« Etranges étrangers »
Dans ma réponse à Vincent Bordas (les Nouvelles, 14.07.2016), j' ai commis une errreur de citation que je ne parviens pas à me pardonner. J'ai attribué à Aragon la belle expression « Etranges étrangers ». Il aurait pu l'écrire. Je pensais bien sûr à L'Affiche rouge : « Vingt-et-trois étrangers et nos frères pourtant »... Mais c'est évidemment le titre d'un magnifique poème de Prévert. Je l'ai retrouvé dans le volume intitulé La pluie et le beau temps (1955). A titre de réparation je rappelle ce texte poignant, juste et fraternel.
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d'Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désoeuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finisterre
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d'une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
(…)
Etranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez
11 septembre 2016