« Une vieille saleté de notre vieille politique »

 

Le « nouveau monde » macronien est décidément déjà bien moisi. Comme le politicien le plus trivial de l' « ancien monde », Macron, en difficulté politique, s'en remet à la diversion la plus habituelle et la plus odieuse : l'immigration. On nous dit qu'il faut contrer Le Pen et le Rassemblement national. Il s'agirait donc d'une visée électoraliste sans foi ni loi. Pour piquer les électeurs du RN, il faudrait reprendre son programme. Cette reddition sans principe est scandaleuse. Et c'est aberrant. C'est Gribouille-Macron se jetant à l'eau pour ne pas être mouillé par la pluie. C'est stupide. C'est ignoble et... c'est illusoire ! Selon une étude de la Paris School of Economics et de Sciences Po, rapportée par le Monde (08.10.2019), « insister sur la thématique migratoire augmente le vote en faveur de l'extrême-droite quelles que soient les informations dont les électeurs disposent par ailleurs ». Cécile Alduy, politologue et spécialiste de sémantique, précise : « Lorsqu'un président de la République -Macron ou Sarkozy avant lui- parle de « problèmes migratoires » ou « d'attractivité trop forte » de la France pour les réfugiés ou pointe des « abus » dans l'AME, il légitime au plus haut niveau de l'Etat une construction idéologique du monde ». Or il se trouve que cette construction est celle de Le Pen. L'astuce grossière de l'extrême-droite consiste à faire passer un discours idéologique entièrement fabriqué pour le constat d'une réalité objective. Ce qui fait que des personnes qui ne croisent jamais le moindre immigré sont convaincues qu'ils sont « trop nombreux ». Et voilà comment Macron légitime les obsessions lepénistes !

Le plus révoltant est que toutes les enquêtes d'opinion indiquent que l'immigration est loin d'être la préoccupation principale des Français qui se soucient davantage des retraites, du chômage, du logement, etc. Même si, résultat d'une propagande éhontée, ils ont tendance à surestimer le nombre d'immigrés dans la population. Selon le démographe François Héran, en 2007, les personnes interrogées estimaient en moyenne le pourcentage d'immigrés à 29% de la population, ce qui ferait un chiffre absurde de 17 millions d'immigrés pour 60 millions d'habitants. En réalité, ils étaient 10%, soit 6 millions (Le temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française, Seuil, 2007, p.9 ). Cette propagande joue sur les affects les plus infâmes, en particulier la xénophobie. Il y a 7,55 milliards d'humains dans le monde, la France en compte 66 millions, soit moins de 1% ! Ce qui veut dire qu'il y a plus de 99% d'étrangers dans le monde. Et ils sont partout. C'est terrifiant !

Ce qui est indigne dans l'affaire, c'est la manière dont Macron rejette sur les classes populaires, en feignant de compatir, le poids du racisme. Comme dit Claude Askolovitch, dans un excellent texte sur son blog de slate.fr, Macron en instrumentalisant l'immigration « exhume une vieille saleté de notre vieille politique » et « ce n'est pas être populaire que d'attribuer aux immigrés les maux d'une société. C'est être fasciste ». C'est toujours le même mépris de classe qui impute aux classes populaires les « passions » les plus basses, racisme coutumier et haine ordinaire. Elles « subiraient » l'immigration, ne la supporteraient plus et voteraient mal tandis que les bourgeois seraient « à l'abri » -comme d'une calamité- et exonérés de dispositions racistes. Décidément, lorsqu'il veut faire croire qu'il s'intéresse au peuple, Macron n'y arrive pas. Ainsi que le remarque encore Claude Askolovitch, « tout dans ce raisonnement est laid. Tout au surplus est faux ». Les « bons sentiments » des bourgeois pour les immigrés sont une fable saugrenue, chez eux la répulsion pour les pauvres est en réalité redoublée dans celle de pauvres qui sont en plus des immigrés.

Les immigrés sont partie intégrante des classes populaires que Macron veut décrire incultes et craintives. Des formes de solidarité subsistent. Le soi-disant « communautarisme » n'est qu'un épouvantail fallacieux : les mariages inter-ethniques sont bien plus nombreux que les mariages intra-ethniques, ce sont les « mariages mixtes » dont Zemmour fait commerce de s'effrayer. Comme les immigrations précédentes, les immigrations d'aujourd'hui ont bien vocation à s'inclure dans la société française, avec leurs spécificités, leurs singularités, leurs pratiques, rejoignant ce que Gérard Noiriel, historien de l'immigration, appelle le « creuset français ». La France a toujours eu besoin de travailleurs immigrés. A la veille de la Première Guerre mondiale, par exemple, dans les mines de fer de Lorraine, les trois-quarts des mineurs de fond étaient étrangers...

 

NIR 235. 14 octobre 2019