Racisme d'Etat et fracture coloniale III
On ignore encore trop la violence du racisme colonial institutionnel sous la IIIème République. Une forme achevée en est ce qu’on a appelé le Code de l’Indigénat. L’expression n’est pas officielle mais les dispositions qu’il contient relèvent de discriminations parfaitement légales, adoptées en 1881, généralisées en 1887. L’infériorité des « indigènes » est officialisée en les distinguant commesujets français et non citoyens français. Leur statut est fait essentiellement de sanctions et d’interdictions, d’infractions spécifiques : réunion sans autorisation, départ de la commune sans permission de l’autorité, acte irrespectueux, propos offensant vis-à-vis d’un agent de l’autorité même en dehors de ses fonctions, etc. Les condamnations tombent : amende, internement, confiscation, déportation et cette particularité des sanctions collectives infligées aux tribus ou aux douars. La CGT-U parlera, en 1932, de Code d’esclavage. Officiellement aboli en 1946, ce régime perdurera, dans la réalité, en Algérie, jusqu’en 1962. Une étrange disposition est aujourd’hui bien intéressante : en 1903, la cour d’Appel d’Alger statua que la terme musulman « n’a pas un sens purement confessionnel mais qu’il désigne au contraire l’ensemble des individus d’origine musulmane» (www.ldh-toulon.net). Un statut ethno-politique que l’on voit resurgir comme amalgame stigmatisant.
On ne dénoncera jamais assez l’hypocrisie coloniale célébrant et bafouant à la fois l’universalisme supposée des valeurs républicaines. On se revendique de l’universalité proclamée de la raison blanche et européenne pour « prendre possession » (et non spolier) et « mettre en
valeur » (et non exploiter) des contrées entières que l’on déclare en friche et libres de tout droit. On le fait dans l’intérêt du genre humain face à des races inférieures, indolentes et barbares qui laissent sans emploi les « richesses que Dieu leur a confiées ». Face à la « passion de l’universel » qui serait, ma chère, tellement française, les droits des indigènes ne sauraient être que l’expression méprisable d’intérêts particuliers rétrogrades. C’est donc au nom de l’humanité toute entière qu’on les refoulera, au besoin par la force. On ressuscitera la « théorie des climats » car on sait, depuis Montesquieu, que le climat « a naturalisé la servitude chez les peuples du midi » et que « tous les peuples du midi sont en quelque façon dans un état violent s’ils ne sont esclaves » (De l’esprit des lois, Livre XXI, Chap. III).
L’universalisme revendiqué ici n’est qu’un ethnocentrisme arrogant tandis que l’authentique universalité des droits humains est délibérément foulée aux pieds. On n’hésitera pas à proclamer, comme Jules Ferry, que la Déclaration des droits de l’homme ne sauraient s’appliquer à des êtres inférieurs, sauvages et incapables, dépourvus de qualités morales, d’instruction, de religion... Non seulement ils en sont indignes mais toute autre conduite à leur égard serait dangereuse. Selon Albert Sarraut, ministre des colonies en 1931, en « donnant aux autochtones des pouvoirs et des libertés dont ils ne sauraient se servir, nous les replongerions dans l’anarchie d’où nous les avons tirés » (cité par Olivier La Cour Grandmaison, o.c., p.141).
Toute cette rhétorique va finalement converger dans une récusation assumée de l’enseignement des Lumières. Etant donné les différences irréductibles des « races », les droits de l’homme et les principes d’égalité et de liberté doivent être considérés comme des « abstractions dangereuses ». Les idéologues coloniaux n’auront de cesse de répudier le « sentimentalisme égalitaire », la «conception égalitariste » de la Révolution française. Vieille recette : les libéraux d’aujourd’hui pour s’en prendre à l’égalité parle d’égalitarisme! On dénonçait aussi Rousseau et la « sensiblerie rousseauiste » qui relèverait d’un « humanitarisme » délétère de la même façon qu’aujourd’hui tenter de comprendre la situation des jeunes de banlieue ne serait que de « l’angélisme »! Ces gens là, nous dit-on, ne connaissent que la force. Exactement comme ces « indigènes » qui ne pouvaient que s’incliner devant la puissance des Européens, une « race forte » qui serait parvenu, ainsi que le claironnait imprudemment Albert Sarraut, « à courber à jamais la multitude infini des races de couleur » (cité par OLCG, o.c., p.217)
21 février 2011