficultés est ancien et permanent, on l'a vu sous la Restauration : faible implication des conseillers, recherche difficile d'un adjoint, embarras de l'administration préfectorale pour trouver des maires. Si l'on y ajoute la participation le plus souvent médiocre aux élections municipales, les Orléanistes ne pouvaient qu'être déçus de voir battue en brèche la haute idée qu'ils se faisaient du citoyen capacitaire. On peut parler d'un « échec relatif du projet doctrinaire de citoyenneté capacitaire »44.

Mais Oulès va plus loin et analyse la situation quasiment sous la forme d'un conflit de classes : « cet état de choses fâcheux pour les intérêts de la commune tient par un vice radical, celui de l'élection. Messieurs les propriétaires s'étaient ligués pour écarter les artisants du conseil municipal. Les élections réussirent au-delà de leurs espérances ». Burnel se serait également aperçu de cet « inconvénient grave », selon Oulès qui lui avait alors offert son concours et reçu une « délégation sans laquelle l'administration de la commune eut été enrayée » et « cet état de choses se représente aujourd'hui ». Oulès argue en outre de son obligation de s'absenter de la commune et alors « l'état-civil surtout est en souffrance ». Il donne l'exemple d'un enfant qui « dernièrement n'a pu être enregistré que six jours après la naissance, contrairement à la loi ». Sa conclusion est formelle : « il serait trop long de vous citer, monsieur le préfet, les innombrables inconvénients attachés à la composition du conseil municipal tel qu'il est. Le seul remède que je peux vous proposer est la dissolution : par là je suis à peu près certain de faire entrer quelques artisants honnêtes et faire expulser quelques brouillons ». Il ajoute qu'il prévoit avant peu un voyage dont il ne peut présager la durée.

On imagine l'embarras du préfet : la dissolution ne peut être autorisée que par une ordonnance royale et il juge le motif insuffisant. Dans sa lettre du 28 avril, il demande, comme à l'habitude, à Oulès d'attendre le renouvellement triennal de 1846 pour « modifier dans le cens que vous le désirez la composition du conseil municipal » et il l'engage à renouveler ses démarches auprès des conseillers municipaux. La réponse d'Oulès est datée du lendemain : « je me suis présenté de nouveau chez les quelques conseillers municipaux, les seuls résidant dans la commune et les seuls capables de replir les fonctions d'adjoint. Je n'ai obtenu que les refus les plus formels ». Il ajoute que, devant fixer son départ au 15 du mois prochain, « la commune ne sera plus représentée ». Il considère toujours que la dissolution est le « seul moyen de pourvoir aux besoins les plus pressants de la commune ».

On dispose, aux Archives départementales, de la lettre du préfet au ministère de l'intérieur où est résumée la situation de la commune : les élections de 1843 n'ont pas permis de pourvoir le poste d'adjoint ; la maire s'est trouvé dans la nécessité de diriger seul toutes les branches de l'administration ; obligé de s'absenter souvent, « les registres de l'état-civil notamment n'ont plus été tenus » ; plus personne ne reçoit les dépêches adressées au maire et ne s'occupe des affaires les plus urgentes. Une ordonnance royale du 23 mai 1845 dissout enfin le conseil municipal de Cénac. Le 8 juin, Oulès convoque le conseil municipal, lui notifie l'ordonnance royale et lui donne les motifs de sa demande de dissolution. Malheureusement, le procès-verbal ne contient aucune précision sur la nature exacte des dissensions qui agitèrent tant le conseil en cette année 1845.

 

Les nouvelles élections municipales, les dernières à Cénac sous la monarchie de Juillet, ont lieu le 15 juin. Le scrutin se déroule au domicile de Oulès. Il y a 30 votants, soit une participation honorable de 53,5%. On dispose d'une liste des votants : elle est édifiante. On assiste en effet à une forte mobilisation des « plus forts imposés ». Si l'on considère la valeur médiane du cens, 16 censitaires dont la contribution est supérieure à la médiane ont voté contre 14. Dans ces 16, on compte un boulanger, Larquey, et un forgeron, Thillac (dont le cens est juste celui de la médiane : 47,12 francs). Sur les 17 contributeurs les plus importants (en comptant Lucotte qui vote avec les électeurs adjoints), 13 ont participé (les 4 abstentionnistes habitent Bordeaux et ne se sont pas dérangés). Si l'on considère la moyenne des cens versés45, ils sont 19 à avoir un cens supérieur à la moyenne, 13 ont voté, soit plus des deux tiers ; ils sont 35 à avoir un cens inférieur à la moyenne, ils sont 16 à avoir voté, soit moins de la moitié. On notera que le cens de Oulès a considérablement baissé il est dorénavant nettement inférieur à la médiane et à la moyenne, ce qui le fait rétrograder entre 1844 et 1845 de la 20ème à la 31ème place ; incontestablement il n'appartient pas (ou plus) à la catégorie des (grands) « propriétaires ». Quant à sa tentative de régénérescence du conseil municipal, c'est un échec complet : 10 conseilleurs sur 12 sont réélus (Boussang au 2ème tour avec 8 voix). Les « brouillons » sont de retour. Le mieux élu, Ampoulange, obtient 28 voix, les artisans, Lestrille et Thillac, 23 et Oulès lui-même, 22. Falguière prend la place de Cotelle avec un cens du même ordre et Laurent Heberard remplace Jean Heberard. Il y a toujours 7 conseillers avec un cens supérieur à la médiane et 5 avec un cens inférieur. Le statu quo est complet : il semble que les « propriétaires » se soient serrés les coudes, contrairement à 1840 (supra, p.11). Leur domination est entérinée. Oulès, qui voulait y mettre fin, restera néanmoins maire et il aura à établir, en 1848, la liste des électeurs au suffrage universel.

 

Pour conclure sur ce chapitre, on notera que, dans ce village rural proche de Bordeaux, ville où plusieurs de ses propriétaires résident, on ne voit guère d'indices de politisation au sens national et urbain du terme, opposant les orléanistes et leurs différentes factions, l'opposition dynastique, les légitimistes, les républicains... Ce qui ne signifie pas que ces opinions n'existent pas mais elles ne semblent pas interférer avec la vie municipale. Par contre, une forme plus moderne de la politique a failli apparaître avec l'esquisse d'un conflit de classe entre propriétaires rentiers fonciers et artisans. On a vu que l'affaire avait tourné court. Cet antagonisme potentiel n'a cependant rien de surprenant au moment où se multiplient dans le pays, en plusieurs endroits, des affrontements plus ou moins virulents entre « blouses » et « habits ». Sans doute faut-il relativiser les limites de ces catégories et un artisan un peu installé pouvait être déjà perçu comme un notable par les petits propriétaires, les salariés, les domestiques... Le principal enseignement de cette histoire cénacaise réside dans la « consécration des notables ayant une certaine aisance financière »46. Cette prééminence est institutionnalisée et même légitimée par l'onction du suffrage, aussi limité soit-il. Elle est celle de personnes qui, selon la définition de Max Weber, « de par leur situation économique, sont en mesure, à titre de profession secondaire, de diriger et d'administrer effectivement de façon continue un groupement quelconque, sans salaire ou contre un salaire nominal ou honorifique »47. Que cette emprise soit le résultat d'une stratégie délibérée, comme le suggère Oulès dans le cas cénacais, ou que ce soit, plus vraisemblablement, le produit nécesaire de l'ordre social existant, pourrait-elle être remise en cause par l'apparition du suffrage universel ? Ceci est une autre histoire.

 

 

        1. LE MANDAT MUNICIPAL

 

1. Le maire fonctionnaire

 

Nommé par le préfet, le maire est le représentant de l'Etat dans la commune. Les autorités administratives le considèrent comme un fonctionnaire local et, d'ailleurs, le mot « fonctionnaire » est courammant utilisé pour le désigner. Guizot était opposé au principe de l'élection du maire car un maire choisi par ses concitoyens aurait eu la tentation de s'émanciper de la tutelle de l'Etat. L'importante loi du 18 juillet 1837 va augmenter les responsabilités du maire sans cesser de le considérer comme un rouage de l'Etat (article 9). C'est ainsi que, outre un ferme rappel de ses pouvoirs de police locale, il se voit attribuer, dans le droit fil de la théorie libérale, un pouvoir étendu de gestion des biens communaux en tant qu'exécutif du conseil municipal : « le maire est chargé, sous la surveillance de l'administration supérieure, de l'administration des propriétés de la commune (...) ». On peut parler d'une sorte de rééquilibrage entre le pôle fonctionnaire et le pôle gestionnaire de son activité.

