Et l'islamophobie ? Réponse à Vincent Bordas
Je dois d'abord remercier Vincent de l'intérêt qu'il accorde à mes chroniques. Ses désaccords avec mes analyses sont parfaitement honorables et recevables. Sauf peut-être lorsqu'ils semblent relever d'une étrange connotation morale. Ainsi cette série de chroniques aurait commencé la semaine des attentats de Bruxelles. Je l'apprend. Mais que signifie cette remarque ? La terreur doit-elle suspendre toute réflexion ? La phrase conclusive du texte de Vincent est extrêmement ambiguë : évoquant une « complaisance » avec les islamistes, cela semble suggérer que peut-être je n'en serais pas exempt ! Incrimination inacceptable.
Sans doute me suis-je mal fait comprendre, mais le thème de ces chroniques n'était ni l'islam, ni l'islamisme, ni même la laïcité. Je rappelle que l' expression « laïcité falsifiée » est empruntée à Jean Baubérot dont je partage entièrement la conception d'une laïcité qui n'est ni de posture ni caricaturale. Mon propos portait sur l'islamophobie, un terme qu'apparemment V. veut ignorer. Il y a deux niveaux d'islamophobie : une islamophobie vulgaire, banal racisme anti-arabe, qui va du Front national à Mme Badinter et une islamophobie savante incarnée par M. Gilles Kepel. J'ai critiqué la navrante complaisance de l' interview de ce dernier dans l'Humanité, l'absence de distance de la journaliste. Cela a peut-être chagriné V. alors que l'Huma, elle, a élégamment publié le courrier que je lui ai adressé à ce propos. Ce que j'ai voulu (dé)montrer dans ces chroniques, c'est que l'islamophobie est un piège idéologique visant à diviser les opprimés en ethnicisant les rapports sociaux, à faire primer le religieux sur le social, à faire disparaître les luttes de classes sous de prétendus affrontements de religion. Il ne faut à aucun prix entrer dans ce jeu-là !
Je suis enfin perplexe devant la lourdeur avec laquelle V. insiste sur ma prétendue « science ». Certains pourraient y trouver un relent assez désagréable d'anti-intellectualisme... Je n'ai pas de science particulière, puisqu'il faut le préciser, mais lorsque je veux traiter un thème je m'informe, je me documente, ce que les journalistes, travaillant le plus souvent dans l'urgence, comme on sait, n'ont pas toujours le temps de faire. M'opposer alors Charlie, des journalistes algériens ou une petite fille en pleurs n'est ni très pertinent, ni très honnête... C'est privilégier la dictature de l'émotion aux dépens de l'analyse rationnelle mais je ne veux pas croire un seul instant que V. adhère à la doctrine Valls selon laquelle chercher à expliquer et à comprendre, c'est déjà « excuser » les terroristes.
La réflexion rationnelle a une autre vertu, celle de permettre de dépasser la réaction épidermique, irréfléchie, que nous avons tous éprouvée, à un moment ou à un autre (moi y compris) devant des accoutrements vestimentaires que nous vivons comme des agressions symboliques... « Etranges étrangers », disait Aragon...
Paru dans les Nouvelles, 14 juillet 2016