Racisme d'Etat et tradition républicaine V

Selon un sondage IFOP bienvenu et claironné en « une » par le journal Le Monde (05.01.2011), 42% des Français considèreraient « l’islam » comme une menace pour « l’identité du pays »... Comme si cette notion d’« identité » allait de soi, ce qui est accepter sans débat la problématique sarkozyste. Etrangement, dans le corps de l’article, il ne s’agit plus d’islam mais de « communauté musulmane». Le «quotidien de référence» accrédite ainsi la nouvelle idée reçue qui, par glissements successifs, fait passer de la « communauté musulmane » à l’islam, puis à l’intégrisme, puis au terrorisme... V oilà qui devrait réjouir nos désolants rhéteurs « républicains », les Finkielkraut, les Taguieff, qui voudront y voir la confirmation, voire le résultat, de leurs prêches islamophobes. Heureusement, il y a des intellectuels -d’une autre dimension, il est vrai- qui s’inquiètent de cette régression morale et citoyenne. Le grand philosophe allemand Jürgen Habermas s’alarme d’une « Europe malade de la xénophobie » et remarque qu’il n’y a là rien de spontané : « les stéréotypes habituels ont brusquement quitté le comptoir des bistros pour prendre d’assaut les talk-shows et investir le discours des hommes ou des femmes politiques les plus en vue, pressés de séduire un électorat potentiel tenté par la dérive droitière (...). Ce qui constitue une véritable source d’inquiétude c’est que des politiciens peu scrupuleux soient en train de découvrir qu’ils peuvent distraire les angoisses de leurs électeurs en les incitant à l’agression ethnique » (Le Monde, 1-2-3.01.2011).

Habermas parle de l’Allemagne, mais c’est sans doute pire en France. Ainsi que le remarque l’anthropologue Douna Bouzar, « en présentant l’intégrisme comme application littérale de l’islam, on valide la définition de l’islam défendue par les intégristes » (Sud-Ouest Dimanche, 09.01.2011). Mais qui est donc ce « on » qui instrumentalise ainsi l’intégrisme islamique à la fois pour tenter de détourner l’attention de sa politique de massacre de l’Etat social et pour renforcer l’appareil de répression contre le mouvement social? Le pouvoir sarkozyste a instauré une véritable xénophobie d’Etat par des mesures dont Jacques Rancière, un de nos derniers grands intellectuels, dresse une liste non exhaustive dans une tribune de Libération : « Restriction à l’entrée du territoire ; refus de donner des papiers à des gens qui travaillent, cotisent et payent des impôts en France depuis des années ; restriction du droit du sol ; double peine ; loi contre le foulard et la burqa ; taux imposés de reconduites à la frontière ; démantèlement de campements de nomades » (www.liberation.fr, 05.01.2011). Sur ce dernier point, Laurent El Ghozi remarque judicieusement que « la construction d’une problématique rom (...) sert également le besoin de ce gouvernement de construire une population bouc émissaire stigmatisée pour justifier des mesures de plus en plus répressives qui finiront par toucher tout le monde » (L’Humanité, 08.01.2011). Rancière indique enfin que ces mesures xénophobes sont « appuyées par une campagne idéologique justifiant cette diminution des droits par l’évidence d’une non-appartenance aux traits caractérisant l’identité nationale ». Le sondage cité plus haut ne reflète pas une opinion publique spontanée mais est le résultat d’une opération délibérée de manipulation de cette opinion.

Il reste que cette opération semble fonctionner. Gérard Noiriel, dans un ouvrage par ailleurs essentiel, affirme que « la stigmatisation des musulmans dans la France actuelle ne s’explique pas par l’imaginaire colonial mais par les discours d’actualité sur le terrorisme islamique » (Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXème-XXème siècle), Pluriel, 2007, p.686). Le désaccord avec Pascal Blanchard est patent. Pour Noiriel, « depuis la fin du XIXème siècle, les représentations négatives des immigrants ont été élaborées dans les rubriques sociale, politique et internationale des grands journaux ». C’est, me semble-t-il, accorder beaucoup de crédit à des journalistes dont les « représentations négatives des immigrants » n’ont pas surgi de nulle part et n’ont pu tirer leur crédibilité que des représentations négatives des colonisés élaborées tout au long du XIXème siècle et au-delà par la République coloniale.

10 janvier 2011