Maire jusqu'en 1841, Jean-Jacques Pujol utilisera peu les dispositions de la loi de 1837, Bernard Prunié et Etienne Burnel n'en auront guère le temps. Sully Oulès, par contre, en usera généreusement, se coulant avec conviction dans le rôle du gestionnaire raisonnable voulu par le législateur orléaniste. Néanmoins, pour les uns et les autres, les domaines d'intervention du mandat municipal sont identiques, principalement, par ordre d'importance, à Cénac en tout cas, les chemins publics, le culte, l'instruction publique et l'ordre ,public

 

En ce qui concerne l'ordre public, cette première phase du mandat municipal a vu seulement deux arrêtés. En 1832, le premier est relatif à l'interdiction des jeux de hasard qu'ils soient introduits par des marchands ou colporteurs ou pratiqués au cabaret. En 1842, Bernard Prunié, « considérant qu'il est du service d'un magistrat préposé au maintien du bon ordre de prendre telle mesure que son zèle lui suggère pour prévenir les désordres et les abus », établit une règlementation sévère sur les heures d'ouverture et de fermeture des établissements publics48.

 

La préoccupation principale concerne les chemins publics. L'arrêté du 30 janvier 1833 est, à cet égard, exemplaire en même temps que très révélateur de l'état de ces chemins. On va donc s'y attarder un instant. Pujol en fait quasiment une affaire d'ordre public. Il invoque une loi de 1792 « portant sur les objets de police confiés à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux sur tout ce qui intéresse la sûreté et les commodités, le passage dans les voies publiques ». Pujol dénonce tout particulièrement la négligence des propriétaires qui laissent branches d'arbres et haies envahir jusqu'à les obturer les chemins publics. Ces propriétaires, nous dit-il, contreviennent aux lois, laissent pousser les haies sur les chemins et croître les jeunes arbres jusqu'à ne laisser en largeur, « dans plusieurs chemins publics de première classe », que le passage d'une charrette, « c'est- à-dire deux mètres un tiers » ! Certains ont creusé des fossés jusqu'à deux mètres de profondeur et « dans l'hiver, pleins d'eau, ils peuvent surtout la nuit devenir dangereux pour les personnes et les animaux ». L'arrêté est impératif : les propriétaires devront faire élaguer les haies, couper les branches d'arbre qui tombent sur les chemins vicinaux et combler les fossés dans les deux mois. L'article 2 de l'arrêté mentionne les sanctions consécutives au « refus d'obtempérer » : poursuites devant le tribunal de simple police et ordre d'éxécution d'office des travaux aux dépens des contrevenants.

Il faut croire au sens civique des propriétaires du temps puisqu'il faut attendre quelque huit années pour trouver un nouvel arrêté d'élagage, du 14 décembre 1840, invoquant « l'état fâcheux des chemins vicinaux et ruraux par suite de l'humidité constante qu'occasionnent les arbres riverains dont les branches se projettent même jusqu'au milieu du chemin ». Cette fois, l'injonction est peut-être moins bien suivie et, deux ans plus tard, Bernard Prunié, soit relâchement des propriétaires, soit excès de zèle du nouveau maire, prend un nouvel et rigoureux arrêté se référant à des instructions ministérielles et à la loi du 21 mai 1836, « attendu que la viabilité de la commune est dans un état complet de dégradation ». Il est donc enjoint aux propriétaires « d'élaguer les arbres, haies et costières, de récéper les racines jusqu'à la limite de leur propriété, de laisser aux chemins leur largeur naturelle et de ne gêner en rien soit par du dépôt ou autre la voie publique ». Précision inhabituelle, le procès-verbal indique que « le présent arrêté soumis et approuvé par Monsieur le Préfet sera placardé à la porte de l'église, publié au battement de la caisse pendant deux dimanches consécutifs et à l'issue de la messe afin que nul n'en ignore ».

Pour les voies plus importantes, l'axe majeur est, à ce moment, la route départementale n°10 de Bordeaux à Saint-Macaire. On notera que le financement s'en fait par « souscription », en fait par des contributions des habitants arrêtées par le préfet et, dans une délibération du 7 décembre 1834, le maire fait un rappel à l'ordre, deux souscripteurs seulement s'étant présentés. Quatre ans plus tard, la route est toujours en chantier et aborde juste la propriété de J-J Moulinié à Duplessy. Cette pratique de la souscription « volontaire » sera encore avérée en septembre 1843 où la commune fait appel à des souscripteurs pour, avec sa propre contribution, remettre en état le chemin de Materre, voie d'autant plus importante qu'elle relie, à Cénac, les deux axes du canton que sont la route départementale n°10 et le chemin de Créon à Port-Neuf.

 

On peut tout de même mentionner, avant qu' Oulès ne s'en empare, quelques exemples d'utilisation de la loi de 1837 par ses prédécesseurs. Dès le 12 mai 1839, « vu les besoins de la commune », une délibération du conseil municipal décide de « vendre au plus offrant » plusieurs chemins ainsi que « divers emplacements appartenant à la commune (qui) sont inutiles à la commune » (trois chemins et quatre emplacements). C'est tout le problème des biens communaux qui est posé : « le conseil municipal possède donc l'initiative en matière de gestion des biens communaux et le préfet ne peut en aucun cas se substituer à lui »49. Nadine Vivier considère que l'administration des biens communaux sera le principal domaine de décision des conseils municipaux à partir de la loi de 1837. L'origine des biens communaux -concessions seigneuriales ou propriété originelle et immémoriale des communautés- fait problème, ils gardent néanmoins, au début du XIXème siècle, une forte charge symbolique. Ils ont été combattus à la fin du XVIIIème siècle par les physiocrates qui « prônent la mise en culture par l'appropriation individuelle sur le modèle anglais des enclosures »50. Une statistique de 1846, citée par Nadine Vivier, établissait à 9% la superficie, pour la France, des biens communaux. En Gironde, elle était de 14,8% (par rapport à la superficie totale du département). Cette statistique définit les biens communaux comme des biens possédés par les communes, exploités collectivement ou loués, ce qui est différent de services pris sur les biens d'autrui comme la vaine pâture dont nous reparlerons. La politique de la monarchie de Juillet à l'égard des biens communaux est quelque peu hésitante. Officiellement, elle préconise une mise en culture par l'amodiation, c'est-à-dire l'affermage, la location de la terre moyennant redevance. En fait, on assiste à une accélération des ventes comme l'inaugure, à Cénac, cette délibération de 1839. Les communes vendent pour disposer de ressources permettant de répondre à diverses dépenses, réparations de l'église, chemins , maison d'école... A Cénac on pratique assez systématiquement la vente des chemins jugés inutiles afin d'assurer la réparation et l'entretien des chemins jugés utiles. Les registres municipaux ne contiennent cependant généralement pas de précisions sur le résultat de ces ventes, nom des acheteurs, montant des transactions. Par ailleurs, cette gestion des chemins communaux, préoccupation permanente, comporte d'autres aspects : demande de classement ou de modification de classement, échanges et/ou concessions de terrains communaux dont a, par exemple, bénéficié Etienne Burnel quelques mois avant d'être désigné comme maire51.

