Lilian Thuram a raison
La célébration globale, inconditionnelle et scolaire des Lumières doit être questionnée. Lilian Thuram a raison. Voltaire aime ainsi suggérer que dans les pays chauds les « filles » copulent avec des singes (Essai sur les mœurs; Candide, ch.16). La condamnation de principe de l’esclavage par Montesquieu dans l’Esprit des lois n’est pas universelle: l’esclavage est juste dans les pays « despotiques » où les hommes libres ont avantage à se placer sous la protection d’un maître (L.XV, 6) et nécessaire dans ces« pays où la chaleur énerve le corps et affaiblit si fort le courage que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment: l’esclavage y choque donc moins la raison » (L.XV, 7). L’esclavage est inutile en Europe, « il faut donc borner la servitude naturelle à de certains pays de la terre » (L.XV, 8). Quant à la fameuse ironie (rare chez M.) à propos de « l’esclavage des nègres » (L.XV, 5), on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une astuce rhétorique pour s’éviter de condamner formellement la traite négrière. M., en outre, n’envisage pas l’abolition et multiplie les conseils aux maîtres d’esclaves pour le maintien de l’ordre public (L.XV, 13 et 16). Il recommande la plus grande prudence dans l’affranchissement des esclaves (L.XV, 18 et 19). Comment ne pas s’étonner enfin qu’il ne dise pas un mot du Code Noir élaboré par Colbert en 1685? On a pu dire que M. avait manqué de fermeté et de courage face à l’esclavage colonial. Voire qu’il l’a justifié. Cette interprétation est fondée. Elle repose sur la stupide « théorie des climats » (L.XIV). M. élabore une anthropologie pseudo scientifique où les peuples des « climats chauds » sont constamment décrits comme paresseux, lâches, immoraux et voués à la servitude. Par exemple, au L.XVII, 2, « il ne faut donc pas être étonné que la lâcheté des peuples des climats chauds les ait presque toujours rendus esclaves, et que le courage des peuples des climats froids les ait maintenus libres ». Il y a ici la matrice d’un ethnocentrisme européen dont les peuples des « climats chauds » sont les victimes depuis au moins quatre siècles. Décidément, Lilian Thuram a bien raison!
Lettre au Nouvel Observateur (non parue)