Archéologie de l’islamo-gauchisme
Quand on y pense : le Conseil national de la Recherche scientifique (CNRS) a dû se fendre, contre la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, d’un communiqué rappelant que « l’islamo-gauchisme, slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique » et condamnant « en particulier la tentative de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études post-coloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race » ou tout autre champ de la connaissance » (27.02.2021) !… Un moment fondateur de cet usage politique a été, en 2006, la publication dans le Figaro d’un article d’un obscur professeur de philosophie, Robert Redeker, violemment anti-musulman, texte jugé alors « stupide, politiquement irresponsable, intellectuellement inconsistant et par ailleurs d’une grande faiblesse » par Justin Vaïsse, éminent spécialiste des relations internationales (Wikipédia, article Redeker). La chose serait peut-être passée inaperçue si de dangereux crétins ne s’étaient avisés d’adresser à Redeker des menaces de mort aussi imbéciles qu’alarmantes. L’occasion était trop belle et une vaste campagne se développa dans des cercles intellectuels bien pensants où l’islamophobie latente put enfin trouver un exutoire précieux préservant, opportunément autant qu’hypocritement, leur bonne conscience antiraciste… Caroline Fourest, tête de gondole de ce genre de cabale, parla même de fatwa avant d’admettre un approximation…
Un peu dépassé par la croisade qu’il avait initiée sans le vouloir, Redeker s’en tira heureusement fort bien et se vit offrir au CNRS le poste qu’il convoitait ce qui lui permet aujourd’hui de célébrer le dernier pamphlet de Zemmour comme un « livre d’amour et de fierté (sic) » (FigaroVox, 21.10.2021). La rencontre n’est pas fortuite et dévoile le fond de l’affaire : « l’Islam se présente, à l’image du défunt communisme, comme une alternative au monde occidental » disait Redeker en 2006 (cité par Shlomo Sand, p.245). L’Islam et non l’islamisme : c’est ce que clame Zemmour. Sous les espèces d’un « monde occidental » paré de toutes les vertus, on sait bien qu’il s’agit de servir avec zèle un capitalisme mondialisé dont la réalité est la cupidité, la prédation, la brutalité depuis plusieurs siècles ! Derrière les buschistes Glusksmann, Bruckner, Goupil, Redeker était bien entendu un soutien farouche de la guerre américaine en Irak (2003-2011), violente, cruelle, mensongère et qui accoucha de Daesh ! On se rappelle que même le pouvoir chiraquien refusa de l’accompagner, qu’on se souvienne du discours de Villepin à l’ONU… Ainsi, les « progressistes » (ce terme est désormais honni dans la nouvelle doxa dominante) n’auraient de cesse de recruter en lieu et place du « communisme » un Islam censé leur fournir un nouveau « prolétariat » pour abattre l’« Occident » ! Scénario grossier, conspirationniste et délirant où, comme dit encore Redeker, « des intellectuels incarnent l’oeil du Coran comme ils incarnaient l’oeil de Moscou ». Tout en finesse ! A la fin du siècle dernier, un théoricien de l’extrême-droite très écouté, Dominique Venner, imaginait, dans une sorte de délire paranoïde (athée, il vient de se suicider à l’intérieur de Notre Dame!) que les immigrés étaient un moyen utilisé par les communistes pour détruire l’Occident. Serge Klarsfeld remarque pour sa part qu’existe à l’AfD, le parti d’extrême-droite allemand, des gens favorables à la réhabilitation d’Hitler pour sa « lutte anticommuniste et la prétendue défense de la civilisation occidentale menées par le régime nazi » (l’Humanité, 28.12.2021). Rappelons qu’après-guerre, il s’est trouvé des historiens allemands pour expliquer que l’antisémitisme nazi était une réaction logique pour ne pas dire normale à la participation de Juifs à la Révolution communiste. Où l’on retrouve le judéo-bolchevisme !
Ainsi, de la « juiverie bolchevisée » des années 30 à l’islamo-gauchisme d’aujourd’hui en passant par le « marxisme apatride » et le « parti de l’étranger » des années 50, c’est toujours la même rhétorique qui vise à intimider, en particulier les intellectuels et à traquer les traîtres à la nation. Juifs, communistes, musulmans, immigrés, « gauchistes », etc. sont confondus dans une même haine inexpiable. La pathologisation va en être une tournure rhétorique très prisée sous la forme d’un mal sournois qui va infiltrer, « infecter » la société à commencer par l’université : la LICRA parle d’un « poison dangereux » et même, n’étant pas à un cliché près, d’« embrigadement de la jeunesse » ; le « philosophe » officiel Raphaël Enthoven dénonce une « peste »… Ce n’est pas tout…
NIR 272. 30 décembre 20121