 

On sait la longue quête des Cénacais et leur longue attente -plus de trente ans- pour obtenir de l'Archevêché l'érection de leur église en Succursalle et la mise à disposition d'un « desservant permanent »52. Leur démarche opiniâtre va aboutir en 1843 seulement sous le mandat d'Etienne Burnel. Nous en verrons plus loin les péripéties. On mentionnera cependant ici une intéressante délibération du 29 novembre 1840 transmise à l'Archevêché. Le conseil est convoqué ce jour-là afin de discuter, sur invitation du préfet, du projet que la commune voisine de Lignan « a fait de la demande d'érection de son église en succursalle et dont elle propose d'y comprendre celle de Cénac ». La réponse du conseil municipal cénacais est vive et le refus cinglant. Il faut dire que l'argumentation paraît assez dédaigneuse vis à vis de Lignan. On rappelle que Cénac compte 470 habitants et Lignan seulement 258 et que Cénac est située sur le bord de la route de Bordeaux à Saoint-Macaire. Il est précisé (fièrement?) que Cénac compte trente cinq familles bourgeoises qui y résident la plupart de l'année et soixante et quinze artisans au moins ce qui assure un casuel plus important. Par ailleurs, on assure que « la distance de l'église de Cénac à celle de Lignan est d'une heure et quart à une heure et demie environ de marche par de mauvais chemins ce qui rendrait difficile et souvent impraticable dans la mauvaise saison le trajet soit du desservant, soit des paroissiens ».Ainsi, « dans de telles circonstances (…), il y aurait inconvénient et incommodité à subordonner la commune située au bord d'une grande route à la commune située à une heure et demie à l'intérieur des terres, la grande commune à la petite ». Le conseil entend se tourner vers « Ménac » dont l'église n'est qu'à un quart d'heure de celle de Cénac et qui fit autrefois partie de Cénac. Distante de Camblanes de plus d'une heure, Ménac aurait demandé d'être à nouveau adjointe à Cénac. Ce qui ne se fera pas. Il reste un vice rédhibitoire, ainsi que le reconnaît le conseil, « la commune de Cénac n'a pas à elle, en ce moment, de presbytère ». Une solution se présente avec une proposition de Mademoiselle Berreterot, propriétaire à Cénac. Celle-ci, bonne chrétienne et dont le frère Louis, prêtre, était un de deux plus importants censitaires de la commune en 1831 et 1836, écrit au maire : « je donnerai aujourd'hui et pendant 10 ans gratuitement la maison de mon domaine de Capéran, maison qui procurerait un logement convenable (au desservant) . J'y joindrai un jardin potager, de plus je meublerai une chambre »53. Elle propose même une éventuelle prolongation à l'échéance des dix ans. Cela laisse du temps au conseil pour envisager une acquisition définitive pour laquelle trois modes de financement sont évoqués : vente de divers chemins, souscription des habitants (y compris ceux de Ménac), emprunt sur « un long intervalle de temps ».

 

La querelle -que l'on peut littéralement dire de clochers- entre Cénac et la commune limitrophe de Lignan existait aussi, de manière plus métaphorique, dans le domaine de l'instruction primaire. La loi sur l'Instruction primaire, dite loi Guizot, date du 26 juin 1833. Elle stipule, à l'article 9, que « toute commune est tenue, soit par elle-même,soit en se réunissant à une ou plusieurs communes voisines, d'entretenir au moins une école élémentaire ». Notons que, considérant, à juste titre, que le métier d'enseignant, cela s'apprend, la loi précise à l'article 11 que « tout département sera tenu d'entretenir une école normale primaire », éventuellement en se réunissant à un ou plusieurs départements voisins. Tout instituteur doit présenter au maire un brevet de capacité et un certificat de moralité. Il doit lui être attribué « un local convenablement disposé, tant pour lui servir d'habitation que pour recevoir des élèves (et) un traitement fixe qui ne pourra être moindre de deux cents francs pour une école primaire élémentaire » (article 12). Il recevra en outre « une rétribution mensuelle dont le taux sera réglé par le conseil municipal ». Il s'agit en fait d'une contribution des parents mais on remarquera que l'article 14 prévoit d'admettre gratuitement dans l'école communale élémentaire ceux des élèves désignés « comme ne pouvant payer aucune rétribution ». Enfin chaque école communale sera dotée d'un « comité local de surveillance composé du maire ou adjoint, président, du curé ou pasteur, et d'un ou plusieurs habitants notables désignés par le comité d'arrondissement » (article 17).

Tout cela entraîne des contraintes et des frais pour les communes et l'installation d'une école primaire à Cénac n'ira pas sans péripéties. L'histoire en a été faite54. Le 12 décembre 1833, le conseil municipal est réuni afin de se conformer à la loi sur l'organisation de l'Instruction primaire et délibère, « vu que la commune de Cénac est trop petite et trop dépourvue de moyens pour entretenir seule une école, elle doit être réunie à celle de Lignan à laquelle elle touche par la plus grande longueur de mitoyenneté, cette dernière commune a un logement pour l'instituteur situé au bourg mais comme il serait assez éloigné d'une partie de la commune de Cénac, le conseil jugerait convenable de placer le logement de l'instituteur dans un local plus central pour les deux communes ». On notera néanmoins que l'éloignement et la petitesse de Lignan ne sont pas ici considérés comme des inconvénients dirimants pour la « réunion » des deux communes dans le domaine de l'instruction alors qu'ils le deviendront, 7 ans plus tard, dans le domaine du culte.

Huit années vont passer ainsi mais le conflit est sans doute latent. Une première escarmouche officielle apparaît dans une délibération du 9 mai 1841 à propos du traitement de l'instituteur, « le sieur Fourcade », qui réside donc à Lignan. Apparemment, le conseil refuse de payer une indemnité supplémentaire « attendu que dans la somme de 89,97 francs qui a été imposée à la commune de Cénac au prorata de son imposition de 2999 francs sont comprises les impositions affectées au traitement comme au logement de l'instituteur de Lignan ». Lignan ne paye que 75,6 francs, « dès lors il est naturel de penser que les sommes réclamées sont applicables à la commune de Lignan ».

La délibération du 26 septembre suivant est encore plus significative. A propos de la quote-part de 89,97 francs, le maire, Bernard Prunié, observe « que cette somme devient de nul effet et ne remplit pas le but que la loi a voulu atteindre, celui de faire concourir au Bien fait de l'instruction primaire les enfants indigents, attendu que la distance qui sépare la commune de Cénac de celle de Lignan est considérable et par de très mauvais chemins ce qui empêche les habitants de Cénac d'envoyer leurs enfants chez l'instituteur de Lignan ». De plus, il s'avère que l'instituteur a quitté la commune « vu le peu de ressources qu'elle lui présentait ». Ainsi, le maire constate que « vu l'abandon d'un instituteur dans la commune de Cénac les abitans se voient obligés d'envoyer leurs enfants chez linstituteur de la commune de La Tresne malgré que la distance soit d'une heure de marche. Les habitans préfèrent les envoyer dans cette commune plutôt que dans celle de Lignan attendu que le parcours se fait par la route départementale n°10 ». Prunié s'efforce ensuite de démontrer que Cénac peut disposer d'un instituteur : pour 507 habitants, il y a 42 enfants de sexe masculin « susceptibles de recevoir l'instruction primaire », 26 dont les parents peuvent payer la rétribution et 16 qui « apartiennent à des parents indigents » ; il n'oublie pas 34 enfants de sexe féminin dont 22 « sont également susceptibles de la (l'instruction) recevoir et la rétribuer » et 12 seulement « dans limpossibilité ». Il y aurait donc 76 enfants scolarisables pour 507 habitants, en comptant les enfants non encore scolarisables, on pourrait évaluer -de manière très approximative- que les enfants constituent au moins 20% de la population cénacaise en 1841. En tout cas, cela permet au maire d'estimer que « d'après le relevé qui vien d'être fait des enfants susceptibles de payer l'instruction qui leur ceret donnée un instituteur pouret être accordé à la commune de Cénac en considéranr surtout qu'elle est située sur le bord de la route départementale n°10 que dès lors cete proposition permet à des communes avoisinantes d'envoyer leurs enfants dans cette commune ». Le conseil forme donc « le vœu qu'un instituteur primaire soit accordé à la commune de Cénac sans ocmentation des frais pour la commune, (il) engage monsieur le maire à faire toutes les démarches nécessaires pour atteindre ce but.

« Le conseil pénétré de plus en plus du Bien fait qu'entraîne l'instruction fait des vœux bien sincere pour que monsieur le préfet segonde leur voeu ».

