Racisme d'Etat et fracture coloniale IV

Encore quelques mots sur les origines coloniales du racisme contemporain. Les nostalgiques et les apologistes actuels de la colonisation véhiculent toujours, plus ou moins consciemment, les fantasmes cultivés « scientifiquement » entre les deux guerres. En particulier tout ce qui relève de ce qu’Olivier Le Cour Grandmaison appelle ledarwinisme impérial. Il ne manqua pas d’élucubrations savantes pour démontrer combien la « force expansive » des Européens et particulièrement des Français, races fortes « placées au faîte de l’humanité », a besoin d’« espace vital » (Hitler n’a pas inventé la chose!). Et cela au nom de « l’instinct de conservation », de « la sélection naturelle » et de « la lutte pour l’existence ». Les « races » doivent entrer en concurrence, seules les plus fortes survivront et, au nom de la science, on peut envisager sans scrupules excessifs la disparition, voire l’extermination de peuples et de « races » inutiles au progrès du genre humain. Il ne s’agit pas de théories nazies mais de conclusions pseudo-scientifiques élaborées par des élites intellectuelles et académiques de l’entre deux guerres. Elles entraînent en outre une complète indifférence face aux souffrances suscitées, une « insensibilité à la misère, à l’oppression, à l’exploitation, voire à la mort de milliers d’hommes réputés inférieurs » (OLCG, p.222). Indifférence et insensibilité que l’on retrouve aujourd’hui face à la souffrance et au désespoir des migrants et des sans-papiers.

Le thème de l’identité nationale a aussi des fondements dans le racisme colonial. Dans les années 1920 et 1930 des préoccupations se font jour concernant la nécessité de « préserver la pureté du sang français » et l’intégrité de la race. On s’inquiète de mélanges qui abâtardiraient le « sang français ». On fait appel à la psychologie pour doctement affirmer que le « métissage » donne des « produits » de qualité inférieure. Il faut défendre notre race et l’esprit de finesse et le sens de la mesure qui la caractériseraient. C’est bien ce qu’entend aujourd’hui un Gérard Longuet, facho mal repenti, avec son balourd « corps français traditionnel »... et pétainiste! Sans compter les tares et les maladies, la syphilis, la tuberculose, que nous transmettraient des indigènes à la santé physique et morale dégradée. Et tout particulièrement ces Africains du Nord dont, dès 1920, le nombre alarme les bons esprits hantés par l’image de l’invasion, du «flot montant», d’indigènes étrangers à nos coutumes et à notre civilisation : « l’immigration de couleur est un péril universel qui menace chaque partie du monde blanc ». C’est sur cette idéologie à peine euphémisée qu’a reposé le débat sarkozyste sur l’identité nationale : l’image du « flot montant » date de 1920, 90 ans plus tard Sarkozy et Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, ne veulent pas que nous « soyons submergés par une vague d’immigration ». La métaphore marine est ici un poncif particulièrement éculé du racisme chic! Dans les années 30, on parlait de « filtrer la vase de ces torrents d’hommes » et c’est bien ce que fait l’Europe aujourd’hui en érigeant murs, barrières, clôtures et garde-fous de tous ordres, pourchassant les miséreux, les refoulant impitoyablement. C’est l’inhumanité des exclusions, c’est la misérable gloriole de responsables politiques se vantant du nombre d’expulsions de malheureux déracinés par un dénuement dont le plus souvent l’Occident est la cause par l’exploitation et le pillage de leurs pays d’origine. Entre 1988 et 2008, plus de 20 000 clandestins ont été noyés ou portés disparus dans la zone du Canal de Sicile. En mars 2009, 200 migrants sont morts noyés au large de la Libye.

Enfin un dernier élément de la persistance d’une mentalité coloniale peut être trouvé dans les réminiscences de ce qu’on a appelé l’« esprit colon » où le blanc est toujours le maître et l’indigène inévitablement un inférieur. L’exemple le plus anodin en est le tutoiement par lequel n’importe quel petit blanc se croit spontanément autorisé à interpeller le noir, l’arabe, l’asiatique. Violence symbolique mais aussi violences physiques et sexuelles que l’on tait encore aujourd’hui pudiquement. Le rapport colonial, fondé sur le mépris, pratique systématiquement l’injonction et l’abaissement du colonisé. Les moyens en sont la grossièreté et la brutalité, le colon étant au-dessus de lois métropolitaines. Il faut toujours séparer, hiérarchiser et même déshumaniser, le « boy » et le « nha quê » n’ont pas de nom propre, pas d’existence individuelle, d’ailleurs, ils se ressemblent tous! Césaire, dans le Discours sur le colonialisme l’a si bien dit : « entre le colonisateur et le colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie ». Qui peut prétendre qu’il n’en reste rien?

7 mars 2011