Chasse aux sorcières

 

 

Quelle triste entreprise que la Sainte Alliance islamophobe qui va du Rassemblement national à une frange de la gauche dite républicaine -aveuglée par une étrange intolérance qu'il faudra bien analyser- en passant par Zemmour, Finkielkraut, Onfray, le Figaro, le ministre Blanquer ou Valls à qui on n' a rien demandé et quelques autres. C'est de chasse aux sorcières qu'il s'agit. Des sorcières voilées. Sorcière, cette mère accompagnant une classe à une séance du Conseil régional de Bourgogne. Un certain Odoul, conseiller régional dit d'extrême-droite (et non simple conseiller municipal ainsi que le prétend curieusement Bruno Dive dans Sud-Ouest, comme pour minimiser l'outrage...) s'est employé à l'exorciser. Insultes et agression verbale en attendant mieux. Une élue du même acabit l'a traquée avec son enfant en pleurs jusque dans les couloirs, pensant triompher : « on va gagner... Vous allez voir quand les Russes vont arriver ! »... Les Russes ? Qu'est-ce qu'ils viennent faire là-dedans ? Quand l'imbécillité rejoint l'infamie ! Ce fut en tout cas un grand moment de civisme républicain. Les jeunes élèves en ont certainement bien profité...

L'incident est extrême. Au train où vont les choses, il risque se reproduire tant la parole islamophobe déborde dans les médias. Un certain Olivier Galzi, se disant journaliste sur LCI, a assimilé, en toute simplicité, le voile à un uniforme SS. Le nommé Thréard, journaliste au Figaro, clame fièrement descendre du bus où « il y a quelqu'un avec un voile ». Héroïsme admirable qui fait choisir la marche à pied pour combattre l'invasion des bus par les hordes mahométanes ! Thréard croit bon de préciser qu'il « déteste la religion musulmane ». Comme si ses goûts nous importaient. A part ça, il paraît que l'islamophobie n'existe pas. D'ailleurs certains fanatiques voudraient même interdire l'usage du terme « islamophobie » comme attentatoire à la liberté de critiquer l'Islam. Ce qui est assez loufoque. Qui a vraiment l'impression que l'on est privé dans les médias de critiques de la religion musulmane ? Entre la déferlante sur les horreurs du voile et les pseudo-enquêtes inquisitoriales sur la « radicalisation » qui « conduit » au terrorisme, ce serait plutôt le trop-plein.

Nier que l'islamophobie se banalise à toute vitesse est absurde. Les chaînes dites d'information continue rivalisent de surenchères. Zemmour peut pérorer longuement sans la moindre contradiction sur LCI encore. Il y a semble-t-il des gens « de gauche » pour s'accommoder de ce compagnonnage. L'islamophobie n'est en fait que la dénomination finalement convenable d'un racisme qui est au cœur de l'histoire de la République française, l'arabophobie, élément d'une culture raciale diffusée dans la société française à la fin du XIXème siècle. Cette culture s'est fondée sur une vision inégalitaire du genre humain forgée par des hommes de sciences parfaitement républicains et respectables, sans aucun lien avec les théoriciens racistes bien connus de l'extrême-droite (Vacher de Lapouge, Gobineau...). C'est une véritable pensée raciale républicaine qui s'est ainsi constituée. J'en évoquerai prochainement ici l'histoire car il serait aventuré de croire qu'il n 'en reste pas aujourd'hui plus que des traces.

Il est d'autant plus navrant que des gens aussi estimables que Henri Pena-Ruiz ou Yvon Quiniou semblent ignorer cette histoire en participant à l'halali antimusulman au nom d'une laïcité figée, sectaire et intolérante. On s'étonnera que Quiniou, tout en louangeant Blanquer, se réclame d'un « humanisme universaliste » dont tout marxiste un peu conséquent sait qu'il a surtout servi, dans l'histoire, de prétexte pour subvertir les luttes de classes et de faux-semblant pour occulter les mécanismes de la domination. Pour Pena-Ruiz, « on a le droit d'être islamophobe » comme celui d'être « athéophobe ». On a échappé de peu au « judéophobe ». C'est la Libre Pensée -hé oui- qui lui apporte la meilleure des réponses dans un communiqué de presse du 26 septembre 2019 : « la laïcité ne se nourrit pas de phobies mais de la volonté de la paix civile ». Sait-on enfin qu'à l'université la chasse aux sorcières prend la forme du maccarthysme ? L'Université de Cergy-Pontoise a mis en place un système de délation par détection des « signaux » de radicalisation d'étudiants ou d'enseignants tels que « l'intérêt soudain pour l'activité nationale ou internationale » ou... « le port de la barbe sans moustache » ! A ce degré de bêtise, on mesure le danger que l'islamophobie, au-delà de son objet, fait courir à la démocratie.

 

NIR 236. 28 octobre 2019