 

2. Le maire gestionnaire

 

Les cinq années suivantes vont voir le nouveau maire, Jean-Sully Oulès, déployer une intense activité gestionnaire. Il n'en néglige pas pour autant les questions d'ordre public. Deux arrêtés seront pris sur la circulation dans les chemins publics : le 13 avril 1844, c'est un rappel précis et détaillé de la réglementation sur les diverses sortes d'encombrements des voies publiques, avec menace de contravention ; le 15 novembre 1845, un arrêté signale l'interdiction de passer sur les accotements des chemins, l'amende est de 15 francs. Il est aussi question de moralité publique dans un arrêté du 21 juin 1846 qui interdit les jeux de hasard et règlemente l'ouverture des établissements publics pour les fêtes, danses et réunions. Les nuisances du cabaret du sieur Quinteau sont en cause dans un arrêté du 26 septembre 1847 ordonnant la fermeture de l'établissement, ce qui entraîne dans l'après-midi une violente altercation entre Quinteau et le maire, devant témoin et consignée dans un procès-verbal. D'où un nouvel arrêté du 16 octobre sur les « cabarets et autres établissements publics » particulièrement sévère et dont l'article 2, nous le verrons, sera rapporté par le commissaire du département. Enfin, Oulès n'hésite pas à s'impliquer personnellement dans le maintien de l'ordre public. C'est lui-même qui, se trouvant, le 2 novembre 1845, près de Montignac, dresse un procès-verbal pour délit de chasse à l'encontre du sieur Edouard-David Vallenet. C'est encore lui, quelques jours après, qui, « venant à passer (…) sur la route de Bordeaux à Saint-Macaire », surprend Arnaud Roques chargé d'un bois manifestement volé, ce dont il dresse immédiatement procès-verbal.

 

Oulès désigné comme maire fin 1843, les ventes et aliénations de terrains communaux vont se succéder, en particulier tout au long de l'année 1844. Les procédures semblent assez bien établies et normalisées même si les procès-verbaux peuvent varier d'une opération à l'autre. Généralement, une enquête de commodo et incommodo est engagée par « avis publié et affiché au son du tambour ». Cela ne semble pas faire courir les foules cénacaises et l'on retrouve invariablement la mention : « à deux heures de l'après-midi personne ne s'étant présenté il (le maire) a clos le présent procès-verbal ». Parfois, il est procédé à une expertise, voire à une expertise contradictoire comme c'est le cas en janvier 1844 où Heberard est désigné comme expert par le conseil municipal face aux experts nommés par les riverains de la voie dite Chemin Rouge n°1 considérée comme « devenue inutile » et propre à être vendue par le conseil.

En mars 1844, c'est une opération particulièrement importante de vente par adjucation de dix terrains et chemins, avis en étant donné au public au son du tambour et deux dimanches successifs. Les superficies en sont modestes, de 6 à 22 ares, dont deux chemins, Le Chemin du Bois des Filles n°18 du classement (20 ares) et le Chemin de Montignac n°19 (13 ares). Cinq sont déclarés vendus, selon le procès-verbal, le plus important est un terrain de 22 ares sur la route de Créon à Port Neuf, le montant des ventes et les noms des acheteurs n'étant pas mentionnés. Les terrains à vendre sont habituellement qualifiés de « délaissé », « abandonné » ou « vacant ». Ils le sont souvent en raison de travaux d'aménagement des voies de circulation et, en particulier, de la route de Créon à Port Neuf laquelle est, on va le voir, un souci constant pour la municipalité. Un terrain peut être vendu parce qu'excédant la largeur nécessaire du chemin... On peut procéder à des échanges de terrains entre un propriétaire et la commune comme dans plusieurs cas de « redressement » de chemins, par exemple pour le chemin n°6 de Moutille qui « offre une courbe en pointe dangereuse pour la circulation des charrettes et des voitures » ou le chemin n°9 « qui dans cette partie (à aliéner) forme un angle rentrant désagréable à la vue ».

Le coût de l'aménagement et de l'entretien des chemins est un problème permanent et majeur. Rappelons qu'à ce moment existent deux types de chemins, les ruraux et les vicinaux. Les chemins ruraux n'ont pas de classement officiel, ils ressortent du domaine privé de la commune qui les affecte à un usage public. La loi du 21 mai 1836 ( moins connue que celle du même jour sur les loteries) établit deux sortes de chemins vicinaux : les chemins vicinaux ordinaires d'une commune et les chemins dits de grande communication qui relient plusieurs communes. Ces derniers, sous le contrôle du préfet, sont entretenus par les communes sous forme de prestations obligatoires ou de centimes additionnels, ils peuvent bénéficier de fonds départementaux, le tout sous la resppnsabilité d'un agent voyer. Le statut des chemins ruraux facilite leur vente par les communes mais leur usage permet parfois d'en contester la propriété. On donnera l'exemple de cette délibération du 5 mai 1844 à propos du « chemin de Courau n°20 du classement des chemins ruraux »55 qui est « au nombre des chemins ruraux de la commune portés pour être vendus ». Or la propriété en est revendiquée par « le sieur Laumet » qui, vraisemblablement, est le seul à l'utiliser. Le conseil municipal repousse les prétentions de Laumet arguant qu'il n'a fait de cette voie qu'un « chemin de servitude ce qui n'équivaut pas à une translation de propriété ». On l'a dit, la vente de chemins est le plus souvent affectée à la maintenance d'autres chemins . Illustration avec cette délibération du 8 février 1846 où le maire indique que plusieurs chemins ruraux ou emplacements que la commune avait été autorisée à vendre ont trouvé acheteur et « qu'il importe aux intérêts de la commune que le conseil municipal autorise que les fonds provenant des dites ventes fussent employés à due concurrence à la réparation des chemins vicinaux de la commune ainsi qu'à leur entretien ».

Plusieurs délibérations sont consacrées à de pointilleuses dispositions et modifications relatives au classement des chemins ruraux et vicinaux. Un même chemin peut avoir une portion rurale et une portion vicinale... Des voies sont « délaissées », d'autres privilégiées, ce qui peut donner des indications sur les déplacements dans la commune et donc les activités villageoises. Nous nous arrêterons cependant ici, à propos de déplacements, sur les doléances dont est alors l'objet le chemin de grande communication de Créon à Port Neuf de la part des Cénacais. Cette voie est un axe important et un des débouchés sur la Garonne de cette portion de l'Entre deux-mers. Mais les Cénacais lui préfèrent la route de Bordeaux à Saint-Macaire qui leur permet de rejoindre plus facilement Latresne en seulement (!) une heure de marche.. On sait que les communes doivent participer à l'aménagement et à l'entretien de ces voies. Le 4 février 1844, une délibération du conseil municipal émet le « vœu que monsieur le maire fasse des démarches auprès de monsieur le préfet pour être relevé de la moitié de la contribution que la commune est obligée de fournir sur la route de grande communication de Créon à Port Neuf pour l'année 1844 ». Ce vœu n'a visiblement pas été exaucé, il est donc réitéré le 12 mai 1845. Cette fois, il est demandé que le contingent de prestations soit acquitté en argent, la contribution s'élevant à 500 francs, ce qui est déjà considérable pour une commune comme Cénac. Le conseil réclame donc que cette « somme soit réduite au moyen des deux tiers attendu l'inutilité de ce chemin pour la commune et l'état de dégradation des chemins vicinaux ». Dernier acte connu, une délibération du 10 mai 1846 demande carrément que la commune soit exonérée de toute participation en argent et en prestations relatives à la route de grande communication de Créon à Port Neuf. L'argumentaire en est serré et instructif. On apprend ainsi que « depuis de longues années la commune de Cénac est obligée de fournir les deux tiers de ses prestations et centimes additionnels environ pour l'achèvement, réparation et entretien du chemin de grande communication n°27 de Créon à Port Neuf ». Le tiers restant est évidemment insuffisant pour entretenir les chemins de la comune « qui pour la plupart sont dans un état de dégradation complet au point que le transport des denrées de divers lieux du village ou quartiers de la commune est devenu impossible de sorte que les habitants de ces localités ne peuvent pas trouver à porter leurs produits pendant plus des trois quarts de l'année ». On notera qu'est ici mentionnée l'importance des échanges avec l'extérieur pour les hameaux de la commune, mais suggérer que ceux-ci vivraient les trois quarts de l'année quasiment en autarcie paraît quelque peu hyperbolique. Quoi qu'il en soit, Oulès, avec le conseil, considère vigoureusement que cela ne peut plus durer : « un pareil état de chosesn'est plus tolérable ». Argument majeur, ce chemin « n'intéresse que très indirectement » les Cénacais. D'une part, « il ne cotoie la commune que dans une bien minime portion de son étendue » ; d'autre part, « c'est surtout par la route départementale n°10 et le port de La Tresne que les vins, les bois et autres denrées s'exportent exclusivement et non par la route de Créon à Port Neuf qui à cet égard n'est d'aucun usage pour les habitants de la commune de Cénac ». On remarquera qu'il y a bien dans ce village de 500 habitants une activité « exportatrice » portant principalement sur le vin et le bois.

Oulès se permet en outre quelque impertinence en signalant qu'après tout, « le chemin de Créon à Port Neuf est complètement terminé depuis plusieurs années (et) que les sacrifices que la commune de Cénac a fait depuis plus de 10 ans pour ce chemin doivent avoir un terme ». Il ajoute, avec une hardiesse un peu surprenante, « qu'au surplus le département a fait il y a peu de temps un emprunt considérable pour l'achèvement des routes et chemins de grande communication dont la confection a été jugée nécessaire par l'autorité administrative » et qu'ainsi « il serait bien temps de laisser enfin aux communes la disposition de la majeure partie de leurs ressources pour qu'elles puissent elles aussi arriver non pas à une viabilité complète et parfaite ce qui est impossible de longtemps mais au moins à pouvoir porter leurs produits aux lieux d'embarquement ou de débouchés ». Oulès, insistant de nouveau sur le peu d'intérêt du chemin de Créon à Port Neuf pour les Cénacais, observe que, de toute façon, la commune de Cénac n'aurait jamais dû figurer au nombre des communes contribuant à payer les dépenses de ce chemin et que « si cela eut lieu à l'époque ce fut uniquement par la faiblesse de l'autorité municipale qui négligea d'éclairer à cet égard la religion de l'autorité supérieure ». Ceci est une pierre dans le jardin de Jean-Jacques Pujol et marque toute la différence de perception de la fonction édilitaire, à ce moment, entre ce que nous avons appelé le maire fonctionnaire qui ne saurait contester en quoi que ce soit une décision de l'autorité préfectorale et le maire gestionnaire d'abord soucieux du bon usage des deniers de la commune. Le conseil mandate donc Oulès pour obtenir que la commune soit retirée du nombre de celles obligées de contribuer aux dépenses de la route de grande communication de Créon à Port Neuf et « par conséquent dispensée pour l'avenir d'y porter aucun contingent soit en argent soit en prestation ».

Cette affaire semble porter un enseignement : la relative décentralisation autorisée par la loi de 1837 peut conduire alors des maires actifs comme Oulès à mettre en place une certaine autonomie de la gestion communale. Celle-ci entend prendre en compte, naturellement, les intérêts généraux des habitants, notamment dans l'utilisation des centimes additionnels, mais aussi s'attacher à protéger et valoriser l'activité économique de la commune, l'insistance sur les voies de transport et les débouchés des produits de cette activité en témoigne. Ce faisant, on peut voir le maire d'une petite commune de 500 habitants contester des décisions de l'autorité préfectorale et porter pour sa commune des revendications allant à l'encontre de dispositions de l'administration départementale.

 

En 1844, le conseil municipal, sous l'impulsion d'Oulès, prend un arrêté important : l'interdiction de la vaine pâture. Cette pratique immémoriale est « la faculté qu'ont les habitants d'une commune d'envoyer leurs bestiaux paître sur les fonds privés une fois les fruits récoltés »56. A ne pas confondre avec la « vive pâture » qui est « le droit de pâturage qui s'exerce sur les communaux » (idem). La vaine pâture et le pâturage communal sont donc deux choses différentes. Pourtant l'arrêté pris par le conseil de Cénac semble les mêler dans un même opprobre. L'article 1er de l'arrêté du 5 mai 1844 stipule que « les parcours de la vaine pâture sont défendus sur tout le territoire de la commune de Cénac à dater de ce jour ». La raison invoquée en est « la dégradation incessante des chemins publics et des propriétés privées occasionnée par le parcours des bêtes à cornes et autres », tout en précisant « qu'il n'existe sur aucun point de la commune de pacages communaux ». Une délibération du 18 mai suivant précise que « procès-verbal sera immédiatement dressé contre tout conducteur de bêtes à cornes et autres qui laissera stationner du bétail sur la voie publique et sera la cause de dégradation des fossés ou accotements et haies bordant les chemins ». En fait, l'arrêté définitif date du 8 juillet 1844 et, sans doute revu par le sous-préfet, ne fait plus mention de vaine pâture mais bien (en référence à des lois des 16 et 24 août 1790, 19 et 22 juillet 1791 et 18 juillet 1837) de « parcours des bêtes à cornes et autres sur les chemins publics ». La portée de la décision du conseil en est diminuée, elle comporte néanmoins une forte charge symbolique. La notion de pâturage communal est liée à la tradition de la « vache du pauvre » dont Nadine Vivier souligne l'ambiguïté mais qui constitue encore un mythe vivace dans l'imaginaire populaire. Il est d'ailleurs étonnant que la délibération du conseil prétende qu'il n'y a pas de « pacages communaux » à Cénac alors que, ainsi que le remarque Nadine Vivier, d'une façon générale, les vignerons -et ils sont évidemment nombreux dans la commune- n'ont que peu de terres à réserver aux quelques bêtes qu'ils peuvent posséder, ils ont donc besoin de pacages communaux, l'absence de ceux-ci pourrait alors expliquer l'envahissement des chemins dénoncée dans la délibération.

 

Cette année 1844, fertile en décisions, va s 'avérer cruciale dans le domaine du culte. L'ordonnance archiépiscopale tant attendue d'érection de l'église de Cénac en Succursalle est datée du 10 août 1843 sous le numéro 2093. Sauf que la commune n'a toujours pas de presbytère. Nous en sommes restés à la proposition de Mlle Berreterot d'un bail gratuit de 10 ans pour sa maison de Capéran (supra, p.19). L'archevêché connait cette maison ainsi qu'en atteste une lettre de février 184457. Il émet d'ailleurs des réserves sur cette bâtisse dont le seul mérite semble être la relative proximité de l'église, « pourvu qu'on la répare convenablement et qu'il y ait les dépendances nécessaires ». Il annonce qu'il a « déjà été fait choix d'un excellent curé qu'il (Monseigneur) destine à Cénac ». Le reste de la missive est une longue mise en garde : « si le presbytère n'était pas acquis il faudrait placer ailleurs cet ecclésiastique et ce serait une véritable perte ». En outre, « le service provisoire dont Monsieur le curé de Saint-Caprais a bien voulu se charger ne peut pas être continué indéfiniment ». Enfin l'archevêché demande au maire de vouloir bien faire observer à MM. les membres du conseil municipal « (…) que les sacrifices qui seront nécessaires pour l'acquisition d'une maison presbytérale (…) ne dureront que quelques années, que ce sera une dépense faite pour toujours (…), que si on laisse échapper l'occasion actuelle on s'exposera à n'en pas troiuver d'autre de longtemps ».

La délibération 18 mars 1844 marque un changement de cap du conseil : la proposition de Mlle Berreterot, qui semble s'être transformée en offre d'achat, est refusée. Une décision importante esr alors prise à la majorité (il n'y a donc pas eu unanimité, ce qui est rarement indiqué) : « nomination d'une commission de trois membres à l'effet de faire la recherche d'un local convenable pour l'édification d'une maison presbytérale ». Les trois commissaires, Ampoulange, Prunié et Lestrille ont une quinzaine pour déposer leur rapport. La décision définitive est prise le 5 mai 1844 : on va construire un presbytère. Un terrain est disponible, il est proposé à l'achat par Ampoulange, un des commissaires, une pratique que l'on trouverait aujourd'hui discutable. Ampoulange accepte l'estimation la plus basse faite par Fournier, l'un des experts chargé de cette estimation. La superficie en suffit pour l'édification du bâtiment, il manquerait 16 ares « pour assortir ce presbytère d'un jardin d'une certaine quantité de vignes ». Ils seront prélevés sur un terrain contigu appartenant à M. Courau. Reste le financement : avec le plan et le devis présentés par la commission, le coût total se monte à 7 500 francs, soit environ 3 fois le budget de la commune! Le conseil y affecte le produit des chemins vendus, soit 1 045 francs, et se résout à un impôt extraordinaire de 5 000 francs dont on espère qu'il pourrait être complété par un « secours » de l'administration. Mais l'affaire se complique. Le conseil, en juillet, doit réévaluer le coût de la construction. Un emprunt devient nécessaire pour une mise en œuvre immédiate, l'intérêt en sera de 4%, « taux avantageux pour la commune » : rappelons que la bourgeoisie orléaniste est, à ce moment , en pleine euphorie du crédit. L'imposition extraordinaire est portée à 6 710 francs. Il faut trouver rapidement de l'argent pour engager l 'opération. En décembre, les 1 045 francs de la vente des chemins ruraux s'avèrent insuffisants pour l'acquisition des terrains et les frais d'enregistrement : 1 070 francs. On va les compléter par la vente pour 25 francs de « quelques tombereaux de terre inutile prise sur divers chemins » : ce qui s'appelle racler les fonds de tiroir ! Il faut une ordonnance royale pour approuver l'imposition à partir de 1846 et la formation d'un rôle spécial pour le recouvrement de la premiére annuité en 1845. Et, comme on ne peut pas penser à tout, on se résoud à voter, en mars 1845, une somme supplémentaire de 244,50 francs pour la confection d'une fosse d'aisance et l'établissement d'une clôture.

On notera enfin le déroulement officiel de la procédure d'adjudication des travaux le 11 août 1844. Des affiches annonçant l'opération ont été apposées à Cénac et dans les communes avoisinantes ainsi que dans la ville de Bordeaux. Le procès-verbal indique qu'il « a été procédé à l'adjudication au rabais par soumission (…) des travaux à faire pour la construction d'un presbytère (…). Monsieur le maire a donné connaissance du cahier des charges. Cette lecture étant faite il a invité les personnes qui voulaient soumissionner à déposer leur soumission ». Six artisans se sont présentés avec des « rabais » allant de 6 à 11%. L'un d'eux, Lafont fils, est écarté pour n'avoir pas fourni le « cautionnement exigé par les cahier des charges ». C'est le sieur Cayret Jean qui est déclaré adjudicataire ayant offert « le plus de rabais c'est-à-dire onze pour cent ».

 

Durant toute cette période, la commune de Cénac n'aura pas plus disposé d'un instituteur que d'un curé. Lorsque Oulès arrive à la mairie, la loi Guizot a dix ans et Cénac est toujours rattaché, avec les réticences que l'on sait (supra, p.20), à sa voisine de Lignan. La demande faite en 1841 d'un instituteur pour la commune n'a pas eu de suite mais les problèmes demeurent. Le 3 août 1845, Oulès indique à son conseil qu'il « conviendrait vu l'éloignement des lieux (et) le peu de stabilité des séjours des instituteurs de la commune de Lignan (…) de faire disjoindre la commune de Cénac de celles de Lignan et de Loupes auxquelles elle est réunie pour le service de l'instruction primaire et de la réunir pour l'instruction à la commune de La Tresne ». L'unanimité du conseil est évidemment acquise à cette proposition mais apparemment, durant deux ans, rien ne se passe du côté de l'administration. Le Rubicon est franchi avec une délibération du 10 mai 1846. Le préfet se dit prêt à autoriser la commune de Cénac à se séparer de celle de Lignan « pour organiser une école en son sein ». Il est même proposé « l' allocation sur les fonds départementaux d'une subvention » si « les ressources habituelles de la commune étaient insuffisantes pour acquitter le traitement de l'instituteur et la dépense de son logement et du loyer de l'école »58. Le conseil est unanime à approuver et s'empresse d'ajouter, comme il a « dès à présent la conviction que les ressources naturelles de la commune seront insuffisantes pour faire (face?) au traitement de l'instituteur, à la dépense de son logement et de l'école, (qu') il y a lieu de réclamer à monsieur le Préfet l'allocation sur les fonds départementaux de la somme qui sera nécessaire pour parvenir aux dépenses ci-dessus ».

La suite sous la Seconde République.

 

IV. ESQUISSE D'UNE SOCIOLOGIE DES ELECTEURS CENSITAIRES

CENACAIS

 

En 1831, la moyenne du cens acquitté par les électeurs censitaires titulaires de la commune de Cénac s'élève à 66,48 francs. Elles passe en 1846 à 69,87 francs, soit une faible augmentation de 5%. Il faut cependant rappeler que, pour se conformer à la norme légale qui exige que les électeurs censitaires représentent 10% de la population, il a fallu élargir la liste des électeurs de 44 à 47 en 1840 et à 51 en 1846. Comme les électeurs sont enregistrés, rappelons-le, par ordre de cens décroissant, les électeurs ajoutés sont recrutés sur la liste des suppléants lesquels sont relativement faiblement imposés. Si l'on considère le cens le plus élevé, il est de 217,71 francs en 1831 et de 274,46 francs en 1846, soit un bond de 26%. Pour que les distributions soient comparables, il faut en égaliser le nombre de valeurs, soit 44 (comme en 1831). On constate ainsi que, pour les 44 premiers de la liste, la moyenne du cens progresse en 10 ans de 66,48 francs (1831) à 81,28 francs (1841), soit une augmentation de 22%. Les années 1843 et 1844 voient une baisse importante dont les raisons nous échappent : les électeurs sont les mêmes et les années 1840 constituent au plan national une décennie d'expansion d'économique. La moyenne remonte en 1845 pour atteindre 76,72 francs en 1846, soit une augmentation générale de 15% par rapport à 1831.

Dernière comparaison, les dix premiers de la liste (les « plus forts imposés ») de 1831 acquittent un cens moyen de 136,87 francs, il est de 159,22 francs en 1846, soit une augmentation de 16% ; les dix derniers de la liste de 1831 acquittent un cens moyen de 27,09 francs, en 1846 (ils ne sont plus les derniers, il y en a sept derrière eux), il est de 32,84 francs, soit une progression de 21%. Si l'on veut bien considérer que l'impôt payé est un marqueur de la richesse du contribuable, il apparaît que cette période est caractérisée par un enrichissement général, pour ce qui est de cette petite commune de l'Entre deux mers, aussi bien des « gros » propriétaires que de la « petite bourgeoisie » des artisans et des commerçants.

 

Le statut social des électeurs censitaires n'est pas toujours facile à établir dans la mesure où la mention « propriétaire », souvent employée, ne renvoie à rien de précis même si, par quelques recoupements, on parvient à identifier tel « propriétaire » comme étant un boulanger ou tel autre un vigneron. Les distributions des valeurs des cens dont nous disposons ne sont pas statistiquement ordonnées de façon « normale », c'est-à-dire que ces valeurs ne se répartissent pas harmonieusement de part et d'autre de la moyenne. On peut y observer par contre une constante : selon les listes, 33 à 38% des valeurs se situent au-dessus de la moyenne, donc 62 à 67% au-dessous, soit, grossièrement, une partition 1/3 et 2/3. Concrètement, on obtient ainsi une liste, selon les années, de 16 à 19 noms (le premier tiers) dont on peut considérer qu'ils constituent, en ce temps, la classe des riches du village. On ne sera pas étonné que, outre l'appellation passe-partout de « propriétaire », les mentions les plus fréquentes soient ici « négociant » (il y en a toujours trois ou quatre) et « rentier ». On trouvera également un curé, un courtier, un « constructeur », un restaurateur, un « fondeur », un pharmacien, un médecin, un « officier de santé »59, un juge de paix, un greffier, deux avoués et un capitaine de navire. Un bel assortiment de citoyens capacitaires tels qu'imaginés par Guizot.

Les deux autres tiers des électeurs censitaires sont constitués de petits et moyens propriétaires qui n'en sont pas moins, souvent, artisans et commerçants. Les activités artisanales (ou salariées) les plus répandues sont alors celles de tonnelier et de charpentier qui comptent toujours plusieurs représentants. Etrangement, on trouve jusqu'à quatre ou cinq boulangers parmi les censitaires cénacais mais un seul, Jean Larquey, réside à Cénac et les autres à Camblanes, Latresne et « Bouillac ». D'autres professions artisanales auront eu au moins un représentant : chaudronnier, verrier, batelier, tisserand, vinaigrier, charron, potier (lequel réside à Sadirac, bien entendu). On compte aussi un « voiturier », Jean Serven, présent tout au long de ces années, généralement en fin de liste et dont l'activité est la conduite de véhicules hippomobiles ou par eau. On notera également deux forgerons dont l'un, Jean Thillac, est désigné en 1846 comme « taillandier », c'est-à-dire spécialisé dans la fabrication des outils tranchants. Du point vue du commerce, on trouve trois « marchands », de bois, de cuir et de papier, un épicier et un quincailler auxquels il faut ajouter l'honorable profession d'aubergiste-cabaretier, les deux appellations étant, sur les listes, interchangeables, avec deux représentants. On ajoutera quelques présences insolites dans cette partie de la liste des censitaires : un médecin, un pharmacien, un capitaine de navire, un marin. Il s'agit en fait de personnes disposant à Cénac d'un petit bien, suffisant pour y être électeur, mais n'y résidant pas et certainement propriétaires ailleurs : le médecin habite Tonneins (!), le pharmacien et le capitaine de navire Bordeaux et le marin Latresne. En 1846, apparaît le curé Bourgoin, nouvellement nommé à Cénac, et qui occupe une modeste 42ème place (sur 51).

Les activités proprement agricoles sont assez mal définies, comme si elles allaient de soi. Le terme « cultivateur » est employé deux fois en 1840, et, encore, pour des électeurs suppléants qui se verront requalifiés « propriétaires » en 1841 puis, au moins pour l'un d'eux, « vigneron » en 1843 et même « propriétaire vigneron » en 1846. Le terme « laboureur » apparaît trois fois en 1834 pour deux électeurs titulaires et un suppléant ; il ne sera pas réutilisé, les trois noms disparaissant de la liste suivante : le mot « laboureur » désignait sous l'Ancien Régime des paysans plutôt bien considérés et disposant de leur propre attelage et de leurs propres instruments aratoires pour travailler la terre. Enfin, le terme « vigneron », qui est courant dans les actes de l'état-civil, fait son apparition seulement sur la liste de 1844 pour désigner quatre électeurs tous suppléants. En 1846, l'un disparaît de la liste, deux ne sont plus désignés que comme simples propriétaires et le quatrième comme « propriétaire vigneron » après avoir été « cultivateur » en 1840 (voir plus haut). On peut penser que les « vignerons » en question sont de petits propriétaires viticulteurs amenés à se louer une partie de l'année chez de plus gros propriétaires.

 

Il reste un point à examiner : le lieu de résidence des membres de ce qui est tout de même le corps électoral municipal. Pour ce qui est du tiers supérieur que nous avons désigné comme constitué des plus riches de la commune, ils sont généralement moins de la moitié à être domiciliés à Cénac et habitent Bordeaux la plupart du temps. Seules exceptions, 1844 où 10 résident à Cénac et 7 à Bordeaux et 1846 où ils sont 9 contre 6, mais en 1831, 1834, 1840, 1841, 1843 et 1845, les Bordelais sont majoritaires avec l'appoint de deux autres non-résidents, le boulanger Laumet de « Bouillac » et le « marchand de papier » Ducos qui habite rien moins que la Martinique. On peut penser que cette situation pèse sur l'administration municipale et, par exemple, régulièrement convoqués lors de la discussion des budgets, les « plus forts imposés » demeurant à Bordeaux ne se présentent pratiquement jamais, hormis le « fondeur » Ampoulange qui, d'ailleurs, va emménager à Cénac avant 1840 ; il est vrai que les « riches » cénacais eux-mêmes ne se bousculent pas pour participer à ces réunions.

Pour ce qui est des autres censitaires municipaux, ils sont juste la moitié à être domiciliés à Cénac en 1831 et 1834, sauf que les non-résidents ne comptent que 4 ou 5 Bordelais, les autres étant dispersés, un ou deux à chaque fois, sur les villages voisins : Bouliac, Camblanes, Lignan, Carignan, Latresne, Sadirac et Meynac. En 1840 apparaît une première inflexion avec l'élargissement de liste de 44 à 47 électeurs. Le nombre de résidents cénacais de cette partie de la liste augmente et passe à 58%. Le phénomène est accentué avec le passage à 51 électeurs et dès lors le pourcentage de Cénacais dans cette partie du corps municipal sera constamment de 60%. Ce qui signifie que moins on paye d'impôts et donc moins on est riche plus on est alors domicilié dans sa commune, ce qui est l'inverse du premier tiers où plus on est riche moins on réside à Cénac. En totalisant séparément les deux ensembles résidents et non-résidents, on se rend compte que, en 1831 et 1834, le conseil municipal est élu par un corps électoral où les résidents dans la commune sont minoritaires (47%). Ce n'est qu'à partir de 1840 qu'ils deviendront définitivement majoritaires (52 à 58%).

 

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

 

La démocratie censitaire villageoise, vue à travers les documents officiels de l'activité municipale, n'a pas bouleversé le cadre traditionnel de la communauté rurale. Le vote est certes institutionnalisé comme pratique normale de désignation des conseillers municipaux mais c'est bien le maire, nommé par le préfet, qui détient la réalité du pouvoir. Par ailleurs la participation souvent médiocre aux différents scrutins peut paraître décevante venant d'un électorat choisi.

On ne retrouve ni le modèle de Maurice Agulhon d'une « descente » de la pratique politique des élites urbaines vers les masses rurales, ni le modèle de Christine Guionnet d'un vote identitaire fondé sur le sentiment communautaire. Lorsque trois notables légitimistes sont officiellement sanctionnés pour leur refus de prêter serment à Louis-Philippe, ils sont rapidement réintégrés dans la vie municipale, soulignant l'absence d'interférences des options politiques avec la conduite des affaires de la commune. Cet « apolitisme » est cependant, si on peut dire, à sens unique et l'on a vu à quel point le discours des édiles pouvait être conforme à la doxa orléaniste. Quant au « sentiment communautaire », il est mis à mal avec la crise municipale de 1845 aboutissant à la dissolution du conseil municipal à la suite de dissensions latentes mais sans doute réelles, mises en avant par le maire, entre propriétaires et artisans. Il est cependant significatif de constater que cette petite rébellion organisée contre les (gros) propriétaires fait long feu. Les élections suivantes confirment le retour à l'ordre communal : le suffrage censitaire ici, comme sans doute ailleurs, ne fait que confirmer et renforcer la notabilisation du pouvoir communal au profit des plus aisés.

La gestion municipale, à partir de 1837, se fonde sur les principes libéraux orléanistes avec nombre de transactions aboutissant de fait à la liquidation des biens communaux afin d'alimenter le budget municipal, en particulier le poste primordial de la réparation et entretien des chemins publics. On notera que le renforcement de la responsabilité du maire, voulu par la loi de 1837, fait assumer à celui-ci un souci de la gestion pouvant conduire à une relative autonomie dans la conduite des affaires communales. Cela, et c'est nouveau, peut aller jusqu'à la contestation, de la part du maire, de décisions ou de dispositions de l'autorité qui l'a nommé. Enfin, on ne peut que constater l'efficacité incertaine de cette gestion si l'on considère que, à l'orée de la Seconde République, la commune de Cénac, malgré de multiples projets, n'a toujours ni presbytère ni maison d'école.

 

Les sources disponibles nous ont permis d'aller dans le détail de cette petite histoire municipale et si ce travail avait la prétention de s'inscrire dans un domaine historiographique, ce serait sans aucun doute celui de la microhistoire définie comme « observation intensive d'un segment limité du monde social », ici le village. L' « échelle micro » fait apparaître un objet historique spécifique qui ne se réduit pas à une simple contribution à la « connaissance d'ensembles plus larges »60 mais ne dispense nullement, bien entendu, de contextualiser les faits observés, ce que nous nous sommes constamment efforcés de faire.

Enfin, le niveau d'observation peut permettre d'approcher la vie et les comportements de ces gens ordinaires -petites gens ou « gens de peu » comme on dit parfois avec une condescendance qui se veut bienveillante61- qui sont le plus souvent sans archives mais pas sans histoire. La deuxième partie leur sera, autant qu'il est possible, consacrée.

 

(Fin de la première partie)

 

 

 

 

Société archéologique et historique du canton de Créon, n°6, 2012.

Société archéologique et historique du canton de Créon, n°7, 2013.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1Ce travail repose sur un dépouillement exhaustif des délibérations, arrêtés et procès-verbaux divers conservés dans les registres municipaux que Jean-Marc Constantin, archiviste municipal, que je remercie ici, a mis à ma disposition. Cette source a été complétée par un ensemble d'informations concernant Cénac recueilli aux Archives départementales de la Gironde, particulièrement dans les séries M et V.

2André Jardin, André-Jean Tudesq, La France des notables. 1815-1848, Seuil, NHFC, 1973.

3Jacques Dupâquier, Histoire de la population française, 3, de 1789 à 1914, Quadrige PUF, 1995.

4Philippe Vigier, La monarchie de Juillet, PUF, 1965.

5Hervé Robert, La monarchie de Juillet , PUF, 1994.

6 Hervé Robert, ouvr. cité, p.124.

 

7André-Jean Tudesq, Bordeaux au XIXème siècle, FHSO, 1968, p.63.

8Alfred Charles, La révolution de 1848 et la Seconde République à Bordeaux et dans le département de la Gironde,

Editions Delmas, 1945, p.2.

9Gérard Loustalet-Sens, La municipalité de Cénac sous la Restauration et au début de la monarchie de Juillet, SAHCC, 2010.

10Cité par Tudesq, ouvr. cité, p.95.

11La rue Blanqui à Bacalan rappelle-t-elle cet Adolphe ou son frère cadet, Auguste, l'Enfermé aux 37 ans de prison, qui sera aussi élu à Bordeaux une trentaine d'années plus tard ?

12Christine Guionnet, L'apprentissage de la politique moderne. Les élections municipales sous la monarchie de Juillet, L'Harmattan, 1997.

13Christine Guionnet, ouvr. cité, p.43.

14André Neurisse, Histoire de la fiscalité en France, Editions Economica, 1996, p.54.

15André Neurisse, 2 000 ans d'impôts Sides, 1995.

16Nicolas Delalande, Alexis Spire, Histoire sociale de l'impôt, La Découverte, 2010, p.15.

17Nicolas Delalande, Les batailles de l'impôt . Consentement et résistance de 1789 à nos jours, Seuil, 2011.

18Cité par Michel Offerlé, Un homme, une voix ? Histoire du suffrage universel, Gallimard, 1993.

19Pierre Rosanvallon, Le moment Guizot, Gallimard, 1985.

20Pierre Rosanvallon, ouvr. cité, p.91.

21Pierre Rosanvallon, le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Gallimard, 1992, p.113.

22Pierre Rosanvallon, Le moment Guizot, ouvr. cité, p.130.

23Pierre Rosanvallon, Le peuple introuvable.Histoire de la représentation démocratique en France, Gallimard, 1998.

24Pierre Rosanvallon, Le moment Guizot, ouvr. cité, p.130.

25Le sacre du citoyen, ouvr.cité, pp.352, 356.

26Un homme, une voix ? ouvr. cité, p.18.

27Raymond Huard, Le suffrage universel en France. 1848-1946, Aubier, 1991.

28Maurice Agulhon, La République au village, Seuil, 1979, p.264.

29Maurice Agulhon, ouvr. cité, p.269.

30Alain Garrigou, Le vote et la vertu. Comment les Français sont devenus électeurs, Presse de la FNSP, 1992.

31Christine Guionnet, ouvr. cité, p.11.

32Compte-rendu de Jean-Louis Ormières, Annales, Histoire, Sciences sociales, n°4, volume 57, 2002.

33Max Weber, Economie et société, Plon, 1971, p.575.

34Gérard Loustalet-Sens, art. cité.

35Pour l'écriture des nombres nous utiliserons l'usage moderne en sachant que, en ce XIXème siècle, le point est employé pour écrire les nombres décimaux et la virgule pour séparer les mille.

36Les listes d'électeurs censitaires de la monarchie de Juillet sont disponibles aux Archives départementales de la Gironde dans la sous-série 3 M (Plébiscites, élections) : 3 M 513 à 3 M 606 dans l'ordre alphabétique des communes, 3 M 533 pour Cénac. Cependant certaines communes, par exemple Créon, en sont absentes.

37Pierre Tanchoux, Les procédures électorales en France de la fin de l'Ancien Régime à la Première Guerre mondiale, Editions du CHTS, 2004, p.369.

38 Les résultats électoraux sont disponibles dans la sous-série 3 M 533, désignée ci-dessus, des Archives départementales. Certains apparaissent également dans les registres municipaux des Archives municipales de Cénac mais ne concernent la plupart du temps que des élections partielles. Dans ces dernières, on trouve régulièrement les procès-verbaux d'installation et de prestation de serment des nouveaux maires et conseillers.

39Préface à Christine Guionnet, ouvr. cité, p. III.

40Registres municipaux (Arch. mun. Cénac), procès-verbal du 19 octobre 1834.

41Cette lettre est conservée aux Archives départementales mais nulle copie n'en existe dans les registres municipaux.

42Ce morceau d'anthologie est d'ailleurs conservé aussi bien dans les Archives départementales (3 M 533) que dans les registres municipaux (procès-verbal du 18 avril 1841).

43Ce regain de participation est général . Il serait dû, selon Christine Guionnet, à un renforcement de l'opposition républicaine (ouvr. cité, pp.236-237). Rien ne permet de dire si cela concerne un électorat rural comme celui de Cénac.

44Christine Guionnet, ouvr. cité, p. 241.

45Nous avons jusqu'ici utilisé la médiane, plus commode pour une simple dichotomie des valeurs des cens versés ; cependant, la moyenne, comme nous le voyons ici et comme nous allons le voir plus loin, est une donnée beaucoup plus instructive.

46Christine Guionnet, ouvr. cité, p.84.

47Ouvr . cité, p.298.

48Dans la deuxième partie nous examinerons dans ces dispositions quelques détails intéressants pour la connaissance de la sociabilité villageoise du temps.

49Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale. Les biens communaux en France 1750-1914, Publications de la Sorbonne, 1998. p.222.

50Nadine Vivier, ouvr. cité. p.13.

51Une délibération du 1er novembre 1843 aurait été à cet égard très éclairante si le procès-verbal n'en était, malheureusement, indéchiffrable.

52Gérard Loustalet-Sens, art. cité.

53Arch. départ. de la Gironde, sous-série 2 V 270, Doyenné de Créon (1804-1853).

54Marie et Jean-Marc Constantin, l'école communale de Cénac, Dossiers du GRHIL, 2007 (Disponible à la Bibliothèque de Cénac).

55Le classement des chemins ruraux n'est pas requis par la loi de 1836.

56Nadine Vivier, ouvr. cité. p.302.

57Arch. départ. de la Gironde, sous série 2 V 270.

58Texte intégral de la délibération dans Marie et Jean-Marc Constantin, document cité, p.57.

59Cette catégorie de soignants s'est développée en urgence sous la Révolution. En 1803, est défini un titre dénommé « certificat d'officier de santé » constituant une sorte de « second ordre des médecins ». Peu qualifiés, « conscients de leurs insuffisances et humiliés d'être mal récompensés de leurs efforts, ils ne garantissaient à la grande majorité de la population qu'une médecine au rabais » (Jacques Dupâquier, Histoire de la population française, ouvr. cité, pp.312-313).

60Jacques Revel, article « Microstoria », dans C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia et N. Offenstadt (dir.), Historiographie I. Concepts et débats, Folio Histoire, 2010, pp.531-532.

61Pierre Sansot, Les gens de peu, PUF, 1991.